Un meurtre, un hold-up et des larmes: Retour sur la finale perdue de 1984 contre les Spurs
La DH a contacté les protagonistes d’Anderlecht et de Tottenham pour reconstituer cette inoubliable finale de la Coupe Uefa 1984. Flashback.
- Publié le 21-10-2015 à 18h25
- Mis à jour le 22-10-2015 à 09h31
La DH a contacté les protagonistes d’Anderlecht et de Tottenham pour reconstituer cette inoubliable finale de la Coupe Uefa 1984. Il fut un temps où des clubs belges disputaient des finales de Coupe d’Europe. Anderlecht en a même joué deux de suite, en 1983 et 1984. Les Bruxellois ont remporté celle de 1983 contre Benfica, mais ont perdu (après des tirs au buts, bien sûr) celle de 1984 contre Tottenham, l’adversaire de ce soir. Voici une reconstitution chronologique - remplie d’anecdotes croustillantes - avec les protagonistes de cette double confrontation contre les Anglais.
La nuit du 8 mai 1984 : un fan de Tottenham tué
À cette époque, la finale de la Coupe de l’Uefa (l’Europa League actuelle) se jouait encore en aller-retour. Anderlecht, qui avait éliminé Bryne (Norvège), Banik Ostrava (Slovaquie), Lens, le Spartak Moscou et Nottingham Forest (le match retour a déclenché la fameuse affaire Nottingham), avait le malheur de débuter à la maison.
Le hooliganisme anglais était en plein boom au début des années 80. Vu que toute la tribune debout, derrière l’un des buts, était à disposition des visiteurs et que beaucoup de fans étaient venus sans tickets, les supporters de Tottenham étaient presque 10.000 à Bruxelles. De sérieuses bagarres avaient eu lieu en ville. La nuit, un fan avait d’ailleurs trouvé la mort. Graham Roberts, buteur pour Tottenham au match retour, témoigne : "Visiblement, le meurtre a eu lieu dans un bar sous l’hôtel où nous logions. Je n’ai pas entendu le coup de feu, mais d’autres l’ont entendu."
Le 9 mai, grosses tensions avant le match
Pendant la journée, la tension ne faisait que monter en ville. Vu qu’il n’existait pas de séparation des fans avant le match, les bagarres se succédaient. "Je n’oublierai jamais ce match", témoigne l’actuel commissaire d’Anderlecht, Philippe Boucar. "On avait dû se battre comme des chiffonniers."
Morten Olsen était défenseur au Sporting. "Je n’en croyais pas mes yeux en arrivant en car au stade. On ne voyait que des policiers, des voitures de police et des tanks..."
En tout, 210 Anglais ont été arrêtés et 23 personnes ont été blessées.
Le 0-1 de Miller, le 1-1 d’Olsen
Anderlecht avait une formidable équipe. Paul Van Himst, l’entraîneur, pouvait se permettre de laisser Vercauteren sur le banc. Le stade Vanden Stock était comble, avec 33.000 spectateurs. "Je me souviens que le kop et la fanfare étaient dans l’actuel tribune 3, la longue tribune en face des vestiaires", se remémore Georges Grün, l’un des jeunes de l’équipe. "L’ambiance, quand nous montions sur le terrain, m’avait procuré des frissons."
Privé de ses vedettes Clemence (le gardien emblématique), l’Argentin Ardiles et Glenn Hoddle, Tottenham n’était pas impressionné par le grand Anderlecht. "Nous aurions dû gagner par quatre buts d’écart", exagère Roberts. "Nous avions une très bonne équipe; nous avions éliminé le Bayern Munich dans cette même compétition. Le 0-1 de Miller était plus que mérité. Entre-temps, Anderlecht avait joué un sale coup à notre capitaine Perryman. Il était à une carte jaune d’une suspension; il est tombé dans le piège des Belges et était suspendu pour le retour."
Olsen avait inscrit le 1-1 en fin de match. "L’un de mes nombreux buts", rigole le Danois . "J’étais au bon endroit après un tir repoussé d’Arnesen."
