La santé mentale des Bruxellois inquiète : “il faut un effondrement physique pour aller vers le système de santé mentale”
Vivalis publie sa grande enquête sur la santé des Bruxellois. Le travail et la précarité deviennent de plus en plus anxiogènes.
- Publié le 24-04-2024 à 07h00
Comment vont les Bruxellois ? C’est la question, très générale, à laquelle Vivalis (l’administration bilingue de référence dans les secteurs de la Santé et de l’Aide aux Personnes en région bruxelloise) a tenté de répondre dans son tableau de bord de la santé publié ce mercredi. Le travail, réalisé tous les cinq ans par l’Observatoire de la santé et du social, permet cependant d’établir les grandes lignes et marges de progression des politiques de santé en région bruxelloise. La DH fait le point sur trois maux du siècle qui n’épargnent pas les Bruxellois. Si ceux-ci ont gagné cinq années d’espérance de vie (trois pour les Bruxelloises) et que les signaux sont plutôt positifs, le poids du travail et de la précarité pèse encore sur les épaules des habitants de la capitale.
Cancer : de meilleurs soins, un dépistage à perfectionner
Un quart. Un quart des Bruxellois décèdent aujourd’hui d’un cancer, c’est la seconde cause de décès. Le chiffre est impressionnant et, pourtant, “on soigne de mieux en mieux les cancers, ce qui donne une première explication de l’augmentation de l’espérance de vie, pointe Olivier Gillis, directeur de l’Observatoire de la Santé et du Social. On note également une amélioration des comportements de santé, il y a de moins en moins de fumeurs, ce qui a un impact direct sur les cancers de poumons.”
Contrairement à la Flandre et la Wallonie, l’incidence des cancers à Bruxelles reste stable, ce qui est aussi lié à une population plus jeune. Revers de la médaille, la population se sent moins concernée par les problèmes oncologiques. “Il y a un réel enjeu à faire davantage de prévention, surtout pour les cancers du sein et le cancer colorectal.” L’accent est à mettre sur la population à risque, toutes les femmes entre 50 et 69 ans reçoivent une invitation à se faire dépister pour le cancer du sein, 50 % font réellement la démarche. “L’idée est de faire évoluer ce dépistage pour les femmes plus à risques, comme celles qui ont dans leur histoire familiale d’autres cancers du sein”, une réflexion issue d'un projet européen. D’autant plus que “les femmes qui bénéficient de l’intervention majorée (BIM) vont moins se faire dépister que celles qui ne bénéficient pas de ce statut”, note Elise Mendes da Costa, médecin de l’Observatoire. Une différence qui se fait moins grande dans le cadre de la campagne de dépistage organisé.
Quand le travail menace les pauvres
En 2018, 39 % des Bruxellois présentaient des symptômes de santé mentale menacée. 21,7 % de la population de la capitale en étaient même dans une situation pathologique. “Depuis, il y a eu la crise du Covid, l’Ukraine et la crise de l’énergie qui ont aggravé la situation en termes de santé mentale”, diagnostique Olivier Gillis. L’Observatoire de la santé et du social recense également 12,8 % de dépressifs et autant (12,4 %) de personnes souffrant d’anxiété.
Il y a urgence. Ces chiffres qui ne cessent d’exploser témoignent d’un mal-être au travail, travail lui-même menacé par ce mal-être puisque 45 % des causes d’invalidité de longue durée proviennent de burn-out. Et là encore, plus la situation socio-économique des individus est précaire, plus leur santé mentale est en danger. “Dans les familles monoparentales, les mères privilégient les soins de leurs enfants. Il faut un effondrement physique pour qu’elles aillent vers le système de santé mentale”, alertent les deux experts de la santé. Une démarche qui n’est pas toujours facile à assumer, ni moralement, ni financièrement.
L’urgence de l’alcool
Si, pour les femmes, ce sont les troubles dépressifs qui dégradent le plus l’espérance de vie, pour les hommes, l’alcool est l’un des premiers facteurs si ce n’est le premier au vu de la baisse du tabagisme. Et pourtant, Bruxelles compte un pourcentage de non-buveurs plus élevé que les autres régions du pays, probablement dû à la présence de communautés qui ne consomment pas. Mais attention à ne pas réduire cette analyse à ce simple constat, souligne le rapport. “C’est également très culturel, pointe Olivier Gillis. Chez les plus précaires, la moitié des gens ne consomment pas. Les favorisés consomment beaucoup plus mais c’est bien chez les plus précaires que la consommation est plus problématique.”
13 % des hommes Bruxellois ont pourtant une consommation d’alcool qui risque de leur infliger des problèmes chroniques. “Cela s’inscrit dans un contexte, ces personnes vivent dans des logements moins salubres, avec des conditions de travail plus dures, tout cela influe sur l’état de santé et le comportement.”
Cancer, santé mentale, consommation d’alcool, force est de constater que la précarité s’inscrit en fil rouge dans les questions de santé des Bruxellois, des causes aux conséquences Avec un Bruxellois sur trois vivant sous le seuil de pauvreté, le défi est immense. Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès, et pourtant, le taux de diabète d’un quartier passe parfois du simple au double au regard de la situation socio-économique des lieux. “La précarité et ses inégalités auront, à l’avenir, une incidence sur le taux de mortalité et les soins à apporter aux personnes”, prévient Olivier Gillis.