"En Belgique, on n’est peut-être pas assez chauvin” : à J-100, Pierre-Yves Jeholet et Jean-Michel Saive préfacent les Jeux olympiques de Paris
Nous avons réuni le ministre francophone des Sports Pierre-Yves Jeholet et le président du COIB Jean-Michel Saive pour un long entretien.
- Publié le 17-04-2024 à 06h41
- Mis à jour le 17-04-2024 à 12h30
À cent jours des Jeux olympiques de Paris, nous avons réuni le ministre des Sports en Fédération Wallonie-Bruxelles Pierre-Yves Jeholet et le président du COIB Jean-Michel Saive afin d’évoquer cet événement dont la proximité aura des répercussions chez nous.
Le compte à rebours final vers les Jeux est lancé. Comment se passe la préparation du Team Belgium ?
Jean-Michel Saive : “On peut être satisfait de la manière dont les choses se présentent même si ces dernières semaines, avec les chutes en cyclisme, la blessure de Julie Allemand en basket-ball et la maladie qui a frappé Julien Watrin, n’ont pas amené que des bonnes nouvelles. Mais au moment où on se parle, on compte 99 athlètes qualifiés, les projections de notre chef de mission se situent entre 150 et 160 athlètes, ce qui est super par rapport à Tokyo où on était à 120. Il y a encore toute une série d’athlètes qui doivent se qualifier et on espère ne pas avoir de pépin majeur. Au niveau de la préparation, tout continue à bien se mettre en place. On s’est déjà rendu plusieurs fois à Paris, notamment au village olympique, et tout se présente bien.”
Quelles seront nos ambitions cet été ?
J.-M. S. : “Faire mieux qu’à Tokyo (NdlR : 7 médailles et 26 places de top 8). Être plus précis que cela, on ne sait pas l’être. Mais c’est l’ambition.”
Les projections d’un célèbre bureau de statistiques font état de 10 médailles. Est-ce un objectif raisonnable ?
J.-M. S. : “Oui et non. Quand on voit ce qu’il vient de se passer, c’est difficile de l’affirmer. On reste donc sur ce qu’on a dit depuis le début. Le programme n’est pas encore défini, on ne sait pas qui sera là au moment de la sélection finale. Donner un chiffre aujourd’hui n’aurait pas beaucoup de sens.”
La majorité de nos athlètes vont-ils se préparer en Belgique ?
J.-M. S. : “Oui, à partir du 1er juillet, dans nos différents camps de base articulés autour de trois clusters à Anvers, Bruxelles/Louvain-la-Neuve et Gand. Et plus spécifiquement à d’autres endroits, en fonction des athlètes ou des sports qualifiés. À Francorchamps, il n’y aura finalement rien : les cyclistes seront pour la plupart sur leur circuit international et ceux qui s’entraînent pourront se retrouver à Zolder.”
On n’a aucun doute que l'engouement sera au rendez-vous.
On n’a pas encore l’impression que les Jeux “vivent” déjà dans la population. On se trompe ?
Pierre-Yves Jeholet : “C’est probablement vrai par rapport à l’agenda sportif aujourd’hui, mais on sent quand même un engouement. C’est l’événement sportif mondial le plus important et je reste persuadé qu’il va y avoir beaucoup d’intérêt. Ce qui freine, à mon avis, ce sont deux choses. L’aspect sécurité : on sent bien qu’on est dans un contexte difficile, mais on doit continuer à défendre des valeurs fondamentales et la France a raison d’être ambitieuse. Ensuite, Il y a un esprit un peu chagrin : les Français ont quand même l’art d’être très critiques, au niveau mobilité, sécurité, etc. Une fois qu’ils seront dans l’événement, qu’on va parler de la compétition, des sportifs.”
J.-M. S. : “Il est normal qu’à plus de 100 jours des Jeux, ce ne soit pas encore la grande ferveur populaire. En France, au niveau télévision, ça monte crescendo. À J-100, c’est un bon rappel. Et puis il y a tellement d’événements sportifs tout au long de l’année, on est en pleine saison cycliste. Mais on n’a aucun doute que cela viendra.”
D’autant que les Belges vont répondre présent en masse…
J.-M. S. : “Oui, au niveau de la billetterie on est un des pays les plus demandeurs au niveau mondial. Bruxelles est plus proche de Paris que Bordeaux ou Marseille, donc il y a une grosse demande ! Sur place, on pourra accueillir du monde à la Lotto Belgium House, située avenue Hoche, et vivre les performances de l’intérieur sur écran géant, célébrer avec les athlètes. N’oublions pas enfin que le cyclisme, le marathon, le triathlon sont des événements ouverts à ceux qui n’ont pas de tickets.”
P.-Y. J. : “Avoir les Jeux en France, tout près de chez nous, et vivre l’événement, c’est une opportunité unique.”
J.-M. S. : “Je pense qu’il y a un décalage avec l’engouement médiatique qui n’a pas encore nécessairement commencé mais quand tu en parles avec les gens, tout le monde est bien conscient de l’imminence des Jeux.”
Cette proximité peut-elle générer un surcroît de pression pour nos athlètes ?
