Les lieux mythiques du cyclisme: à Arenberg comme à la mine
Découverte par une ancienne gueule noire, la Drève des Boules d’Hérin propose aux coureurs un supplice digne d’une plongée dans la fosse d’Arenberg.
- Publié le 12-04-2019 à 07h30
- Mis à jour le 12-04-2019 à 15h10
Découverte par une ancienne gueule noire, la Drève des Boules d’Hérin propose aux coureurs un supplice digne d’une plongée dans la fosse d’Arenberg. Le lendemain de Paris-Roubaix 1967, Jacques Goddet, à l’époque directeur de L’Équipe , confia à Albert Bouvet la mission de dénicher de nouveaux secteurs pavés. Il faut dire qu’à la fin des années 60, l’Enfer du Nord portait de moins en moins bien son nom. La raréfaction des pavés avait eu pour conséquence de proposer une 65 e édition de Paris-Roubaix assez fade où Jan Janssen avait triomphé.
Pour satisfaire Jacques Goddet, Albert Bouvet eut alors l’idée de consulter son ami Jean Stablinski, champion du monde 1962. Le coureur nordiste, originaire de Thun Saint-Amand à quinze kilomètres d’Arenberg, proposa alors à Albert Bouvet la Drève des Boules d’Hérin (NdlR : autre nom de la Trouée ou Tranchée d’Arenberg), infâme tronçon de 2 300 mètres traversant la forêt domaniale de Raismes-Saint-Amand-Wallers. Ce secteur pavé pouvait alors faire son apparition dès 1968, année où Eddy Merckx s’imposa pour le plus grand bonheur de Jacques Goddet.
Ce Paris-Roubaix-là, Jean Stablinski, pour sa dernière année de compétition, le termina à la 24e place. Le plus grand coureur nordiste de tous les temps, également mineur dans sa jeunesse, accéda à la postérité en devenant "le seul coureur à être passé au-dessus et en dessous" de la Trouée d’Arenberg. Un chevalet, présent juste avant l’entrée dans la Drève des Boules d’Hérin, rappelle d’ailleurs chaque année aux coureurs et aux téléspectateurs l’exploitation minière, qui rythma la vie des habitants de la région pendant plus d’un siècle.
À ce titre, la Tranchée d’Arenberg est le parfait symbole d’une course devenue au fil du temps le fleuron d’un département. Les coureurs qui affrontent les pavés, la poussière et la boue, ressentent, le temps d’une journée, l’enfer décrit dans le roman Germinal d’Émile Zola. "On entre à plus de 60 km/h et d’entrée de jeu, on se fait secouer dans tous les sens ; c’est ce qui est le plus pénible. Le pavage est vraiment différent des autres secteurs. Les pavés sont très écartés les uns des autres et il n’y a pas vraiment de ligne de roulement. C’est complètement bancal et il n’y a pas un endroit où on est à l’aise", témoigne Thierry Gouvenou, successeur d’Albert Bouvet au poste de directeur technique et septième de la course en 2002.
Au fil des éditions et au gré des chutes et des drames qui s’y sont noués, la Trouée d’Arenberg est devenu un secteur pavé mythique. Car Paris-Roubaix peut se perdre dès ce tronçon pourtant situé à près de cent kilomètres de l’arrivée au vélodrome. "C’est compliqué car il faut être placé, aller vite et prendre soin de son matériel pour éviter de le massacrer. C’est un moment clé de la course où il ne faut pas se louper pour ne pas laisser partir le bon coup", détaille Thierry Gouvenou.
La Tranchée d’Arenberg est également considérée comme étant intrinsèquement le secteur pavé le plus difficile de l’Enfer du Nord. "Après 500 mètres de descente, on aborde un faux plat montant où il faut envoyer les watts. Je ne sais même pas s’il y a 1 % mais on sent bien la différence entre la partie descendante et la partie montante. Il ne faut pas multiplier les catégories mais ce secteur est un peu hors-catégorie. Il a été classé en cinq étoiles mais s’il se trouvait dans le final à la place du Carrefour de l’Arbre, il faudrait sans doute créer une catégorie spéciale", assure le directeur technique.
À l’image de Paris-Roubaix à la fin des années 60 ou de l’exploitation minière dans les années 70, la Trouée d’Arenberg ressemblait ces dernières années à un monument en péril. Des travaux ont néanmoins débuté cette année pour permettre à la Drève des Boules d’Hérin de ne pas être définitivement ensevelie par la forêt qu’elle traverse. "Sur les quatre ou cinq dernières années, c’était vraiment devenu impraticable en cas de pluie", affirme Thierry Gouvenou.
Ce lifting va permettre au secteur de 2 300 mètres d’être moins dangereux à l’avenir tout en restant aussi difficile. Les coureurs de Paris-Roubaix vont ainsi continuer à ressentir, le temps de la traversée de la forêt d’Arenberg, le calvaire enduré par les mineurs.
L'oeil du coureur par Tiesj Benoot: “Arenberg est mythique”
Tiesj Benoot s’apprête à participer à son troisième Paris-Roubaix après deux premières tentatives infructueuses en 2015 (100 e) et 2016 (114 e). Lors de ces deux apparitions, le coureur Lotto-Soudal a tout de même eu le temps de percevoir l’aspect légendaire de la Trouée d’Arenberg. “Tu entres dans ce secteur avec une telle vitesse et il y a eu tant de chutes et tant de crevaisons à cet endroit qui ont influencé la course. Tout cela rend Arenberg mythique”, témoigne Tiesj Benoot. Celui qui a récemment terminé neuvième du Tour des Flandres ne considère toutefois pas la drève des Boules d’Hérin comme le tronçon pavé le plus compliqué de Paris-Roubaix. “C’est un secteur difficile, mais au même titre que le carrefour de l’Arbre ou Mons-en-Pévèle qui sont horribles. Le fait que ce tronçon intervienne plus tôt le rend un peu plus facile. Mais plus dangereux également car le peloton est encore important. Alors qu’au carrefour de l’Arbre, c’est une longue ligne droite où il n’y a plus que trente coureurs maximum. Donc ça fait beaucoup plus mal car il faut s’accrocher pour pouvoir suivre.”
Tiesj Benoot reconnaît toutefois que la Trouée est une zone ultra-stratégique de Paris-Roubaix malgré le fait que ce tronçon se trouve à près de cent kilomètres de l’arrivée. D’autant que le coureur Lotto-Soudal a perdu ses illusions à Arenberg lors de ses deux participations. “Le plus important selon moi, c’est le placement. La première fois je suis entré mal placé à cause d’une chute et la seconde fois j’ai crevé dans ce secteur et c’était très difficile de revenir ensuite. D’autant que les voitures sont très loin à cet endroit”, concède Tiesj Benoot.
Comme bon nombre de coureurs, le Gantois appréhende la forêt d’Arenberg et ses pavés ultra-glissants. “La dangerosité du secteur est quand même un facteur important et ça oblige aussi à bien se placer pour éviter les chutes. Mais la rénovation d’Arenberg devrait arranger les choses. J’ai hâte de découvrir la nouvelle version de ce secteur en course”, assure Tiesj Benoot.
Avec une entrée de tronçon déjà rénovée, le Gantois va tenter de domestiquer les pavés de la Trouée d’Arenberg. Et ainsi s’offrir une chance de réussir sa première performance sur Paris-Roubaix.