Mattia Destro, l'exécuteur
Dans les seize mètres, là où le temps s'accélère, Mattia Destro a toujours une seconde d'avance. À 23 ans à peine, le buteur de la Roma est déjà une terreur. Avec ses deux pieds en guise de colts, Destro fait la loi et abat ses adversaires sans état d'âme dès qu'il pose un pied dans le rectangle. Portrait du renard qui a séduit la Louve.
- Publié le 21-04-2014 à 10h15
- Mis à jour le 21-04-2014 à 10h36
Dans les seize mètres, là où le temps s'accélère, Mattia Destro a toujours une seconde d'avance. À 23 ans à peine, le buteur de la Roma est déjà une terreur. Avec ses deux pieds en guise de colts, Destro fait la loi et abat ses adversaires sans état d'âme dès qu'il pose un pied dans le rectangle. Portrait du renard qui a séduit la Louve.
Une touche de balle. De l'intérieur, de la pointe ou de la jambière. Peu importe finalement. Il n'est jamais question d'esthétisme avec Mattia Destro. Les beaux gestes, le Romain laisse ça aux autres. Au funambule Gervinho ou à l'inventeur Pjanic. Destro, lui, n'est pas là pour faire du football une œuvre d'art. Le but est son métier, et le grand rectangle lui sert de bureau sur lequel il pose ostensiblement ses pieds. Un lieu de travail d'un peu plus de 600 mètres carrés où il fait la loi, avec les défenseurs adverses en guise d'employés punis instantanément d'un ballon au fond des filets à chaque pas de travers. Dans le rectangle, tout va très vite avec Mattia Destro.
Un enfant et des monstres
Le 20 mars 1991, pendant qu'Alexis Pinturault pousse son premier cri à Moûtiers, Mattia Destro quitte le ventre maternel à Ascoli. Une date de naissance estampillée sang-froid. Tout naturellement, c'est pour l'Ascoli Calcio que le jeune Mattia plante ses premières roses. Comme papa, Flavio, qui a joué plus de cent matches pour le club en Serie A. Sous les rayures des Bianconeri des Marches, Mattia se rêve sans doute buteur de cette Juventus qu'il supporte, quand il ne passe pas son temps devant les vidéos de Ronaldo ou d'Ibrahimovic. C'est pourtant chez l'autre protagoniste du Derby d'Italia qu'il pose ses valises. Mattia Destro a quatorze ans, et il est à l'Inter.
Au sein du centre de formation nerazzurro, Destro apprend à marquer plus de buts, et à soulever des trophées: champion chez les giovanissimi, puis chez les allievi, où son total de buts tutoie celui de son compère à la pointe de l'attaque, un certain Mario Balotelli. Victoire, encore, dans le prestigieux tournoi de Viareggio en 2008. Le biberonnage de Mattia se termine en 2009-2010, avec une saison fracassante sous le maillot de la Primavera. Destro frappe dix-huit fois à la porte de l'équipe première, mais Mourinho ne l'ouvre pas, alors que même Santon et Obi sont entrés par la fenêtre. La faute à une concurrence féroce dans le secteur offensif nerazzurro, que Mattia résume parfaitement: "J'étais un petit garçon et devant moi, j'avais des monstres."
À l'été 2010, le petit garçon devient trop grand. Trop vieux pour une Primavera où il habite les cauchemars de tous les jeunes défenseurs d'Italie, mais toujours indésirable dans l'arsenal offensif d'une Inter qui parle en Milito, Eto'o et Sneijder, Destro file au Genoa en prêt avec option d'achat pour une copropriété - spécialité italienne. Les rossoblu sont prêts à donner une chance chez les grands au bomber compulsif des classes d'âge de la Nazionale, qui facture 15 buts en treize rencontres chez les U19, rien que ça.
360 secondes chrono
Le 13 septembre, face au Chievo, il ne faut que 360 secondes à Destro pour remercier son nouvel employeur. Numéro 22 dans le dos, comme le "monstre" Milito, Mattia flirte langoureusement avec la ligne du hors-jeu et reçoit une passe géniale de Palacio au point de penalty. L'exécution est froide, la célébration devant les tifosi brûlante. En moins de dix minutes, Destro a déposé sa carte de visite dans un rectangle de Serie A. Si la suite n'est pas à la hauteur avec seulement un but en quinze petites apparitions sur le pré, la faute à une concurrence nommée Toni et Palacio, le président Preziosi lève tout de même l'option en fin de saison, récupérant l'autre moitié du joueur grâce au départ de Ranocchia pour la Lombardie. Avant d'envoyer son jeune loup se faire des dents de renard en Toscane, chez les Bianconeri de Sienne.
Au stade Artemio Franchi, deux hommes vont faire basculer la carrière du nouveau goupil transalpin: Giuseppe Sannino et Emanuele Calaiò. Le premier cultive rapidement une relation d'amour-haine avec son jeune artificier, incarnée par cette célébration folle de Destro contre le Chievo: le buteur se rue sur un coach indifférent et déjà retourné vers son banc et le plaque vigoureusement au sol. Explication de Mattia: "Sannino est insupportable. Il parle sans arrêt. C'est un bruit de fond continu, comme une radio. Et ce jour-là, c'était pire que d'habitude."
