Quand les coaches étaient joueurs (5/8) | Preud'homme : "Le jour où j’ai déçu un gosse…"
Chaque jour, nous plongeons dans la carrière de joueur d’actuels entraîneurs de D1A. Ce samedi, Michel Preud’homme nous raconte comment il a vécu sa brillante et longue carrière de joueur.
- Publié le 01-04-2017 à 10h49
- Mis à jour le 01-04-2017 à 10h54
Chaque jour, nous plongeons dans la carrière de joueur d’actuels entraîneurs de D1A. Ce samedi, Michel Preud’homme nous raconte comment il a vécu sa brillante et longue carrière de joueur.
"J’ai souvent espéré que des supporters vivent, ne fût-ce qu’un mois, la vie que je menais quand je jouais. J’aurais voulu qu’ils ressentent les fatigues, physiques et psychiques, qui me faisaient pester contre ce foutu réveil qui, le matin, sonnait toujours beaucoup trop tôt. Je comprenais John Mc Enroe quand il explosait sur un court ou quand il interrompait sa carrière pendant quelques mois. Car la pression qui pesait sur lui devait être encore plus insoutenable que celle qui m’écrasait de temps à autre."
Formulée à l’aube des années nonante, cette confidence n’a pas d’âge. Elle dépeint à la fois le Preud’homme meilleur gardien du Mondial 1994 et l’entraîneur à succès qu’il est devenu.
Michel Preud’homme a toujours campé un volcan qui s’efforce de canaliser une imminente éruption. S’il s’est parfois dispersé dans les premières années de sa riche carrière, si son incroyable et irréductible détestation de la défaite - ne serait-ce que dans le moindre jeu - l’a miné nerveusement, sa gentillesse naturelle a très souvent rogné ses indispensables temps de repos. "Je n’ai jamais rien regretté parce que je savais que, lorsque j’acceptais de participer à une œuvre philanthropique, je faisais plaisir à quelqu’un. C’est la raison pour laquelle je ne me suis jamais dérobé à un engagement que j’avais pris. Sur le terrain comme dans la vie, je me suis toujours investi totalement dans tout ce que j’entreprenais. Je me sens heureux quand je peux soulager ceux qui ont be soin du réconfort, parfois dérisoire, que je peux leur prodiguer. Je ne m’implique toutefois que dans les actions des associations qui ont noué des liens avec le sport."
Quand il jouait, Michel Preud’homme consignait scrupuleusement sur un agenda les sollicitations dont il faisait l’objet : "Quand j’ai accepté d’envoyer un poster à une petite fille qui devait subir une opération, je n’ai pas pu oublier la date de l’intervention."
Le gardien du KV Malines ne pouvait être taxé de démagogie : "Chaque fois que j’agissais concrètement pour aider un handicapé, j’aurais pu contacter la presse pour le faire savoir publiquement. C’eût été une manière de m’attirer les bonnes grâces des gens. Je n’ai invoqué ces actions secrètes que pour expliquer que je menais une vie de dingue. Le bonheur, c’est d’être en paix avec soi-même. Si je n’avais pas agi comme je l’ai fait, ma conscience me l’aurait reproché."
Michel Preud’homme se souvient encore du jour où il a déçu un gosse : "Ce gamin avait dix ans. Il voulait devenir gardien de but et était fou de moi. Il assistait aux entraînements, derrière mon but. La veille de ce jour-là, nous étions rentrés d’un déplacement européen à Malmö. Nous aurions voulu jouir d’une grasse matinée. Ruud Krol, notre entraîneur, avait maintenu la séance de décrassage du matin. Maussade, je me dirige vers mon but. J’aperçois mon fan, qui me regarde avec des yeux écarquillés. Je veux briller pour lui. Geert Deferm décoche quatre obus qui font mouche. Je devenais fou ! Je sentais que j’avais déçu mon petit admirateur. Trois jours plus tard, nous recevions Anderlecht. J’ai livré une brillante prestation. