Rescapée du festival Nova le 7 octobre, Laura Blajman-Kadar témoigne : “J’ai prié afin de mourir. J’ai prié pour que ça se termine vite”
Rescapée du festival Nova, où le Hamas a fait 364 victimes le 7 octobre 2023, la Franco-Israélienne parle des 6 heures d’angoisse dans sa cachette, où elle s’est vue mourir.
- Publié le 20-04-2024 à 12h04
- Mis à jour le 23-04-2024 à 10h45
Mercredi, cela fera 200 jours que les terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023, ont commis des massacres en Israël, assassiné près de 1 200 personnes, violé des femmes et kidnappé 240 personnes dans la bande de Gaza, où 130 sont toujours retenues en otage. Le festival Nova, où la musique techno est mise à l’honneur, a été particulièrement touché. Le Hamas a débarqué, dès 6 h 30, pour assassiner 364 personnes qui ne pensaient qu’à faire la fête. Certains festivaliers ont toutefois trouvé refuge pendant six heures dans une cachette, dont ils ont bien cru ne jamais pouvoir sortir. Nous avons eu l’occasion de rencontrer une rescapée.
Malgré les souvenirs douloureux, Laura Blajman-Kadar affiche un sourire, qui résonne comme une lueur d’espoir. La jeune femme de 35 ans, née à Metz et qui a émigré en Israël avec ses parents à 8 ans, témoigne simplement de ce qu’elle a vécu ce funeste 7 octobre. Comme elle l’a fait dans son livre “Croire en la vie”, paru aux éditions Robert Laffont et qu’elle est venue présenter cette semaine à la librairie Filigranes, à Bruxelles. Entretien poignant.
Des roquettes
Organisatrice du festival Unity, qui se déroulait sur les lieux du drame quelques heures avant, Laura Blajman-Kadar se trouvait sur les marches de sa caravane, avant de rejoindre la piste de danse. “Je fais mes lacets et je regarde le ciel. On voit les roquettes exploser. Cela a pris quelques secondes pour que les producteurs comprennent ce qu’il se passe. Ils ont coupé la musique et ont dit au micro : 'Il y a une attaque de roquettes. Sortez.' On était dans une forêt. Il n’y a pas d’alarme, pas d’abri. Les seules instructions : s’allonger dehors, par terre, avec les mains sur la tête, s’éloigner des voitures qui peuvent prendre feu.”
Grâce aux instructions, apprises dans un pays où les alertes à la roquette sont récurrentes, Laura Blajman-Kadar, son mari et ses amis prennent la bonne décision. “On est mal à l’aise mais on n’est pas hystérique. Après 40 minutes, on se dit qu’il y a quelque chose de bizarre. Cela ne s’arrête pas. Après une heure, on retourne mettre nos affaires dans la caravane et on entend un bruit de mitraillette. C’est très bizarre.”
Les mitraillettes, le déclic
Le groupe réalise l’ampleur des événements lorsqu’on leur annonce qu’un de leurs amis, musulman, s’est fait tirer dessus. “On monte dans la voiture, une copine m’appelle et me dit qu’il y a des terroristes. On se gare et on réfléchit. On voit des blessés, des gens qui ont tenté de partir et sont revenus pour les secours. J’avais compris : des terroristes allaient débarquer. On entend des mitraillettes automatiques. Il y a deux policiers, avec un revolver ; ils ne vont pas nous sauver…”
Son service militaire de 7 ans lui a permis de rester calme. “C’est une forêt immense. Cela ne sert à rien de courir. On ne va pas se cacher derrière un arbre. On prend la décision d’entrer dans la caravane.”
Une caravane toute simple
Une caravane pour deux passagers mais où sept personnes vont trouver refuge, de 8 h à 14 h. “Quand les terroristes étaient à la porte, en train d’essayer de rentrer, je me suis sentie coupable. Je me disais : 'On va tous mourir ; c’est de ma faute'. Quand on est sorti et que j’ai vu les morts, j’ai compris que c’était une bonne décision.”
