Le peloton assume les cétones: "Si on interdit ça, on interdit l'eau et la caféine..."
Différentes équipes ont reconnu avoir recours aux corps cétoniques, ces derniers jours. À ne pas confondre avec le dopage.
- Publié le 18-07-2019 à 10h44
- Mis à jour le 19-07-2019 à 10h09
Différentes équipes ont reconnu avoir recours aux corps cétoniques, ces derniers jours. À ne pas confondre avec le dopage. Tout est parti de Kieran Clarke, un professeur d’Oxford qui, au début des années 2000, trouvait la formule magique - sous forme de boisson - pour répondre à une demande de l’armée américaine : améliorer la concentration et l’endurance des soldats dans la chaleur de l’Irak.
La solution a-t-elle fait ses preuves dans un contexte militaire ? À première vue, non. Par contre, le monde du sport se l’est appropriée. Radio peloton en parle depuis des années, avec des pics d’audience lors des journées de repos sur le Tour de France, sans vraiment savoir où les situer.
"Boisson miracle à 2 500 euros le litre" que les Sky avaient démenti consommer en 2015, les cétones se sont quelque peu démocratisées depuis. Jusqu’à ce que les Lotto-Soudal et les Jumbo-Visma avouent leur utilisation. Nous avons interrogé Peter Hespel, professeur à la KUL, auteur d’une étude sur les cétones et consultant pour Deceuninck-Quick Step.
Que sont les cétones ?
"C’est un substrat d’énergie que le corps humain produit lui-même quand il n’a plus d’apport en hydrates de carbone, afin de sauver le corps et surtout le cerveau. Si on fait une grève de la faim ou un jeûne, le foie produit naturellement des cétones."
À quand remontent les premières utilisations de cétones par des sportifs professionnels ?
"Au moins aux Jeux olympiques 2012. Il y a forcément eu des essais qui ont été faits en amont de ces Jeux. Le produit circule probablement depuis plus de dix ans mais il est surtout commercialisé et disponible depuis janvier 2018 aux États-Unis."
Pourquoi les cétones ne sont pas considérées comme produit dopant ?
"Aux États-Unis, la fameuse boisson est enregistrée comme de la nutrition, même pas comme un complément alimentaire. Disons que si on interdit les cétones, on doit interdire l’eau, le sucre, le café… qui sont aussi des produits nutritionnels qui améliorent la performance."
Pouvez-vous nous en dire plus sur vos expériences concernant les cétones ?
"On a démontré que l’utilisation des cétones pendant une période de travail physique intense offrait des effets bénéfiques sur la récupération. Notre expérience a duré trois semaines, comme le Tour. Neuf sujets ont reçu des cétones après chaque entraînement et avant chaque nuit de sommeil. Neuf autres recevaient un placebo. Tous ont dû s’entraîner deux fois par jour, six jours par semaine, de manière intensive. On a vu des différences en termes d’endurance. La fréquence cardiaque maximale d’un sujet qui s’entraînait sous un placebo baissait de 15 à 20 pulsations par minute, en fin d’expérience, à cause de la fatigue. Les sujets qui prenaient des cétones, par contre, ne perdaient que 10 pulsations par minute."
Les cétones sont-elles la raison de la transformation de coureurs comme Geraint Thomas ou Bradley Wiggins, qui ne semblaient pas destinés à grimper en début de carrière ?
"Aucune étude n’a été faite sur ce sujet mais on sait qu’en période de faim et de manque d’apport énergétique, les cétones alimentent le cerveau et préviennent la dégradation de la masse musculaire. Dans le cas du cycliste, oui, c’est possible que les cétones permettent de maximiser le rapport poids/puissance. Dans notre étude, on a surtout vu que les sujets qui prenaient des cétones mangeaient plus, de manière totalement spontanée et sans influencer leur poids. Ce qui est très remarquable car quand vous faites des efforts répétés pendant trois semaines, vous perdez parfois l’appétit - et donc de l’énergie potentielle - avec la fatigue."
Armstrong disait dans son podcast qu’Alaphilippe en prenait pendant les étapes du Tour…
"Cela n’a pas de sens. Nous n’avons testé qu’un régime d’administration pour l’instant mais ce qui est sûr, c’est que seul l’effet sur la récupération a été avéré. Je n’ai d’ailleurs jamais conseillé à un coureur de prendre des cétones pendant les classiques…"
Vous confirmez donc que les Deceuninck-Quick Step en prennent ?
"Non, simplement que je leur conseille de le faire. Après, il revient à chaque coureur de prendre sa décision, ce n’est pas structurel."
Combien d'équipes les utilisent ?
"Kieran Clarke avait dévoilé que sept équipes du Tour 2018 ont utilisé son complément de cétones. Et cela me paraît sûr à 100% qu'elles sont plus nombreuses cette année car le produit est plus accessible, plus hype et on possède plus de données scientifiques à son sujet."
On parle d'un produit assez coûteux, tout le monde peut-il s'en procurer ?
"C'est 30 dollars par dose. C'est cher mais pas insurmontable pour un coureur du Tour, par exemple. Au régime que nous avons testé, cela fait deux doses par jour pendant 21 jours (une après l’étape, une avant d’aller dormir), soit 1260 dollars pour le Tour. Chacun a donc le droit et la possibilité de commander les doses. Ces coureurs roulent sur des vélos qui coûtent presque 10.000 euros…"
Peut-on craindre des effets secondaires néfastes, à court ou long terme, pour ceux qui en prennent ?
"La boisson est dégoûtante, à tel point que cela donne des petits problèmes gastro-intestinaux à certains coureurs. Pour le reste, rien ne permet de dire qu’il y a des effets néfastes."
On sort quand même de plusieurs mois de bluff dans la communication de certaines équipes…
"C’est propre à la compétition. LeMond ne s’était pas vanté qu’il utiliserait un guidon de triathlète lors du contre-la-montre qui lui a permis de battre Fignon pour huit secondes."
“Il faut lutter contre l’Aicar”
Comme tous ceux qui suivent le cyclisme de près, Peter Hespel a eu vent des rumeurs qui évoquent la présence de l’Aicar dans le peloton actuel. “Ce produit existe depuis 1988 ou 1989 et c’est du dopage. L’Aicar est dangereux et si vraiment des gens en ajoutent dans les bidons des coureurs à leur insu, comme j’ai pu le lire dans la presse néerlandophone, ce sont des criminels et il faut lutter contre ça. Mais je n’y crois pas un instant. Je suis dans le cyclisme depuis 2000 et je n’ai jamais rencontré un membre de staff capable de faire une chose pareille.”