Le 22 mai, Vandenbergh se blesse...
Avant le match retour, c’est… Beveren qui était couronné champion de Belgique. Anderlecht avait gagné son dernier match de championnat à La Gantoise (1-2, des buts tardifs de Scifo et de Czerniatynski) mais voulait terminer la saison en beauté à White Hart Lane.
La veille du match, la tension était tangible entre les deux clubs. La presse anglaise avait rappelé l’incident mortel du match aller; beaucoup de supporters anderlechtois n’avaient pas fait le déplacement par peur de représailles.
Au dernier entraînement, Anderlecht perdait son buteur. Erwin Vandenbergh : "La tradition veut qu’on s’entraîne toujours dans le stade avant le match. Mais Tottenham nous avait envoyé dans une prairie sans buts, avec de l’herbe beaucoup trop haute. Nos vestes de training servaient de poteaux de but. En fin d’entraînement, je me suis tordu la cheville en retombant mal après un duel aérien. Vandereycken a dit ses quatre vérités aux responsables de Tottenham. J’ai été dans un hôpital londonien en espérant être retapé. En vain. Tottenham avait ce qu’il voulait."
... et les Anglais menacent de ne pas jouer
Côté anglais, il y avait d’autres problèmes. Les joueurs ne recevaient pas les primes qui leur avaient été promises. "On menaçait de ne pas jouer", se rappelle Roberts. "On voulait une partie de l’argent télé, mais le président répliquait qu’il ferait jouer une équipe de jeunes si on refusait de jouer. Finalement, il a plié. Et puis, notre capitaine nous avait annoncé que le coach serait de toute façon viré. On était révoltés. Et on voulait jouer pour ce fan qui avait trouvé la mort."
Le 23 mai, l’échauffement
Paul Van Himst optait pour Arnesen comme remplaçant de Vandenbergh. Vercauteren remplaçait Brylle par rapport au match aller. Czerniatynski était l’attaquant le plus offensif. "Je voulais jouer le match de ma vie", se souvient Czernia , actuellement entraîneur de Seraing. "L’Angleterre me faisait rêver. Un transfert en Premier League aurait été formidable. En tant que gamin, j’avais toujours hâte de voir la finale de la FA Cup . Quelle désillusion de voir White Hart Lane à moitié vide à la fin de l’échauffement. Et quel boost d’adrénaline de voir ce même stade tout rempli quelques minutes plus tard, lors de notre montée sur la pelouse. Ils étaient 46.000 à chanter : merveilleux."
Le 0-1 de Czernia, le 1-1 de Roberts
Anderlecht jouait mieux qu’à l’aller. Czerniatynski s’était chargé du 0-1 à la 62e. "Via une passe de 30 mètres, Olsen m’avait trouvé sur la gauche", raconte Czernia . "J’avais vu que le gardien était sorti de son but; je l’ai lobé de l’extérieur du pied droit. Quand la télé montre des buts de Czernia , ce sont toujours des goals à la Alex . Eh! bien, qu’ils montrent une fois celui-ci..." (rires)
Lors du dernier quart d’heure, les Anglais jouaient leur va-tout. Ardiles était monté au jeu; le pressing devenait énorme. "C’était du vrai kick and rush ", dit Paul Van Himst. Heureusement, Anderlecht disposait de Jacky Munaron. Mais huit minutes avant la fin, Roberts inscrivait le 1-1, après un centre de... Hazard. Pas le père d’Eden, mais Mickey, également un médian. Roberts: "Dans la même phase, Ardiles avait frappé sur la barre à trois mètres du but. Heureusement. Grâce à lui, j’étais le héros. Anderlecht se croyait déjà champion d’Europe. Là, j’ai cassé les Bruxellois. J’en ai encore la chair de poule."
