Il y a dix ans, Thomas De Gendt domptait le mythique Stelvio et montait sur le podium du Tour d'Italie
Il y a dix ans, le 26 mai 2012, Thomas De Gendt réalisait l'un des plus grands exploits du cyclisme belge au 21e siècle en s'imposant au sommet du mythique Stelvio. Le lendemain, le Belge montait sur le podium final de la course au maillot rose. Retour sur cet exploit, jamais égalé depuis lors par un coureur belge.
- Publié le 26-05-2022 à 11h04
- Mis à jour le 16-06-2022 à 10h22
26 mai 2012 peu avant 17h : le Belge Thomas De Gendt s'isole en tête de l'étape reine du Tour d'Italie. À 25 ans, le coureur de l'équipe Vacansoleil-DCM est sur le point de réaliser l'un des plus grands exploits du cyclisme belge de l'ère moderne. Un exploit singulier pour deux raisons : tout d'abord parce qu'il est le seul Belge à être monté sur le podium d'un grand tour au 21e siècle (Jurgen Van den Broeck a décroché la troisième place sur le Tour de France grâce aux déclassements d'Alberto Contador et, des années plus tard, de Denis Menchov), mais aussi parce que ce podium était totalement inattendu. Retour sur ce fameux Tour d'Italie 2012 et la folle échappée d'un coureur si atypique.
Découvert en 2011, la confirmation se fait attendre
Passé professionnel au sein de l'équipe Topsport Vlaanderen en 2009, Thomas De Gendt a reçu sa chance au plus haut niveau dans l'équipe Vacansoleil-DCM deux ans plus tard. Dès sa première saison dans l'équipe néerlandaise, le Belge impressionne. Il se fait un nom en remportant la première étape de Paris-Nice, conservant le maillot de leader durant plusieurs jours. Il se forge rapidement une réputation de coureur offensif. Quelques mois plus tard, il impressionne par ses qualités de récupération lors de la troisième semaine du Tour de France, son premier grand tour, décrochant une 5e place au sommet de l'Alpe d'Huez et une 3e place sur le contre-la-montre le lendemain.
En 2012, le Belge veut confirmer mais reste prudent quant à ses objectifs : "Je suis parvenu à convaincre mes dirigeants de m'aligner dans les courses à étapes, Paris-Nice, la Catalogne, le Pays Basque, la Romandie, puis le Giro... Je serai satisfait en gagnant l'une ou l'autre étape, peu m'importe où", déclare-t-il en début de saison.S'il remporte une nouvelle étape sur la Course au Soleil, la suite de son printemps est mitigée avec des abandons dans les deux courses espagnoles notamment. C'est donc en manque de repères mais avec l'objectif de remporter une étape et de voir jusqu'où il peut aller en montagne que le Belge s'aligne au départ de la course au maillot rose pour la première fois. Au départ de la 95e édition de l'épreuve italienne depuis... le Danemark, aucun nom ne se détache pour endosser le rôle de favori. Les noms les plus régulièrement cités sont ceux d'Ivan Basso, Roman Kreuziger, Joaquim Rodriguez, Frank Schleck ou encore Michele Scarponi.
Deux premières semaines dans l'ombre
La première moitié du Giro est calme pour les favoris. Avec deux contre-la-montre et de nombreuses arrivées massives, les gros bras n'ont pas beaucoup l'occasion de s'exprimer. Les premières étapes montagneuses, à Rocca di Cambio et Lago Laceno sont neutralisées par les hommes forts. C'est lors de cette première arrivée au sommet que Thomas De Gendt va faire parler pour la première fois de lui dans cette édition, décrochant la 4e place de l'étape, réglant au sprint le petit groupe des favoris.
Après 13 étapes, le coureur de la formation Vacansoleil-DCM pointe à la 22e place du classement général à seulement 2'05" du leader Joaquim Rodriguez. Mais les étapes les plus difficiles arrivent seulement. S'il perd un peu de temps sur les meilleurs lors des arrivées à Cervinia (étape 14), Piani dei Resinelli (étape 15), Cortina d'Ampezzo (étape 17) et à l'Alpe di Pampeago, (étape 18) De Gendt preste à un niveau auquel on ne l'attendait pas et entre progressivement dans le top 10. À deux jours du contre-la-montre final à Milan, mais surtout à la veille de la terrible 20e étape entre Val di Sole et le Passo dello Stelvio, passant également le Passo del Tonale et le Mortirolo, le Belge pointe à la 8e place du classement général à 5'40" du maillot rose, Joaquim Rodriguez.