Les minutes s’égrènent comme des heures, qui ressemblent elles à des jours. “La porte était fermée à clé avec une fermeture en plastique. Ils n’ont pas réussi à l’ouvrir. Mon mari tenait la porte mais c’est la fermeture en plastique qui les a empêchés d’ouvrir. Ils ont tapé sur les fenêtres. Elles étaient en plastique, ont rompu mais ne se sont pas brisées. J’étais assise par terre. À un moment, j’entends un terroriste, debout à côté de la caravane, avec sa mitraillette. Ils ont tiré sur la caravane ; la balle passe à côté de mon mari. Aucune balle n’a touché l’une des sept personnes. Oui, c’est une sorte de miracle.”
Chaleur étouffante
Le stress est permanent. Un terroriste tente d’ouvrir la porte mais crie qu’il y a des survivants plus loin. Un bruit de mitraillette se fait entendre. Les rescapés de la caravane ont compris. Leurs communications sont limitées. Les regards remplacent des mots, avec le secours de WhatsApp. “On a le temps de penser à tout quand on est en danger de mort. Pendant toute la journée, j’ai menti à mes parents ; je leur ai dit que j’étais à l’abri. Vu que je ne répondais pas au téléphone, ils ont compris.”
Il faut songer à survivre. “À 11 h, il faisait très chaud dans la caravane, 40 degrés environ, avec 7 personnes. Je me suis dit qu’on allait mourir à cause d’un manque d’oxygène.”
J’ai prié afin de mourir. J’ai prié simplement pour que ça se termine vite.
Et puis arrive un moment glaçant. “Mon mari, qui parle arabe, entend un terroriste dire : “Il y a des vivants, venez”. Il me regarde et il me dit : “C’est terminé”. J’envoie à un ami un message destiné à mes parents disant que je les aime. Mon mari et moi, on s’est regardé, on a chuchoté. Il m’a dit qu’il m’aimait, je lui ai dit que je l’aimais. Puis j’ai fermé les yeux. J’ai prié afin de mourir. J’ai prié pour que ça se termine vite.”
La peur d’être otage
Via les réseaux sociaux, Laura et ses amis voyaient le sort réservé aux otages à Gaza. “C’était clair. Je préférais mourir que d’être ramenée à Gaza, d’être violée. J’ai demandé à ma grand-mère qui n’est plus là de faire en sorte que je la rejoigne vite.”
Je préférais mourir là dans la caravane que d'être ramenée à Gaza, d’être violée.
L’armée arrive enfin. Après des échanges de coup de feu et l’assurance que Tsahal a bien repris possession des lieux, les occupants de la caravane peuvent enfin la quitter. Et l’horreur de s’imprimer sur leurs rétines. “C’était ouvrir les portes de l’enfer. Même si pendant 6 heures, on entend les gens hurler, on entend des choses atroces… C’était loin des choses qu’on a vues. On ne pouvait pas s’attendre à voir des dizaines de gens par terre.”
Laura, son mari et ses amis doivent enjamber les corps des festivaliers, leurs amis, pour retrouver leur voiture, avec laquelle ils doivent slalomer entre les impacts de roquettes, les voitures calcinées. “Quand nous sommes rentrés chez nous, les premiers à nous enlacer sont nos voisins musulmans, qui ont demandé pardon et ont dit que cela ne les représentait pas. C’est très dur de reprendre une vie après qu’on a renoncé à la vie. On a toujours cette sensation qu’on aurait dû être emmené à Gaza. Des amis ne sont toujours pas revenus. On ne peut pas envisager d’essayer de reprendre la vie.”
Parler, une nécessité
Les premières semaines sont difficiles. “On enterre nos amis les uns après les autres. On ne comprend pas pourquoi nous on est là et eux sont en bas. Au début, je ne voulais pas parler aux médias. Je voulais retourner à l’armée. Mais s’il y a beaucoup de capitaines dans l’armée, il y a peu de rescapés qui parlent français et peuvent témoigner. J’ai culpabilisé. J’ai finalement eu beaucoup de chance ; je suis rentrée vivante avec mon mari. Des parents éplorés m’ont donné la force de témoigner. Et c’est important : dès le 8 octobre, on pouvait entendre que les massacres n’étaient pas arrivés.”
