Vitali Kholopov, ancien international belge : "J’ai des amis ukrainiens, russes et biélorusses, ce qu’ils vivent est un véritable drame"
Après avoir fui le régime soviétique, Vitali Kholopov s’est installé en Belgique en 1992. Cette grande gueule a porté le maillot de l'équipe nationale soviétique, biélorusse et belge. Évocation.
- Publié le 17-11-2023 à 09h02
Le dimanche matin, Vitali Kholopov arpente toujours le terrain de hockey avec les vétérans du Bee White où il partage ses matchs avec notamment Marc Coudron ou encore John Goldberg. Le stick rythme toujours les journées de cet homme de 53 ans qui occupe la fonction de formateur technique des jeunes à l’ARBH. Il suit également deux de ses trois filles qui jouent pour le plaisir.
Les plus jeunes l’ignorent, mais Vitali Kholopov appartient à ces légendes vivantes tant pour ses coups de stick que ses coups de gueule. Un scénariste pourrait se pencher sur sa vie pour en faire une série sur Netflix. Pour s’élever au rang de mythe, le quinquagénaire a connu des périodes de gloire, d’autres plus sombres.
Il a grandi à Gomel à 180 kilomètres de Tchernobyl
En une vie, ce père de famille en a déjà vécu plusieurs. La première a façonné son caractère et sa philosophie sur l’existence. Lorsqu’il vivait à Gomel, ville industrielle près de la frontière ukrainienne, le Biélorusse, naturalisé belge, a appris la culture soviétique. Il en garde d’excellents souvenirs. “À 15 ans, j’étais déjà un joueur professionnel à Minsk, une équipe qui passait de la division 2 au milieu de classement en division 1. J’ai atteint mon rêve en partant de rien. J’avais une voiture à 19 ans. Nous suivions deux séances d’entraînement par jour comme si nous allions à l’usine. Nous pointions et nous partions comme des ouvriers. La notion d’envie disparaît dès le plus jeune âge, se souvient-il en songeant aussi à des anecdotes heureuses. J’ai eu une enfance heureuse. À Gomel, situé à 180 kilomètres de Tchernobyl, nous vivions dans des blocs d’appartement qui formaient un cercle. Avec mes amis, nous passions notre temps à jouer au foot.”
“Avec l’URSS, j’ai disputé l’Euro en 1991 à Paris ainsi que la Coupe du monde en 1990 à Lahore. Puis, avec la Biélorussie, j’ai pris part au Mondial de 1994 à Sydney et à l’Euro de Dublin en 1995.”
Malade, il a été privé de service militaire en URSS
Vitali Kholopov qui a grandi sous un régime fermé ne jouait au hockey qu’avec ses compatriotes dans l’ombre de la grande équipe militaire. “J’ai été victime d’une hépatite qui m’a empêché de faire mon service militaire.” En revanche, il a cumulé avec réussite ses études en éducation sportive et sa carrière de hockeyeur tant en club qu’en équipe d’URSS.
”Avec l’URSS, j’ai disputé l’Euro en 1991 à Paris ainsi que la Coupe du monde en 1990 à Lahore. Puis, avec la Biélorussie, j’ai pris part au Mondial de 1994 à Sydney et à l’Euro de Dublin en 1995.”
Il débarque en Belgique via Liège et en tombe amoureux
Lors d’un stage de sa sélection à Liège en 1991, il découvre un pays occidental avec une autre culture. Vu la chute du régime soviétique et la période de trouble qui s’ensuit, il se lance dans une nouvelle aventure. Avec son épouse et un permis de travail, il débarque en Belgique dans une société de chauffage et à l’Old Club. “J’étais un des premiers à quitter le pays pour poursuivre ma carrière à l’étranger. Pourquoi la Belgique ? Le hasard. Très vite, j’ai été sous le charme de la mentalité belge.”
Et la Belgique le lui a bien rendu. En 1999, il devient le premier joueur à avoir représenté les couleurs de trois pays différents : l’URSS, la Biélorussie et la Belgique qu’il défend lors de 100 matches.
Il a appelé le Guiness Book des records
“Récemment, j’ai écrit aux responsables du Guinness Book des records afin de faire homologuer le mien. Je devais payer 140 pounds. Ils m’ont répondu trois ans plus tard qu’ils ne voulaient pas créer de nouvelles catégories. Ils préfèrent un type qui mange des hamburgers en une minute plutôt que mon histoire”, s’étonne-t-il.
