Philippe Gilbert: "À Monaco, j’ai trouvé mon équilibre"
Philippe Gilbert nous a reçu à Monaco pour un entretien à bâtons rompus. Confidences sur le Rocher.
- Publié le 07-12-2015 à 09h01
Philippe Gilbert nous a reçu à Monaco pour un entretien à bâtons rompus. Fatigué par la longueur d’un été indien sans fin, le soleil semble peiner à réchauffer le port de Monaco en ce début décembre. Loin des bikinis de rigueur sur les yachts au moment du Grand Prix, la mode est plutôt à la doudoune dans les allées du marché de Noël qui s’est installé sur les quais, à quelques pas du quartier de la Condamine. Un endroit où Philippe Gilbert se sent chez lui. Son fils Allan posé sur ses genoux, le Liégeois s’est confié durant près d’une heure dans son magasin The Bike Shop de la rue des Açores avant de poursuivre la conversation autour de la table d’un restaurant.
Vous vivez depuis près de sept ans à Monaco où vous semblez totalement épanoui.
"Oui, tout à fait. Toute la famille s’y sent bien. Nous connaissons beaucoup de monde et avons trouvé notre équilibre sur tous les plans. La première chose qui m’a attiré ici, ce sont les conditions d’entraînement que propose cette région. J’étais déjà venu dans le coin en 2003, lors de ma première année pro, car le départ du Tour Med avait été donné depuis Menton. Les charmes de l’arrière-pays m’avaient beaucoup plu et la météo était au grand beau pour un mois de février. J’ai ensuite pris l’habitude de rester sur la côte entre Paris-Nice et Milan-Sanremo. En 2005, l’hiver avait été délicat en Belgique et Bradley McGee, qui était alors mon équipier à la Française des Jeux, m’avait accueilli chez lui à Monaco et servi de guide. Tout ça pour dire que le choix de venir vivre ici ne s’est pas fait sur un simple coup de tête."
Difficile, l’adaptation ?
"Ma grande chance a été de pouvoir compter sur Vincent Wathelet (NdlR : son homme de confiance, producteur installé en Principauté de longue date) . Il nous a ouvert toutes les portes et fait gagner deux à trois ans, si pas plus, dans notre intégration. Cela n’a pas toujours été simple, au début, pour ma femme Patricia qui se retrouvait souvent seule du fait de mes déplacements, mais je pense que tous les expatriés vivent ce phénomène à un moment. Je n’ai jamais regretté ce choix.."
La Belgique vous manque-t-elle ?
"Lorsque je reviens au pays pour une course comme le Tour de Wallonie, par exemple, je suis émerveillé par la verdure (rires) . La Côte d’Azur est tout de même assez désertique en été mais en Belgique, je redécouvre les champs et les vaches qui broutent paisiblement. Ce sont des choses qu’on viendrait presque à oublier. Je suis un amoureux de la nature et le biotope est ici différent."
La concentration de coureurs pros à Monaco est conséquente (plus de 40). Est-ce un atout de plus pour vos entraînements ?
"Partagez mes séances avec les meilleurs coureurs du monde, c’est un avantage. Cet hiver, j’ai effectué un peu plus de sorties en groupe, là où par le passé je m’entraînais de manière plus solitaire afin de suivre à la lettre les exercices planifiés par les entraîneurs. Je me suis rendu compte que cela ne me convenait pas totalement, et que pour le mental, j’avais besoin de partager un bout de route avec d’autres. Je suis un homme de contact. Au bout de la journée, le bilan est au final souvent identique voire meilleur."
Votre magasin de cycles est-il un signe de votre volonté de vous installer durablement en Principauté ?
"Cela a d’abord été une opportunité. Le magasin appartenait à Gilles Panizzi, l’ancien pilote de rallye. Je lui ai présenté un projet qu’il a d’abord refusé avant de revenir vers moi six ou sept mois plus tard. Il nous a fallu du temps pour tout mettre en place mais cela fait plus d’un an et demi que le commerce est ouvert. Nous avons développé pas mal de choses sur une superficie de 150 m2. Nous commercialisons d’autres marques de vélo, mais mettons l’accent sur BMC. C’est une fierté pour moi, à mon niveau, de créer des emplois. J’ai un mécanicien, mon ami Chris, qui est au magasin à temps plein, et ma femme Patricia qui y œuvre aussi."