J.-M. S. : “Cette proximité, c’est fantastique et positif, mais on doit en effet être vigilant. Il faut aussi protéger les sportifs dans la dernière ligne droite. Si la compétition se passe moins bien que prévu, ce sera aussi plus compliqué. Mais comme le dit Tony Estanguet, les Jeux, c’est une fois tous les 100 ans à Paris.”
Pour nos sportifs, c’est un stimulant de savoir que les Belges viendront en masse : ils joueront presque à domicile !
Dans quelle mesure cet événement va-t-il rejaillir sur la Belgique et dans quelle mesure va-t-on tenter de s’en approprier une petite partie ?
P.-Y. J. : “D’abord, on n’a pas tous les jours l’occasion d’assister aux Jeux olympiques, et leur variété de disciplines, et il reste encore des possibilités aux amateurs de sport de s’y rendre. Pour nos sportifs, c’est un stimulant aussi de savoir que les Belges pourront venir en masse : ils joueront presque à domicile ! Je profite par ailleurs de l’occasion pour féliciter Jean-Mi et Cédric Van Branteghem, ainsi que toute leur équipe, pour leur travail remarquable. Ils sont hyperfédérateurs, je l’entends partout dans les fédérations. “
Quelles retombées un tel événement peut-il avoir sur le sport professionnel d’un côté et le sport local de l’autre ?
P.-Y. J. : “Aux Jeux, on parle toujours des sportifs belges et des médailles belges, et c’est bien comme cela. Le sport est fédérateur et on se réjouit autant d’une médaille d’un cycliste flamand que d’une athlète francophone. Un événement aussi médiatisé, c’est toujours bon pour toutes les disciplines. Qu’il s’agisse de sports connus, où on performe comme le hockey, ou d’autres moins connus comme les sports de combat. Cela peut susciter de l’envie chez les jeunes. On a d’ailleurs développé dans nos centres sportifs locaux des projets autour des Jeux. Il ne faut pas opposer le sport pour tous, vecteur d’inclusion sociale très important, au sport de haut niveau, qui agit telle une locomotive. On essaie de développer des stratégies, de voir comment on peut encore professionnaliser davantage les fédérations et de faire en sorte d’avoir non pas dix médailles mais plus encore. L’objectif est de performer – parce que cela suscite de la fierté, de l’émotion, de l’envie – mais aussi de faire en sorte d’avoir demain plus de pratiquants dans toutes les disciplines. C’est cela, l’objectif.”
Il faut être conscient de la réalité financière des pouvoirs publics.
Le sport de haut niveau nourrit le sport pour tous et inversement ?
P.-Y. J. : “J’en suis convaincu ! Mon but, en tant que ministre des Sports, est de dire : on doit faire en sorte que les citoyens, jeunes et moins jeunes, pratiquent un sport. Et c’est essentiel dans une société de plus en plus oisive, sédentaire. Et en termes aussi de santé publique et de coûts de santé. Or pour atteindre cet objectif global, on a besoin des sportifs de haut niveau et aussi d’une politique de sport de haut niveau ambitieuse. Des efforts ont été faits mais il y a encore du travail, notamment en dégageant des moyens financiers pour des contrats complémentaires et pour la formation des cadres. Cela passe aussi par la professionnalisation des fédérations où, dans certains cas, c’est compliqué.”
Budgétairement, que peut-on espérer ?
P.-Y. J. : “On a augmenté le budget sport considérablement sous cette législature. On évoque une enveloppe de 14 millions d’euros, je suis convaincu que c’est plus. Quand on regarde tout ce qui est dédié au haut niveau, à la professionnalisation des fédérations, aux stratégies de détection de talents et de formations, c’est aussi un investissement. La Flandre se concentre plus sur certaines disciplines que du côté francophone. Une réflexion est en cours et sera affinée après les Jeux pour voir s’il faut adapter notre stratégie. Est-ce que demain on pourra augmenter encore significativement les moyens pour le sport ? Je ne vais pas faire cette promesse-là même si j’aimerais tellement. Il faut être conscient de la réalité financière des pouvoirs publics. C’est une question aussi de priorités. C’est peut-être naïf de dire ça mais quand je vois ce que coûtent les problèmes de santé, je me dis que si le fédéral investissait davantage dans la prévention en matière de santé et donc dans le sport, peut-être qu’on pourrait faire autre chose. Mais aujourd’hui les entités fédérées n’ont pas les capacités.”
Que manque-t-il à la Belgique pour devenir un pays de sport de haut niveau ?
J.-M. S. : “Sincèrement je pense que c’est en train de changer. À l’image des résultats sportifs de nos athlètes, de leurs ambitions assumées. L’état d’esprit a changé. Comme peuple, on est fier aussi. Comme le ministre l’a dit, les sportifs sont vraiment des ambassadeurs de la pratique sportive dans son ensemble. En assumant nos ambitions, en faisant des résultats, on efface nos complexes de petit pays. À nous de bien collaborer pour porter le plus haut possible nos athlètes et, par ricochet, pour faire la promotion de la santé.”
P.-Y. J. : “On n’est même peut-être pas assez chauvins, pas assez fiers ! Regardez tous les pays qui envient nos hockeyeurs, nos cyclistes, ou Nafi Thiam qui va se battre pour une troisième médaille d’or. Et je m’en voudrais d’oublier les performances exceptionnelles de nos athlètes paralympiques : nous avons de très grands ambassadeurs.”