"Le pronostic vital du Standard est largement engagé": un criminologue évalue les plaintes gravissimes envers 777 Partners
Le Standard est en crise : dettes, joueurs non payés, possible grève, interdiction de transfert… En cause notamment, 777 Partners, unique actionnaire du club, qui tarde à payer. Pire : le fonds américain est confronté aujourd’hui à une quinzaine de plaintes déposées aux États-Unis et en Belgique. Analyse et interview du criminologue Michael Dantinne.
- Publié le 08-05-2024 à 19h01
- Mis à jour le 09-05-2024 à 19h17
Les choses ne sentent pas très bon du côté de Liège. Depuis des semaines, les interrogations financières s’accumulent du côté du Standard. La raison majeure est à aller chercher du côté du fonds américain 777 Partners, son unique actionnaire depuis avril 2022. est confronté aujourd’hui à une quinzaine de plaintes déposées aux États-Unis et en Belgique, notamment pour des impayés et des suspicions de fraude. Parmi ces plaignants, il y a une société qui demande quelque 600 millions de dollars. Nous avons pu consulter cette plainte de 82 pages.
Criminologue à l’ULG et notamment spécialisé dans la criminalité en col blanc et les fraudes dans le foot, Michael Dantinne nous éclaire sur ce dossier. Et n’est guère optimiste pour le Standard…
Michaël Dantinne, les supporters du Standard s’inquiètent désormais pour leur club en raison des allégations de fraudes rendues publiques sur le propriétaire, 777 Partners. À juste titre ?
”Je le pense. Le Standard est en urgence absolue, le pronostic vital est largement engagé. Pour comprendre, il faut donner quelques chiffres. Les derniers comptes publiés (période 1/7/22 – 30/6/23) montrent notamment que le club a 55 000 000 euros de dettes pour 34 000 000 d’actifs. En clair : si on devait, par exemple dans le cadre d’une faillite, revendre tous les avoirs du club, il manquerait 20 000 000… Et le Standard a perdu, toujours sous le même exercice, un peu plus de 20 000 000 d’euros, comme l’année précédente et rien ne laisse présager une amélioration. Le Standard n’est plus propriétaire de son stade.”
Quel lien avec les déboires de leurs propriétaires ?
”Le lien, c’est que le Standard ne survit que grâce à la perfusion de son propriétaire ! 777 Partners a injecté pas mal d’argent dans le club, sous forme de prêts et d’augmentations/réductions de capital, mais tout a déjà été englouti par les pertes. Si ce baxter est arraché, le Standard risque la mort : c’est certain.”
Qu’est-ce qui est reproché aux propriétaires américains ?
”Pas mal de choses ! Très complexes et très simples à la fois. Ils sont notamment l’objet d’une plainte, qui vise une série d’entreprises de la constellation 777 Partners, qui est juste un holding sans activité réelle autre que de gérer les satellites du groupe, mais qui vise aussi aussi une société qui est très proche de 777. Et puis, ils ont beaucoup d’autres problèmes.”
”777 Partners proposait aux USA à des gagnants de loterie type Win for Life de leur donner une somme cash, tout de suite en échange de leurs gains mensuels”
Commençons par la plainte : que révèle-t-elle ?
”Je dois d’abord dire que toute plainte est un point de vue partial, celui du plaignant. Il faut donc mettre du conditionnel sur ce qui suit. Mais la plainte est bien documentée. Elle émane d’une entreprise qui a fait plus de 600 millions de dollars de prêt à des sociétés de 777 Partners. Une question importante est de savoir pour financer quelles activités parce que ça donne une idée de l’origine d’une partie des richesses de 777 qui, faut-il le rappeler, s’est toujours présentée comme investissant son propre argent (Private Equity) et non comme faisant des investissements pour des clients.”
Quel est leur business alors ?
