Imola 1994 : Roland Ratzenberger, injustement oublié
Le 30 avril 1994, il y a exactement 30 ans, le novice autrichien était foudroyé en plein rêve sur le circuit d'Imola.
- Publié le 30-04-2024 à 06h44
Quand Roland Ratzenberger finit par poser ses valises en F1, on l’avait presqu’oublié. On le pensait exilé à vie au Japon. Mais le garçon de Salzbourg est un tenace. Pour lui, une arrivée dans la discipline, si tardive soit-elle à bientôt 34 ans, est un aboutissement naturel à sa carrière passée par de nombreux chemins de traverse.
Pilote plus laborieux que naturellement doué, il fait ses débuts en F1 à partir de 1994. Il a convaincu (à l’horizontale) la mystérieuse milliardaire Barbara Behlau de lui payer personnellement son baquet au sein de la modeste équipe Simtek jusqu’au Grand Prix d’Espagne, voire jusqu’au Canada si tout se passe bien. Pour Roland, il faudra toutefois mordre sur sa chique : la Simtek S941 est rustique et animée par un ancestral V8 Cosworth. De plus, l’effectif de l’équipe de Banbury est composé d’un commando de 35 personnes. Un chiffre dérisoire quand on sait que Ferrari compte à l'époque dix fois plus de monde dans ses rangs.
Comme prévu, le premier Grand Prix disputé au Brésil est laborieux pour la formation violette qui doit affronter l’épreuve éliminatoire des qualifications. A l’époque, il n’y avait que vingt-six places disponibles sur la grille dimanche pour vingt-huit candidats. Hélas, Ratzenberger, dont la monoplace a été achevée in extremis, n'est pas qualifié. Tant pis, ses grands débuts sont reportés au prochain Grand Prix du Pacifique à Aïda. Ça tombe bien, le néophyte connait ce nouveau tracé pour la F1 par cœur grâce à son expérience acquise au Japon. Qualifié, il profitera des nombreux abandons pour franchir la ligne d’arrivée au onzième rang, à cinq tours de Michael Schumacher. Quand il est reconnu à l’aéroport pour avoir participé au Grand Prix, il est comblé de bonheur : non seulement il court en Formule 1 mais en plus il est considéré comme un pilote de F1, un vrai, aux yeux du public.
Roland désirait ardemment conduire une F1. On voyait bien qu’il avait travaillé dur pour arriver jusque-là.
Roland arrive à Imola galvanisé par sa prestation japonaise. Pour sa troisième tentative, il a comme premier objectif d’assurer sa qualification pour la course. Le crash de Rubens Barrichello lors des essais du vendredi l’aide quelque peu puisqu’il n’a plus qu’à devancer une seule voiture pour décrocher son ticket dominical. Mais le samedi, Bertrand Gachot est parvenu à hisser sa Pacific devant la Simtek n°32 et Paul Belmondo se fait menaçant sur l’autre Pacific. Hors de question pour le vaillant autrichien de se laisser faire, il repart au charbon. Il confiera d’ailleurs à son ingénieur Humphrey Corbett : "Je fais vraiment des choses que je ne devrais pas faire avec cette voiture. Il faut que je me calme..."
Roland reprend la piste. Se faisant violence, il escalade une bordure dans Acque Minerali, endommageant dans la foulée son aileron avant. Mais plutôt que de rentrer au stand pour faire vérifier sa machine, il repart le couteau entre les dents pour un deuxième tour rapide. La suite est effroyable. À pleine charge dans la longue ligne droite du circuit italien, l’appendice vole en éclats et Roland, passager d’une voiture folle, s’écrase contre le rail du virage Villeneuve à plus de 300 km/h. Le violence du choc est impressionnante, la structure en carbone kevlar a littéralement éclaté avec l’impact. Les médecins interviennent à même la piste mais c’est trop tard. Le malheureux Roland Ratzenberger a été tué sur le coup. Dans les stands, tout le monde reste sans voix : la Mort, qui n’avait plus frappé depuis le Grand Prix de Montréal 1982 et l’accident de Riccardo Paletti, a de nouveau fait son apparition en F1.
Le décès du rookie fut une claque terrible pour le microcosme de la F1. Il y a eu tant de miracles dans la discipline qu’on a fini par penser qu’on ne pouvait plus se tuer. Bertrand Gachot, qui fut son équipier en Formule Ford et en Formule 3, dira de lui juste après l’annonce de sa mort : "C’était quelqu’un qui avait vraiment la volonté de réussir. À l’époque, il dormait au-dessus de son atelier ou dans une toute petite caravane. Il préparait ses voitures lui-même, il était toujours plein de cambouis. Et c’était quelqu’un qui désirait ardemment conduire une F1. On voyait bien qu’il avait travaillé dur pour arriver jusque-là, ça n’était pas venu sur un plateau".
Ayrton Senna encaissera très mal le choc, hésitant même à ne pas prendre part à la course le lendemain. Quant à l’écurie Simtek terriblement secouée, elle continuera l’aventure tant bien que mal jusqu’à l’asphyxie financière au soir du GP de Monaco 1995. Avec une inscription particulière sur les boîtes à air : "For Roland".