À force d'écouter la radio et de se délecter de sa complémentarité avec Emanuele Calaiò, Destro va devenir insupportable à son tour, mais pour les défenses adverses. S'il ne remplit que trois fois les cages adverses au premier tour, l'exécuteur tire à la mitraillette en fin de saison, entre Coupe d'Italie et opération maintien: cinq buts en six matches, dont un contre "son" Genoa, et un autre contre le Chievo, sa victime favorite, pour envoyer les Toscans dans le dernier carré de la Coppa.
Un renard pour aimer la Louve
Le bomber boucle la saison en ayant vidé douze cartouches, et ses deux six-coups encore brûlants font de lui l'un des tueurs à gage les plus demandés de la Botte. Roma, Juventus, Inter et Milan sont tous sur la balle pour faire signer un contrat faramineux à l'exécuteur, pré-sélectionné par Prandelli pour un Euro qu'il regardera finalement à la télévision. Le feuilleton traine, ennuie, mais est relancé tous les jours comme un épisode de Plus Belle la Vie. "Tout ça pour un joueur qui n'a mis que dix buts en Serie A", fulmine le président Preziosi, qui reçoit finalement un sacré paquet de billets en voyant Mattia s'envoler vers Rome. Direction la Roma, celle d'un Zeman qui aime l'attaque et les jeunes. Du pain béni.
Entre la Louve et son nouveau renard, l'idylle ne commence pas par un coup de foudre. La mère des Romains préfère les charmes du ténébreux et versatile Osvaldo aux face-à-face tout en froideur dont Destro a fait sa spécialité. Le condottiere, à défaut de briller d'emblée dans son quatrième club en autant de saisons, fête sa première pige sous le maillot de la Squadra en août, et son premier but en mois plus tard, face à Malte. En un contre un avec le gardien, entre le point de penalty et le petit rectangle, évidemment.
Avec l'arrivée de 2013, Destro prouve enfin tout son amour à la Louve, avec la méthode qui plait à toutes les femmes: planter un couteau énorme dans le dos de son ex, le tout en mondovision. Par deux fois, de part et d'autre d'une blessure qui l'écarte trois mois des rectangles, Mattia assome l'Inter. Un but en championnat en janvier, deux autres en avril pour propulser les Romains en finale d'une Coupe d'Italie dont il finira meilleur buteur, rassemblant cinq roses pour achever de conquérir son nouvel amour. La Louve se met à genoux devant un Destro qui perd le sien au cœur de l'Euro espoirs. Opération, encore. L'exécuteur se pose des questions à cause de ces armes qui s'enrayent trop souvent pour lui permettre de faire office de référence dans le milieu des tueurs à gage.
Monsieur 39%
De longs mois durant, Mattia regarde depuis la télé de l'infirmerie les victoires à la chaine de la Roma de Rudi Garcia. Dans l'ombre, le bomber prépare un retour en fanfare et affûte ses armes. Petit passage par la Primavera pour une séance d'entrainement en conditions réelles. 75 minutes et deux buts plus tard, Destro s'assied sur le banc contre la Fiorentina. La suite va très vite: montée au jeu à la 57e. Dix minutes passent, un ballon passe aux abords du petit rectangle, et la jambe de Destro passe par là. La machine est lancée. Et cette fois, l'exécuteur tire à la mitraillette.
En 1.079 minutes passées sur le terrain depuis son retour de blessure, Mattia Destro a tiré 33 fois au but. Et les filets ont tremblé à treize reprises. Une moyenne hallucinante de 39,39% de réussite qui fait de l'Italien le joueur le plus réaliste du moment. Toujours à l'intérieur du rectangle évidemment, dans ces seize mètres où il fait la loi tel un Pistolero sorti de l'imagination de Sergio Leone. Sauf que dans les westerns-spaghetti, aucun tueur de sang-froid ne prépare ses duels à mort avec Danza Kuduro et Jennifer Lopez dans les oreilles. C'est en effet l'immuable rituel de Mattia Destro, un toc qui fait rire ses équipiers mais pas ses adversaires, qui en subissent les conséquences dans leurs seize mètres.
La dernière victime en date s'appelle Cagliari. En Sardaigne, Destro a tiré trois coups, avant d'en glisser un au visage d'un défenseur local. Retour en tribunes pour quatre matches, et participation au Mondial remise entre guillemets au moment où sa place dans les 23 de Prandelli devenait incontestable. Un coup de pute au milieu de treize coups tirés au but. Comme sur le terrain, le bomber est à la limite du hors-jeu.
Mattia Destro plaide l'innocence, et prépare une nouvelle fois son retour. Sa rédemption passera par de nouvelles exécutions, et le retour de son association d'ado avec Balotelli pourrait bien faire des étincelles au Brésil. Et au moment de monter sur le terrain, avant les hymnes nationaux, Mattia pourra toujours se remplir les oreilles avec l'hymne du Mondial, signé Pitbull et…Jennifer Lopez.
Guillaume Gautier