Quels sont les endroits que vous affectionnez à Monaco ?
"Le jardin japonais, proche du tunnel emprunté lors du GP de F1, est super avec les enfants. Il y a des carpes énormes ! En face du casino, mes deux fils adorent aller voir les canards. J’habite désormais sur le rocher, là où se trouve le palais princier. L’atmosphère est très différente de celle du reste de la ville. C’est un peu comme un petit village aux influences italiennes et provençales. C’est très tranquille. Les gens ont parfois une image bling bling de Monaco, mais il y a un tas d’autres facettes. Quand on connaît les bons endroits, la vie ne coûte pas vraiment plus cher qu’ailleurs. On y mange un excellent plat de pâte pour 10 euros."
"2015 n’a pas été un grand cru"
Des douleurs au genou droit, consécutives à sa chute sur la Flèche Wallonne, ont gêné le Wallon durant près de six mois.
Quel bilan tirez-vous de votre saison 2015 ?
"Cette année n’aura pas été un grand cru. Je continue de viser des succès sur des grandes courses. À l’Amstel, il n’a vraiment pas manqué grand-chose pour faire basculer le scénario en ma faveur avant que ma chute sur la Flèche Wallonne ne vienne gâcher beaucoup de choses. Je me sentais super bien physiquement juste avant. J’étais prêt pour le final du Mur de Huy et celui de Liège-Bastogne."
Vous aligner sur la Doyenne n’a-t-il pas été une erreur ?
"Si, tout à fait. J’ai eu énormément de pression. Un tas de choses entrent en considération : il y a le public et la famille qui attendent ce moment depuis des semaines… Dans le même état physique à la veille du Tour de Lombardie, je n’aurais assurément pas pris le départ. Comme je me savais dans une grande condition, je m’étais aussi convaincu que cela pouvait tout de même passer, que la douleur disparaîtrait peut-être sur le vélo au bout de trois heures de course. Je me suis raccroché à des choses sans doute stupides mais je tentais de trouver une motivation. Je suis allé très loin dans la douleur ce jour-là… Je ne pouvais pas m’asseoir sur la selle car il me manquait de la peau un peu partout. Enfiler mon cuissard au matin de l’épreuve avait été pénible…"
C’est pourtant dans la foulée de votre chute sur la Flèche Wallonne que vous épinglez vos deux plus beaux succès de la saison, sur le Giro. Paradoxal non ?
"J’y ai souffert, tout le monde a pu le voir en interne au sein de l’équipe, mais j’ai évité de communiquer sur le sujet. J’ai traîné cela jusqu’au terme de la saison. Au Mondial, j’avais un déficit de quatre centimètres au niveau de la circonférence musculaire de ma cuisse droite par rapport à ma jambe gauche. Je pédalais à 50 % de mes capacités avec une de mes deux jambes. En compensant, des maux dans le dos et les pieds sont apparus. Une boule s’est même créée en dessous de ma voûte plantaire, du fait d’un appui qui n’était plus naturel, et on a craint que cela tourne en kyste. Même en marchant, j’avais mal…"
La douleur est-elle encore présente aujourd’hui ?
"Non, heureusement. Cela fait maintenant trois semaines que je ne souffre plus du tout. C’est le repos qui m’a permis de guérir. Après ma coupure hivernale, j’ai ressenti une très légère douleur lorsque je suis remonté sur le vélo, mais celle-ci a désormais totalement disparu. Je n’y pense plus et je retrouve mon équilibre en machine. J’ai encore un mois de rééducation à suivre mais je serai normalement à 100 % pour le début de la saison."
Votre cabriole dans la descente du Poggio a-t-elle, elle aussi, perturbé votre saison ?
"Oui, elle m’a arrêté… J’étais ouvert de partout mais le plus gros problème est que cela m’a empêché d’accomplir les grosses charges d’entraînement nécessaires à ce moment de l’année dans la perspective des classiques."