"Je ne suis pas un grimpeur pur-sang et j'aurais cru que j'allais pointer aux alentours de la 25e place à ce stade-ci de la course, je suis donc agréablement surpris", se félicite le coureur belge au début de la troisième semaine de course, "maintenant que j'ai cette place, je vais essayer de la défendre et de l'améliorer."
Et cette 8e place au classement général, De Gendt va faire bien mieux que la défendre, au court de l'étape reine. En faisant ce qu'il sait faire de mieux : attaquer.
Un numéro sur les flancs du Stelvio
La 20e étape du Giro fait peur à beaucoup de monde. Au menu de cette étape, il y a le Passo del Tonale, le Passo del Mortirolo et le Passo dello Stelvio où est jugée l'arrivée. Le Stelvio est un géant des Alpes, long de près de 20 kilomètres avec des pourcentages moyens de 7,4% et un sommet culminant à 2750m d'altitude, ce qui en fait le troisième col routier le plus haut d'Europe.
Au matin de cettte étape, longue de 213 kilomètres, personne - peut-être même pas De Gendt lui-même - n'imagine le numéro qu'il va réaliser quelques heures plus tard. Tout le monde attend une bagarre entre le maillot rose Joaquim Rodriguez et son dauphin Ryder Hesjedal, séparés d'à peine 17 secondes au classement général. Mais ce jour-là, c'est bien le Belge de 25 ans qui va leur voler la vedette.
Dans la première partie de course, un groupe d'échappée se forme. Parmi eux, on retrouve un certain Matteo Carrara, coéquipier de Thomas De Gendt chez Vacansoleil-DCM. Et alors que le Suisse Oliver Zaugg passe en tête du Passo del Mortirolo avant de plonger vers la montée finale, quelques centaines de mètres plus bas, De Gendt passe à l'offensive dans le groupe des favoris. Rapidement, il retrouve son équipier qui l'avait attendu dans la montée. Au sommet, 2'30" derrière Zaugg, le Belge ne compte que cinq petites secondes d'avance sur les autres hommes forts.
Mais avec l'aide de Carrara et la mauvaise entente des candidats au podium derrière, De Gendt parvient à creuser l'écart dans la descente vertigineuse du Mortirolo. "J'avais décidé d'attaquer sur le Mortirolo parce que je connaissais la descente et je savais qu'elle était dangereuse", explique-t-il après l'arrivée. Profitant de la désorganisation derrière, d'autres candidats au top 10 suivent l'exemple de De Gendt qui voit revenir Damiano Cunego et Mikel Nieve, aidé par son équipier Ion Izagirre, dans la vallée.
Dans le bas de la descente, à 35 kilomètres de l'arrivée, l'écart entre les deux groupes prend des proportions inattendues en atteignant les quatre minutes ! Personne ne veut prendre ses responsabilités dans le groupe de chasse et l'écart s'envole alors que le groupe du Belge reprend peu à peu les rescapés de l'échappée matinale. "Au début, ma première idée était de me rapprocher au classement général pour dépasser l'un ou l'autre coureur placé devant moi. Ce n'est que plus tard que j'ai commencé à penser à la victoire d'étape", confie De Gendt. Mais avant de penser à lever les bras, le Belge doit dompter les pentes du terrible Stelvio, tout en se débarrassant de ses compagnons d'échappée. "Le Stelvio n'a plus de secret pour moi. je viens m'entraîner depuis six ans ici. J'ai monté ce col entre 20 et 30 fois."
Au pied, à une vingtaine de kilomètres de l'arrivée, l'avantage de Thomas De Gendt et de son groupe est toujours de quatre minutes. Rapidement, le Belge prend son rythme et fait la majorité du travail devant. Seuls Cunego et Nieve sont capables de le suivre dans un premier temps. Si l'écart baisse légèrement avec le groupe des favoris suite au travail de Christian Vande Velde, équipier de Hesjedal, le coureur originaire de Saint-Nicolas va inverser la tendance par rapport au coureur américain.