Jacky Munaron se fâche encore quand il pense à ce but. "Il y avait une poussée grande comme une maison de ce Roberts sur Walter Degreef. Un scandale. Mais ce grand arbitre allemand (Roth) n’osait pas siffler. On a été volés."
Olsen rate, Mills également
Le 1-1 n’a pas évolué pendant les prolongations. Les tirs au but devaient donc désigner le vainqueur. C’était la première fois de l’histoire de la Coupe d’Europe que cela arrivait. Par le passé, en cas de match nul après 120 minutes, le vainqueur était désigné via un toss...
Roberts inscrivait son penalty, Olsen ratait le sien. Olsen: "Je n’avais pas l’habitude de tirer des penalties, mais je me sentais bien dans le match et j’ai dit à Van Himst que j’étais candidat. Mon penalty n’était pas si mal donné que cela, mais le gardien avait choisi le bon coin. Je n’avais rien à me reprocher; j’avais joué un bon match. Après ce match, Tottenham m’a même fait une proposition de transfert."
Sur YouTube, on voit Paul Van Himst tirer une bouffée d’une cigarette pendant la série de penalties. Van Himst en rit : "C’est vrai ? Je n’étais pas un vrai fumeur, mais mon adjoint, Martin Lippens, fumait. À cause du stress, je dois lui avoir demandé une cigarette. Ce n’est pas fumer ma cigarette que j’ai fait, c’est la manger." (rires)
Falco, Brylle, le jeune Scifo, Archibald et Vercauteren convertissaient leur tirs au but, mais Mills voyait le sien paré par Munaron. Roberts : "Et puis, les 46.000 spectateurs ont chanté à haute voix le nom de Mills. C’est le public qui a gagné la Coupe. Le tireur suivant savait qu’il ne devait pas stresser, vu que le public le soutiendrait de toute façon."
Gudjohnsen rate et pleure
Thomas inscrivait le 4-3 pour Tottenham; Munaron s’énervait de plus en plus. "Cet arbitre allemand n’arrêtait pas de me dire que je devais rester sur ma ligne et que je ne pouvais pas bouger avant la frappe", râle l’ancien gardien des Mauves. "J’en avais marre. Et il ne disait rien au gardien de Tottenham, qui ne faisait que bouger et anticiper. Heureusement que cet Allemand ne comprenait pas ce que je lui ai lancé en français..."
Le dernier tireur d’Anderlecht était Gudjohnsen. "Il n’aurait jamais dû tirer", dit Munaron. "Il relevait de blessure. D’autres joueurs cadres se sont désistés."
Van Himst: "Je n’avais pas le choix; Arnor devait s’y coller. Je n’avais personne d’autre." Gudjohnsen confirme : "J’avais eu une blessure sérieuse; j’avais débuté le match sur le banc. Je n’étais donc pas au mieux de ma forme. J’ai visé le coin gauche, mais le gardien était bien parti. Grâce à moi, le gardien est devenu populaire."
Jacky Munaron s’est aussitôt occupé de Gudjohnsen. "Il pleurait comme un gosse. Je l’ai soutenu pour aller au vestiaire."
Parks, qui avait été préféré au monument Ray Clemence, qui était légèrement blessé, savoure encore ce moment. "Je ne savais pas comment les Anderlechtois frappaient", assure-t-il. "Il n’y avait pas d’analyses vidéo comme aujourd’hui. J’ai choisi un coin; c’était deux fois le bon. On a fêté ça dans le club jusqu’à 6 h du matin, avec beaucoup d’alcool. J’étais invité par une télé à 7 h du matin. Arrivé au studio de la télé, ils m’ont mis dans un taxi et m’ont renvoyé chez moi..."
Aujourd’hui, il est entraîneur des gardiens à Aston Villa. "J’ai déjà rencontré Eidur Gudjohnsen en Premier League , mais je n’ai pas osé lui parler du penalty raté par son papa. Et Frank Arnesen m’a dit qu’il aurait marqué. Je lui ai répondu: ‘Ce soir-là, tu n’avais pas les c... d’en tirer un’..." (rires)