”À la base, visiblement, 777 Partners proposait à des gagnants de loterie type Win for Life, où on gagne une somme mensuelle pendant un temps limité ou jusqu’à sa mort, de leur donner une somme cash, tout de suite, en échange de leurs gains mensuels. Les gagnants avaient une grosse somme toute de suite et 777 fait un bénéfice parce que la somme immédiatement payée était moindre que le montant total collecté au bout des mensualités. Ils auraient fait la même chose avec les indemnisations des personnes blessées (accidents de la route, du travail, …) qui peuvent chiffrer très fort aux USA : idem, on paye une somme tout de suite et on encaisse.”
Pourquoi dites-vous que connaître ce business est important pour comprendre la situation actuelle ?
”Parce que c’est une activité purement financière. Qu’elle crée un problème de liquidités : ok, vous allez gagner de l’argent à la fin des mensualités que vous allez toucher à la place du gagnant ou du blessé, mais ça va prendre du temps. Donc, vite, il va falloir des liquidités. Et puis, c’est un business risqué : quid si la personne meurt vite ? Il va donc falloir se réassurer. C’est pour cela que 777 aurait emprunté 600 millions de dollars au total à ceux qui déposent aujourd’hui plainte contre eux, Leadenhall.”
"Une erreur comptable de 777? Ce narratif de l’erreur, je l’ai déjà entendu tellement de fois dans les fraudes éco-fin: Enron, Lernout & Hauspie…"
Qu’est-ce qu’ils leur reprochent ?
”Que pour avoir un taux d’intérêt favorable, et surtout obtenir les prêts, 777 devait mettre en caution des avoirs d’un montant de 350 millions d’euros, leur appartenant, en garantissait aux prêteurs (Leadenhall) qu’ils seraient les seuls à avoir un droit de gage sur ces avoirs. Le 19 septembre 2022, ils ont cependant reçu un email anonyme, comme dans un film, leur indiquant que ces avoirs mis en gage n’existaient pas (parce que c’étaient des trucages comptables) ou avaient déjà mis en gage auprès d’autres prêteurs. Leadenhall explique alors qu’ils ont investigué et contacté le patron de 777, Josh Wander, pour avoir des explications. Celui-ci, dans une conversation enregistrée, a d’abord expliqué que cela ne concernait qu’une somme limitée et que cela résultait d’erreurs comptables (il rit).”
Pourquoi riez-vous ?
”Je ris parce que, si je reste prudent ici en raison de la présomption d’innocence, le narratif de l’erreur comptable, je l’ai déjà entendu tellement de fois dans les fraudes éco-fin : Enron, Lernout & Hauspie,… Je ne dis pas que ce sont des fraudeurs, mais c’est le langage habituel, temporaire, des auteurs de ce type de fraude en fait.”
Et qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?
”Les plaignants expliquent qu’ils ont reçu un deuxième email. Et que dans ce mail, une employée du groupe 777 explique qu’il leur a été demandé, en gros, de falsifier les comptes pour suivre ce narratif, donc frauder pour maquiller les fraudes.”
C’est grave, non ?
”La plainte se termine en requérant qu’une kyrielle d’infractions criminelles, en plus des dommages civils. Et aux USA, les peines sont très dures pour cela. Mais ce n’est pas tout…”
Pas tout ?
”Il y a d’autres allégations dans la plainte. À mon sens, tout autant sinon plus inquiétantes. Elle vise une autre société, Advantage Capital Holdings (A-CAP).”
”A-CAP et 777re se sont servis de l’argent de tous les Américains qui payent leur police d’assurance-vie pour les investir, ensemble, notamment dans des compagnies d’aviation low cost et des clubs de foot.”
Qu’est-ce qu’on leur reproche ?
” A-CAP est, pour faire simple, une entreprise d’assurance. Ils vendent notamment, à l’échelle des USA, des assurances-vies. Vous comprenez maintenant comment les deux entreprises se sont liées parce que, pour son business sur les loteries et les blessés, 777 avait besoin d’assurances. Mais c’est la même chose pour A-CAP : toutes les compagnies qui vendent des assurances-vies doivent elles-mêmes s’assurer, c’est la réassurance. 777 a alors créé une filiale (777re), dans le secteur de la réassurance pour vendre cette couverture à A-CAP.”