Lassé de ne pas obtenir de relais de Cunego et Nieve, De Gendt s'isole finalement à 13 kilomètres du sommet. Dans son style caractéristique, assis sur sa selle, le Belge appuie fort sur les pédales et l'écart augmente progressivement pour atteindre 5'35" d'avance à moins de sept kilomètres du sommet. À ce moment précis, le coureur de 25 ans effleure le maillot rose du bout de doigt, se rapprochant à 5 secondes du leader Rodriguez. Mais l'heure a sonné pour les favoris qui ont décidé de passer à l'attaque, brisant la monotonie du train imposé par le pauvre Christian Vande Velde. Si les attaques, bien qu'arrivées trop tardivement pour menacer la victoire de De Gendt, permettent de faire baisser radicalement l'écart face à l'homme de tête, fatigué par sa longue échappée.
Entouré par des murs de glace à plus de 2 500 mètres d'altitude et porté par les nombreux spectateurs présents, De Gendt donne tout sur les 5 derniers kilomètres de l'ascension qui paraissent interminables. Mais au bout des 20 kilomètres du Passo dello Stelvio, la délivrance est là. Au sommet, il n'en est sans doute pas encore conscient mais il vient de réaliser un des plus grands exploits du cyclisme belge au 21e siècle, franchissant la ligne le point serré et laissant échapper un cri rageur. Derrière lui, Rodriguez franchit la ligne avec 3'22" de retard. Pour lui, comme pour Hesjedal, arrivé 14 secondes plus tard, les deux premières places sont sauvées. En revanche, De Gendt, remonté à la quatrième place au classement général, peut encore rêver de la troisième marche du podium occupée par Scarponi, s'il lui reprend assez de temps le lendemain lors du contre-la-montre final dans les rues de Milan.
Malgré les efforts fournis la veille, De Gendt termine finalement cinquième de ce chrono. Il réalise le meilleur temps des coureurs placés au classement général. Si ce n'est pas assez pour dépasser Hesjedal (qui a pris le maillot rose) et Rodriguez, le Belge reprend 53 secondes à Scarponi et lui chipe in extremis la troisième place. L'exploit est énorme : De Gendt devient le premier Belge depuis Johan Bruyneel en 1995 à monter sur le podium d'un Grand Tour, Jurgen Van den Broeck ne recevant la troisième place du Tour de France 2010 que des années plus tard après le déclassement de Denis Menchov. "C'est surréaliste ! Il y a deux jours, je me battais pour conserver mon top 10 et maintenant je monte sur le podium, j'ai du mal à y croire", racontait De Gendt à l'époque, "c'est très étrange pour moi car il ne s'agit que de mon deuxième grand tour. J'ai réalisé un week-end incroyable."
La confirmation dans les grands tours ne viendra jamais
Après ce podium au Tour d'Italie, les espoirs placés en Thomas De Gendt sont grands. Lui-même veut continuer dans la voie des grands tours et se veut ambitieux : "Je sais désormais que je peux devenir un coureur de grands tours. J'ai vu au cours de ce Giro que j'avais de bonnes capacités de récupération et les grandes étapes de montagne ne me font plus peur", assure-il dans la foulée de sa troisième place.
Mais la confirmation ne viendra jamais. Ambitieux au départ de la Vuelta 2012, il perd rapidement du temps et abandonne tout espoir de bon classement général. Idem lors du Tour de France l'année suivante où il visait également un bon classement mais perd plus de 17 minutes dès la 2e étape. Souffrant, de son propre aveu, de la pression inhérente aux coureurs de grands tours, De Gendt change d'objectifs dans sa carrière, préférant rouler dans l'ombre, en tant qu'équipier pour ses leaders, tout en jouissant d'une certaine liberté pour partir dans de longs raids qui deviendront sa marque de fabrique.
Après deux années de galère, c'est de cette manière que De Gendt a construit sa légende de baroudeur. Et c'est comme cela qu'il est devenu l'un des coureurs avec le plus gros palmarès dans les épreuves par étapes. Tout en restant, encore à l'heure actuelle, le dernier coureur belge à être monté sur un podium de grand tour.