Accompagnée par son mari, qui préfère ne pas s’exprimer, Laura témoigne en Europe depuis cinq mois. Ils ont pris le temps de souffler en faisant, enfin, leur voyage de noces, en Inde. “Cela prend quelque temps pour comprendre qu’avec ce qu’il s’est passé, on ne peut pas s’en sortir seul, explique celle qui est suivie par un psychologue en Israël grâce à Zoom. Je repense aux images ; je fais des cauchemars. Il suffit qu’une porte claque trop fort pour que je pense que quelque chose arrive.”
C’est très dur d’avoir renoncé à la vie et de revenir...
Des suicides parmi les rescapés
Ce n’est pas simple de survivre. Des dizaines de rescapés se sont donné la mort, après être revenus de l’enfer. “On parle pour ceux qui n’arrivent plus à le faire, évoque Laura Blajman-Kadar. C’est très dur d’avoir renoncé à la vie et de revenir… Et nous, encore, nous étions dans la caravane. On a constaté le massacre quand on est sorti…”
Depuis le 7 octobre, les actes antisémites explosent en Europe et aux États-Unis. “Savoir que des juifs ont peur, ne parlent pas hébreux, cachent leur mezouzah, c’est effrayant pas seulement en tant que survivante du festival Nova mais en tant que Française. On parlait d’enfants avec mon mari, le 6 octobre. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Si je donne la vie à quelqu’un, vivra-t-il en Israël en lui disant qu’il doit faire attention à chaque situation ou en Europe, où il doit se cacher ? C’est triste à dire mais en étant juif aujourd’hui où est-ce qu’on a le droit de vivre sans déranger personne ?”
130 otages sont toujours détenus à Gaza et font l’objet de tractations, que le Hamas abandonne rapidement, lui qui a perpétré ces attaques sanglantes et kidnappé, hommes et femmes, bébés comme Kfir Bibas ou vieillards. “Il faut avoir des lunettes antisémites pour être capable de voir le Hamas comme un groupe légitime.”
J’aurais dû être là-bas et si cela avait été le cas, j’aurais voulu savoir que mon pays se bat pour moi.
En attendant, des familles, des femmes et des maris sont dans l’angoisse. Laura Blajman-Kadar espère, elle, le retour de tout le monde mais surtout de quatre amis : Eliya Cohen, Elkhan Ohbot, Bar Kupershtein et Rom Braslavski. ” Si j’avais été là-bas, j’aurais voulu savoir que mon pays se bat pour moi. Comment aider un survivant à reprendre goût à la vie ? (Silence) Je ne sais pas… Ramener les otages, mais seul le Hamas peut le faire. On peut continuer à parler, parler des gens qui ne sont plus là, parler de ce qu’il s’est passé.”
La reconstruction prendra du temps. Mais Laura Blajman-Kadar est une femme forte, dont l’abnégation force l’admiration. Elle dansera à nouveau, mais pas tout de suite. “On n’est plus les gens qu’on était. On ne sait pas encore exactement ce qu’on est. On se remettra à organiser des festivals. Quand et où ? Je ne sais pas encore.”
À un moment ou à un autre, on sera bien obligés d’habiter les uns aux côtés des autres, calmement. Mais les extrémistes rendent ce travail très dur.”
La Franco-Israélienne aimerait un jour ne plus avoir à témoigner. “Croire en la vie (NdlR : titre de son livre), c’est continuer à croire qu’en fin de compte, cela ira. Israël ne bougera pas et restera là. C’est la même chose pour les Palestiniens. À un moment ou à un autre, on sera bien obligés d’habiter les uns aux côtés des autres, calmement. Mais les extrémistes rendent ce travail très dur.”