Où est le problème ?
”Le problème, si on suit les plaignants, c’est qu’A-CAP et 777re se sont servis de l’argent des Américains qui payent leur police d’assurance-vie pour l'investir, ensemble, notamment dans des compagnies d’aviation low cost et des clubs de foot. Si c’est vrai, c’est délirant.”
Pourquoi délirant ?
”Le réassureur et l’assureur ne peuvent pas investir ensemble : s’ils font faillite en raison d’investissement, les ayants droit de ceux qui ont souscrit des contrats d’assurance-vie ne toucheront rien… En fait, A-CAP serait devenu le banquier de 777 et aurait prêté à ce dernier une somme estimée entre 2 et 3… milliards de dollars. Possiblement pire, A-CAP aurait pris totalement le contrôle de 777, prenant toutes les décisions et payant même le personnel de 777, le tout de manière officieuse mais un enregistrement du patron de 777 reconnaîtrait pourtant ce total contrôle. Et j’ajoute que A-CAP est dans le collimateur des autorités des Bermudes, où elle est implantée, et sa note de confiance a été dégradée. Et, surtout, que ses avoirs auraient été gelés. Cela pourrait être un robinet, que dis-je, une énorme vanne qui est ainsi fermée.”
Pourquoi ce mariage contre-nature ?
”Si ce qui est dit est vrai, l’un et l’autre ont tellement entrelacé leur destin qu’ils ont dû fuir en avant ensemble, sinon les deux risquaient de tomber.”
777 possède deux compagnies ultra low cost, Flair (Canada) et Bonza (Australie). Elles sont toutes deux en gros problèmes. Des enquêtes pour Tva impayées, des salaires non payés comme au Standard
Et le foot dans tout ça ?
”Avant le foot, il y a les compagnies d’aviation. 777 possède deux compagnies ultra low cost, Flair (Canada) et Bonza (Australie). Elles sont toutes deux en gros problèmes. Des enquêtes pour Tva impayées, des salaires non payés (comme au Standard) et l’une d’entre elles est même clouée au sol. A-CAP est aussi partenaire. Et ce qu’on reproche aussi à 777, c’est d’avoir (re) loué des avions à ses propres compagnies à des prix prohibitifs. 777 s’enrichirait alors, pendant que sa compagnie s’épuiserait. Ça ressemble à une pyramide de Ponzi, comme le reste d’ailleurs.”
Une pyramide de Ponzi ?
”Charles Ponzi est un Italo-Américain qui, dans les années 1920, s’est rendu célèbre en créant une fraude qui allait porter son nom. Dit simplement : on fait croire aux investisseurs qu’on a trouvé un truc magique (mais légal) pour rapporter des gros intérêts. En fait, on prend juste l’argent des investisseurs qui entrent dans le système pour rémunérer ceux qui arrivent à échéance. Le hic, c’est que c’est une exponentielle et qu’il en faut toujours plus, d’où la pyramide, et ça finit toujours par s’écrouler.”
”Grâce à ses achats de clubs, 777 espérait peut-être attirer des investisseurs et donc retrouver un argent qui commençait à manquer.”
Et le foot, donc ?
”Je vais me mouiller un peu… Je suis toujours resté sceptique sur l’arrivée de 777 dans le foot. Ceux qui ont gagné de l’argent dans le foot se comptent sur les doigts d’une main. 777, ce sont des financiers, pas des philanthropes, pas de richissimes individus qui s’offrent un jouet. Donc, des financiers hors pair qui viennent faire de l’argent dans le foot, c’est étrange. Encore plus quand on regarde quels clubs ils ont achetés : des clubs lourdement endettés, déjà en perdition. Avec un point d’orgue : la tentative de rachat de ce qui allait pouvoir être leur navire amiral : Everton. Club anglais, dans la ligue la plus lucrative, mais endetté à un niveau tel que le club a été sévèrement sanctionné par des retraits de points.”
