Adnan Januzaj: "Fini de dire que je ne viens qu’au Mondial"
Adnan Januzaj est devenu un habitué du noyau des Diables et espère un jour en devenir l’un des patrons.
- Publié le 20-04-2019 à 07h30
- Mis à jour le 20-04-2019 à 14h23
Adnan Januzaj est devenu un habitué du noyau des Diables et espère un jour en devenir l’un des patrons. Il est 22h. On passe la frontière entre l’Espagne et la France, et le GPS affiche une arrivée à Bordeaux juste avant minuit. Le ticket de péage sort à peine de l’automate qu’une lampe de poche vient nous aveugler.
"Bonjour, vous allez où comme ça ?", balance un douanier.
"Je retourne à Bordeaux, je viens de passer quelques heures à San Sebastian."
"C’est un peu louche dans une voiture de location…"
"Je suis venu voir un joueur belge de la Real Sociedad. Adnan Januzaj, vous connaissez ? "
"Pas du tout."
"Désolé hein, on n’est pas champions du monde nous, seulement troisièmes."
Il se marre et nous laisse filer sans même jeter un œil au coffre. Un petit coup de flatterie à nos voisins n’a jamais fait de tort et visiblement, ça fonctionne encore près d’un an après la Coupe du monde russe.
Dans le coffre, il n’aurait de toute façon rien trouvé d’autre qu’un ordinateur, des vêtements de rechange et une bonne heure et demie d’enregistrement de notre entretien avec Adnan Januzaj. Entre ses nombreuses blagues sur Fortnite, les Hazard et Marouane Fellaini, il a pris le temps de revenir sur son Mondial, ses ambitions et sa relation avec Roberto Martinez.
Adnan, peut-on dire que vous êtes le plus malin des Diables ?
"Pourquoi ?"
Deux Coupes du monde sans devoir se farcir des déplacements pourris aux quatre coins de l’Europe, c’est vraiment bien joué…
(Il éclate de rire) "Eden (Hazard) se marre toujours avec ça. Il me charrie tout le temps comme beaucoup d’autres à Tubize qui me disent: ‘Mais pourquoi tu es là ? Ce n’est pas la Coupe du Monde.’ Cela me fait marrer mais ils ne peuvent plus dire ça car j’ai désormais joué des matchs de qualif ."
Plus sérieusement, nous n’avons pas encore pu vous remercier pour la Coupe du monde. Sans votre but face aux Anglais, nous n’aurions pas vécu ce match historique contre le Brésil !
"Ah ben voilà ! (rires) Clairement, ce match restera dans les mémoires. Puis, il n’y avait pas de chemin facile. Les Anglais ont failli sauter contre la Colombie ! Qui dit qu’on n’aurait pas eu plus difficile ? Regardez comment on a galéré face au Japon. Si on est mené 2-0 contre la Colombie, je ne sais pas si les monstres qu’ils ont en défense nous auraient laissés passer."
En vérité, vous ne vouliez pas spécialement gagner face à l’Angleterre…
"Bien sûr que si. On n’a pas calculé. On a couru comme des fous. Tous les joueurs alignés avaient faim de jouer. Et regardez la réaction lors de mon but. Même les titulaires qui étaient sur le banc ont célébré avec nous au point de corner."
Est-ce le plus beau but de votre carrière ?
"Par son contexte, oui. L’Angleterre, au Mondial… C’est fort. Je ressortirai les vidéos dans dix ans pour les montrer à mes enfants. Elles seront encore sur YouTube. Un des plus beaux de la Coupe du monde, ça reste. (rires) Je me souviens surtout de ce but car ma blessure au genou (NdlR : encourue à l’entraînement) m’a frustré. J’aurais pu apporter une solution de repli. Contre la France, par exemple."
On dit que vos équipiers se sont bien moqués de vous après votre but…
"Dans le bus, ils me chambraient. Surtout Eden et Thorgan qui disaient : ‘P***** Adnan, qu’est ce que t’as foutu ? T’as mis le bordel. T’as foutu la Coupe du monde en l’air.’ En réponse, j’ai dit à Eden que c’était à son tour de faire la différence. Il m’a bien écouté." (rires)
Son match contre le Brésil…
(Il coupe) "Il était trop fort. Je savais qu’Eden était incroyable. Mais c’est durant ce match-là que j’ai vu qu’il était capable de choses que seuls les plus grands joueurs au monde peuvent se permettre. Parfois, il était chargé par trois ou quatre joueurs et il ne tombait pas. Je ne comprends pas ! Il n’était même pas fatigué. Pfff, il est monstrueux."
Comment fait-il pour rester debout ?
"Son centre de gravité est bas. Comme Messi, mais en plus costaud encore. Je le kiffe comme footballeur et comme personne. Il a un très bon cœur."
Apprenez-vous de lui ?
"Oui, même si lui et moi avons un style très différent. Je suis plus frêle. Quand je passe un défenseur, on dirait qu’il n’y a personne devant moi mais que je vais tomber. J’ai été éduqué à jouer le menton levé. Comme Riquelme. Il était trop fort. Il ne regardait même pas la balle. Eden est plus dans l’accélération, dans l’utilisation de son corps."
Attendons-nous plus de gars comme Eden et vous que d’autres ?
"C’est lié à notre profil. On peut être discret un long moment mais faire la différence en toute fin de match. Le sélectionneur m’a confié ce rôle. Je n’ai pas réussi contre Chypre, mais le fait qu’il me donne des minutes prouve qu’il croit en moi."