Champion de Belgique avec le White Star, il joue tour à tour à l’Old Club, à Evere, au Beerschot et à l’Antwerp. Atypique, ce passionné avait un quelque chose d’éternel sur le terrain à l’image d’un Ibrahimovic ou d’un Ronaldo. “En 2002, Giles Bonnet m’a fait arrêter en équipe nationale alors que j’avais encore quelques années devant moi. En Division Honneur, j’ai arrêté à 38 ans. Pourtant, je me sentais encore en bonne forme. J’en garde un goût amer, mais je retiens surtout mille beaux souvenirs et autant de rencontres enrichissantes. J’ai beaucoup de respect pour Alain Geens, Michel Van den Boer et Bart Van Lith par exemple.”
Son nom est aussi associé à des pages moins glorieuses. Comme toutes les plus grandes stars, Vitali Kholopov ne fait pas l’unanimité autour de sa personne. Ses coups de colère à l’encontre des arbitres ne cachent pas ses passes millimétrées ou sa vista. Son amour du jeu le rendait excessif. Ainsi, lorsqu’il coachait, celui qui faisait une mauvaise passe filait sur le banc. Un jour, alors qu’il n’avait que douze joueurs, il a préféré finir la rencontre à huit sous le regard médusé des parents.
”J’ai fait des bêtises. Je n’en suis pas fier”
“Impulsif, j’ai appris à me calmer au fil des ans même si j’ai toujours éprouvé des difficultés à accepter la faiblesse des autres. J’ai été très extraverti, direct, franc, voire blessant. Je me suis vraiment calmé. Avec l’âge, on comprend mieux certaines réalités. J’ai fait des bêtises. Je n’en suis pas fier. J’ai exagéré sur beaucoup de matchs. J’ai un peu trop poussé le bouchon. Je reste fier de ma carrière.”
Le hockey lui a servi de fil rouge lors des 50 dernières années. Son amour pour son pays d’origine aussi.
Juste avant la guerre opposant la Russie à l’Ukraine, en janvier 2022, il s’est rendu à Gomel, à nouveau, pour régler des affaires privées. Son village d’enfance n’avait pas changé. “Quand j’étais petit, tout me paraissait grand. Maintenant que je suis grand, tout me semblait si petit. Sinon, l’endroit n’a pas changé. J’ai échangé avec la fédération biélorusse pour leur filer un coup de main. Là-bas, ils sont fiers de me voir travailler pour la fédération belge de hockey. Je suis leur porte-parole.”
Il refuse d’entrer dans des réflexions politiques sur la nature du conflit qui déchire ses pays de cœur. “J’ai des amis ukrainiens, russes et biélorusses. Ce qu’ils vivent, c’est un véritable drame. Une guerre civile.”
Alors, Vitali Kholopov ne cherche pas à négocier ou à plaider la cause de l’un ou de l’autre. Il utilise son plus beau levier pour agir : le hockey. “À l’époque, l’Ukraine était déjà en froid avec la Russie. Pourtant, les trois pays disputaient un tournoi. Aujourd’hui, c’est fini. Les États ont toujours aidé le hockey. L’EHF discute aujourd’hui avec la Russie et la Biélorussie. Pourquoi le tennis est-il le seul sport à accepter les Russes ? Moi, je voulais organiser un tournoi des vétérans avec des Belges qui iraient jouer là-bas. On l’appellerait ‘Peace and love’. Eux, ils sont demandeurs de redorer leur image. Il existe de nombreux Russes et Biélorusses qui sont ouverts d’esprit et prêts à dialoguer. Le président de la fédération de Biélorussie est un homme bien. Les médias ont créé un mur contre la Russie et la Biélorussie.”
Le temps fera tomber ces murs. Et si le hockey pouvait créer une petite fissure dans cette muraille, Vitali Kholopov serait le Belge le plus heureux…
”Il loue un bus à Anvers pour ramener des Congolais piégés en Ukraine”
Touché par le sort des civils piégés par le conflit entre la Russie et l’Ukraine, Vitali Kholopov ne peut pas rester insensible à cette catastrophe. Il raconte une aventure profondément humaine dont il est le héros. “J’ai appris qu’un groupe de huit étudiants congolais était bloqué à Soumy, en Ukraine. La ville, située à une trentaine de kilomètres de la frontière russe, était encerclée. Ils n’avaient rien à manger. Je voulais les sortir de là. J’ai appelé mes contacts dans les clubs de hockey de la région. Quand la Russie a ouvert un couloir pour les civils, ils ont pu prendre un taxi pour sortir de la ville. Puis, un bus les a menés jusqu’en Pologne. Ils sont toujours restés ensemble malgré le grand nombre de réfugiés. Moi, j’ai loué un bus à Anvers pour les retrouver. Je me souviens avoir pris la route à 14 h tout seul. J’ai roulé pour arriver à 7 h du matin sur place. Je les ai embarqués. J’étais de retour à 23 h à Bruxelles, à Rogier. J’ai fait 2 000 kilomètres en 36 heures pour les remettre entre les mains du comité des Congolais en Belgique.”