Quelle explication alors à ces investissements déraisonnables ?
”Les plaignants expliquent que c’est une étape ultérieure dans la fuite en avant. Grâce à ses achats, 777 espérait peut-être attirer des investisseurs et donc retrouver un argent qui commençait à manquer. Ils ont lancé un appel, que Bloomberg a relayé pour trouver des partenaires pour 200 millions, ça a échoué. Ils ont refait un appel pour boucler le rachat d’Everton, club auquel ils ont prêté (à des taux très élevés) beaucoup d’argent. Ça traîne depuis des mois…”
Et donc ?
”Et donc, à force d’acheter, puis de remettre à flot des clubs qui sont autant de paniers percés, l’argent a commencé à manquer. Et puisque les possibilités de crédit disparaissent, à partir d’un moment… il n’y en a plus eu.”
Ça fait pas mal d’ennuis pour 777 ?
”On peut le dire ! Ma connaissance des affaires de ce type me fait vous dire aussi que, souvent, l’éclatement d’un problème rompt la confiance. Et tout le monde veut des comptes et le risque, alors, c’est que d’autres prêteurs découvrent les mêmes problèmes et là, c’est un cycle infernal qui débute. Souvent, à la fin, c’est la chute.”
Revenons au Standard, quelle est votre analyse ?
”D’abord que – j’insiste, si la plainte dit vrai – l’on comprend mieux pourquoi on a toujours eu l’impression que l’argent arrivait au compte-goutte et en retard. D’abord, l’argent a peut-être commencer à manquer tout simplement. Ensuite, si c’est A-CAP qui décide réellement depuis un certain temps, ça explique les longueurs. Et la fermeture de la vanne éclairerait l’accumulation des impayés.”
”Les clubs qui vont être les descendants sportifs de la saison seront peut-être tentés de sauver leur peau en profitant de la situation du Standard”
Vous évoquiez la mort du club ?
”J’ai lu et entendu ce qui ressemble à beaucoup d’inepties ces 72 dernières heures. Entre mauvaises analyses financières et juridiques. Contrairement ce que j’ai pu lire, une action en contestation de la licence pro du Standard n’est pas impossible. À partir du moment où, notamment, le Standard a obtenu cette licence avec une lettre de confort de ses propriétaires qui garantissait le club à concurrence de 38 000 000 d’euros et qu’il apparaît que cette lettre serait un engagement sur du sable, voire qu’elle aurait été signée par des dirigeants qui, dans les faits, n’avaient plus rien à dire (puisque c’est visiblement A-CAP qui prend les décisions), ça devrait éveiller des velléités. Je pense notamment aux clubs qui vont être les descendants sportifs de la saison et qui seraient tentés de sauver leur peau de cette manière. Et sans licence pro, plus de foot pro : la catastrophe.”
Et la faillite ?
”Je le répète, il est encore très tôt pour démêler le vrai du faux. Mais le problème, c’est que pour le Standard, le temps urge ! La liste des créanciers est déjà longue et vu les événements récents, qui concernent toutes les entreprises contrôlées par 777, elle devrait vite s’allonger. Même si 777 est dans son bon droit, ça ne sera pas tenable longtemps pour le club liégeois. Et la faillite, c’est donc l’autre spectre majeur. Sans l’argent de ses propriétaires, le Standard, qui ne cesse de faire des pertes, risque la cessation totale de paiements. Il n’est donc pas impensable que le Standard demande une procédure de réorganisation judiciaire, qui lui permettrait, de chercher des solutions et un éventuel repreneur. Si pas de repreneur, c’est alors la faillite. Mais le chemin d’une éventuelle reprise est long et très sinueux. Le Standard a pourtant besoin, en urgence d’un nouveau médecin, voire d’un hôpital entier, en fait : je ne vois pas d’autre issue pour le sauver.”