"Le Ronde reste une envie"
Le Wallon pense pouvoir faire cohabiter pavés et Wallonnes dans son programme
Avez-vous déjà une idée de votre programme pour la prochaine saison ?
"Pas encore, mais il est prévu que nous en discutions avec le staff au début du stage qui nous attend mercredi en Espagne."
Un sujet devrait revenir sur la table : celui de votre participation au Tour des Flandres…
"Cela reste une envie de ma part, ce n’est pas un secret. De très nombreuses équipes s’alignent au départ de cette épreuve avec deux ou trois leaders et je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas en faire de même."
Vous aligner sur le Ronde n’hypothèque, selon vous, pas vos chances de succès pour les classiques ardennaises ?
"Non, il est tout à fait possible de faire cohabiter ces rendez-vous dans un calendrier. Je l’ai d’ailleurs déjà prouvé dans le passé puisque je suis monté sur le podium en 2009 et 2010 avant de m’illustrer sur les Wallonnes. Un tel effort, long de six heures, est même selon moi bénéfique."
Votre souhait de goûter de nouveau aux pavés porte-t-il aussi sur Paris-Roubaix ?
"Non, pas tout de suite. Pour ambitionner de briller dans l’Enfer du Nord, il faut davantage viser les trois semaines s’étendant du Ronde à l’Amstel avant d’éventuellement participer à Liège-Bastogne-Liège, mais dans la peau d’un équipier de luxe. Je reste toutefois convaincu que Roubaix est une épreuve qui peut potentiellement me convenir. Je n’y ai participé qu’une fois, en 2007 (NdlR : 52e) . Je suis bon pilote, je sens plutôt bien la course et ne suis pas des plus légers."
Avec les années qui passent, avez-vous le sentiment que le Ronde convient encore plus à vos caractéristiques ?
"Je ne suis pas quelqu’un qui aime donner son avis sur des choses que je ne connais pas vraiment. Je n’ai fait le nouveau parcours qu’une seule fois, en 2012 (75e) , dans de très mauvaises conditions puisque j’étais alors gêné par mes problèmes dentaires. Je n’ai donc pas pu m’y tester."
"Nous vivons une guerre"
À l’initiative de l’association Peace and Sport, Philippe Gilbert a pris part, il y a un peu plus de dix jours, à une marche pour la paix dans les rues de Monaco en compagnie de Chris Froome et d’autres athlètes avant d’adresser un message de soutien aux forces de l’ordre via Twitter. "Les événements tragiques que nous venons de connaître ne peuvent laisser personne indifférent. On ne s’en rend pas tout à fait compte, mais nous sommes en train de vivre une guerre. Je ne vous cache pas que, dans le contexte actuel, la perspective du Tour de France, et son retentissement mondial, me fait peur. Si la personne qui a fait irruption sur les Champs-Élysées lors de la dernière Grande Boucle avait été un kamikaze… Notre sport connaît déjà certaines difficultés économiques et si les organisateurs doivent ajouter à leurs frais fixes un surcoût pour la sécurité, je crains que de nombreuses épreuves ne risquent de disparaître… La force du cyclisme a toujours été la proximité qu’il entretient avec le public. Le problème est donc complexe."
Il a boycotté les cérémonies
Entretenue par une partie de la presse flamande, l’opposition Greg Van Avermaet-Philippe Gilbert est un feuilleton qui lasse désormais le Wallon. "Cela m’agace et c’est pour cette raison que je ne me suis rendu ni au gala du Flandrien ni à celui du Vélo de Cristal. La presse flamande m’a causé énormément de tort cette année en étant très négative à mon égard. Je leur ai signalé qu’en remerciement, je ne voterais ni ne me déplacerais sur ces deux événements. Cela me met dans une position inconfortable vis-à-vis de BMC qui pourrait en venir à douter de ce que je raconte aux journalistes… Il y a une rivalité sportive entre Greg et moi. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres équipes, nous n’avons jamais roulé l’un contre l’autre. Il y a deux ou trois ans, Greg était moins fort, mais il s’est amélioré et nous sommes amenés à nous retrouver plus souvent ensemble dans des finales."