Vous semblez avoir une relation spéciale avec lui.
"Il m’aide et me parle beaucoup. C’est une bonne personne qui sait parfaitement gérer un groupe. Puis, vous avez tous vu qu’il est costaud tactiquement."
Avez-vous une dette envers lui ? Il vous a emmené en Russie alors que vous aviez seulement connu six très bons mois…
"Je donnerais tout pour lui. Il m’a donné sa confiance et je dois lui rendre sur le terrain. Je viens au rassemblement ultra-motivé même si je ne joue pas."
Rêvez-vous à terme d’avoir un rôle de patron des Diables comme Eden ?
"Bien sûr, mais j’ai le temps. Je dois d’abord gagner une place de titulaire et faire la différence. Je suis devenu un remplaçant qui monte souvent au jeu et j’ai faim de minutes."
À quel point l’impact de Thierry Henry était important durant la Coupe du monde ?
"Je vous jure que ce que je raconte est vrai. Après chaque séance, Romelu et moi bossions avec lui. Je devais partir du flanc, dribbler et balancer une frappe enroulée. Et devinez comment j’ai marqué… Après le match, Titi m’a embrassé et félicité."
Avez-vous plaidé pour son retour chez les Diables ?
"Non, mais je pense que je vais un peu le pousser. On ne sait jamais. On a tous envie de continuer à bosser avec un mec pareil. Je reste persuadé qu’il deviendra un grand entraîneur."
Une autre personne va beaucoup vous manquer à l’avenir : votre frelon.
"Marouane (Fellaini) va manquer aux autres, pas à moi, je suis en contact avec lui tous les jours !" (rires)
D’abord expliquez-nous pourquoi frelon ?
"Au lieu de frérot, on s’appelle ‘frelon’. C’est juste entre nous. Marouane est comme un frère pour moi."
D’où vient cette amitié ?
"C’était son premier jour à Manchester United. On s’est regardé et j’ai commencé à rigoler. Il m’a dit : ‘Toi t’as l’air fou.’ Je l’ai aidé au début et on a noué une relation spéciale, que peu de gens ont. Nous passions nos journées ensemble à rigoler. On savait aussi être très sérieux quand il le fallait. On dirait que Marouane passe son temps à déconner mais j’ai rarement vu un travailleur pareil. C’est aussi pour cela que je l’apprécie, il me tire vers le haut et m’apporte quelque chose."
Il vous engueule ?
"Il me criait parfois de bouger mon c** et j’en faisais de même. Si je suis dans le dur, Marouane viendra me relever."
Va-t-il manquer au groupe ?
"On dirait qu’on a perdu un membre de la famille. Il traînait toujours avec nous dans la chambre. Il était très complice avec les Hazard. Eden et lui ensemble, c’était le pire. Ils sont ingérables."
Thorgan est plus calme…
"Quoi ? T’es fou ! Il rigole tout le temps."
Avec le championnat chinois qui est décalé, vous ne pourrez plus partir en vacances avec Marouane…
"De toute façon, je comptais les écourter. Je joue depuis longtemps avec un poignet cassé et je dois me faire opérer. Je vais aussi en profiter pour travailler sur mon genou pour revenir à bloc. Ça vous étonne, hein. L’Adnan d’il y a quelques années aurait privilégié ses vacances. Je sais désormais où sont mes priorités."
"Je veux qu’on se souvienne de moi comme d’un gars bien"
Le Diable a bien changé : "J’ai eu un déclic il y a deux ans."
Trop longtemps Adnan Januzaj a gardé une image de gamin arrogant. Une mauvaise appréciation qu’il gomme sur le terrain et en dehors. "À l’époque, on ne me connaissait pas, on parlait trop de moi et parfois en disant des bêtises. On a créé une fausse image de moi."
Le fait d’avoir débuté à Manchester United n’a-t-il pas été un désavantage au final ?
"J’ai commencé très haut et c’est clair qu’il n’est pas facile de gérer autant de pression à 17 ans. Il y avait beaucoup de jaloux parmi les plus anciens car je passais avant eux. Puis il y a eu cette période avec Van Gaal. Il n’a pas toujours été très classe avec moi… C’était dur à encaisser. Je n’ai jamais eu de soucis avec un autre coach."
Votre profil technique appuie-t-il cette image qu’on a de vous ?
"Quand tu dribbles et que tu manques de respect à ton défenseur en le terminant, ça fait arrogant. (rires) Mais regardez mon attitude sur le terrain. Je ne râle jamais. Même quand on me balance au sol."
Comment avez-vous évolué au fil des années ?
"Plus jeune, je prenais moins soin de mon corps. Je disais non quand on me disait d’aller à la musculation. Maintenant j’y vais tous les jours. Je fais aussi attention à ce que je mange. Un chef vient cuisiner à la maison tous les soirs. Sur le terrain, ça se voit aussi. Je cours plus, je défends plus. Je réfléchis différemment."
Avez-vous eu une sorte de déclic ?
"À 22 ans, quand je suis arrivé ici, j’ai commencé à taffer comme un fou. J’ai appris à me calmer, à me reposer. J’avais tendance à me disperser. Ça a changé ma vie."
Que voulez-vous laisser comme trace ?
"J’ai envie qu’on ait de moi l’image d’un mec gentil, une bonne personne, un gars respectueux. C’est le plus important. Je ne veux pas être vu comme un merdeux."