Des tribunes de presse aux événements sportifs, les influenceurs envahissent le monde du foot : “La porte ouverte à de nombreuses dérives”
Les services marketing des clubs et des institutions du foot cherchent à capter et séduire de nouveaux publics et cela passe par l’invitation de ces “insiders” du foot, véritables électrons libres sur les réseaux sociaux, souvent plus passionnés par les projecteurs et le buzz que par le ballon rond en lui-même. Un phénomène qui n’est pas sans impliquer certaines dérives. Analyse.
- Publié le 27-03-2024 à 06h41
- Mis à jour le 27-03-2024 à 09h29
A la surprise générale, Eden Hazard va faire son retour avec les Diables Rouges. Mais pas pour l’Euro 2024. Le néoretraité a en effet été sélectionné par Céline Dept, une influenceuse, qui représentera la Belgique à la Kings World Cup, du 26 mai au 9 juin. Une version futuriste d’un football plus dynamique et spectaculaire centré sur les réseaux sociaux. Une sélection qui n’est pas si surprenante quand on constate à quel point les influenceurs envahissent les grands événements sportifs et désirent transformer en profondeur ce sport tel qu’on le connaît. De la finale de la Coupe du monde au Qatar à la cérémonie du Ballon d’or, ils occupent une place de plus en plus importante dans le monde du ballon rond.
Dernier exemple en date lors de la cérémonie du Ballon d’Or 2023 à Paris où IShowSpeed, un youtubeur américain dont la chaîne est suivie par 21 millions d’abonnés, a mis en ligne de nombreuses vidéos où on le voit demander à Novak Djokovic qui il était ou réagir de manière caricaturale à l’annonce du Ballon d’Or attribué à Lionel Messi. Des scènes gênantes qui ont occasionné énormément d’audience sur les réseaux sociaux. Et c’est bien le but recherché, autant pour l’organisateur que pour ces nouveaux “insiders”.
Quel est ton nom ?"
C’est une manière de toucher un public plus large et de médiatiser encore plus leur produit"
“Certains se revendiquent journalistes, d’autres insiders ou simples amuseurs et ils génèrent tous énormément de trafic sur les réseaux sociaux, analyse Alexandre De Meeter, expert en marketing sportif pour l’agence Sportimize. Pour les clubs et les organisateurs, c’est une manière de toucher un public plus large et de médiatiser encore plus leur produit. Avant, la communication était organisée de manière à avoir celle du club d’un côté et celle des médias de l’autre et aujourd’hui, il y a une troisième voie avec ces électrons libres des réseaux sociaux”.
L’objectif ? Des vues, beaucoup de likes et la conquête d’un public jeune
Lors de cette même cérémonie, d’autres influenceurs ont réalisé des vidéos de mauvais goût où l’on peut voir des insiders français face caméra provoquer ouvertement le gardien de l’Argentine Emiliano Martinez, le lauréat du trophée Yachine, récompensant le meilleur gardien de la saison 2022-2023, ou encore se moquer du look de certains joueurs.
Lors d’un séjour récent au Qatar, IShowSpeed s’est également permis de demander à Drogba s’il était “le père de Pogba”, d’embrasser la jambe gauche de Roberto Carlos, et d’envoyer un tacle par-derrière totalement déplacé sur Kaká lors d’un match de gala.
Au final, ce sont des gens qui font les crétins à publier des vidéos faussement rigolotes"
“Quand on ouvre la porte à n’importe qui, le risque est de se retrouver avec ce genre de dérives, poursuit-il. Au final, c’est gênant pour le joueur et l’organisateur même si derrière, le public apprécie ce genre de buzz qui finit par devenir très partagé sur les réseaux. Les clubs verrouillent tellement la communication que le public devient friand de ce genre d’exclusivités, il est même en demande d’un contenu plus humain, décalé voire insolite. Certaines séquences sont maladroites mais il y a une forme d’exclusivité, de coulisses qui plaît au public, notamment d’un jeune âge”.
Lors d’un débat organisé à ce sujet dans l’émission de radio l’After Foot sur RMC, le journaliste Daniel Riolo évoque une nouvelle dérive du football moderne. “Aujourd’hui, on invite des gens qui n’ont rien à voir avec le sujet principal, des influenceurs qui rassemblent sur les réseaux et qui font les crétins à publier des vidéos rigolotes qui ne le sont pas, ce qui compte c’est la forme et plus le fond, a-t-il expliqué. Ces gens ne sont même pas intéressés par le foot et ne le connaissent pas toujours, ils viennent juste pour faire des selfies et des vidéos. Lors de la soirée de sortie du jeu FIFA, c’est la même chose ou lors d’autres manifestations sportives comme le Masters de Paris Bercy”.
Une communication 5.0
Invité par l’organisateur le 18 décembre 2022 lors de la finale de la Coupe du monde de foot, le célèbre restaurateur turc Salt Bae, connu pour être “le boucher des stars”, s’est retrouvé sur la pelouse du stade et avait même tenu la Coupe du monde, ce qui lui était pourtant interdit.
Sans gêne et tout sourire, il s’est également permis d’attraper par le bras un Lionel Messi très embarrassé et a insisté pour prendre une photo à ses côtés avant de la poster sur son compte Instagram où il est suivi par plus de 50 millions de personnes.
La présence de ces “stars du web” prend également de l’ampleur au sein même des tribunes de presse où de plus en plus de comptes spécialisés ou d’influenceurs sont invités par les clubs, parfois au détriment des médias traditionnels. C’est le cas au Parc des Princes à Paris où un quart des places de l’espace presse lors des matches a été imputé pour inviter ces insiders et autres sites de supporters. Une manière aussi de s’assurer du contenu publié et de l’opinion communiquée, tout en séduisant de nouvelles cibles.
En parallèle, on retrouve également des comptes Youtube très suivis et qui offrent une immersion dans les différentes enceintes européennes. Ces “néo reporters” portent même un nom : les groundhoppers, soit des fans de football visitant un maximum de stades différents et qui sont de plus en plus nombreux à partager leur passion sur les réseaux sociaux. On peut notamment citer Stadito et GH Company.
“Ici, on est sur de la communication 5.0 avec des analystes qui créent leur propre média par l’intermédiaire de leurs chaînes YouTube et Instagram par exemple, décrypte Alexandre De Meeter. Ils ont beaucoup de followers et réussissent parfois à faire des interviews sur le gril plus humaines et sur des sujets plus sociétaux que sportifs, ce qui permet aussi de découvrir les joueurs et les stades d’une autre manière. En quelque sorte, ils deviennent les ambassadeurs de leur marque mais aussi des clubs par lesquels ils passent, ils offrent une découverte immersive et plus traditionnelle du foot qui n’est parfois pas traitée par les médias traditionnels”.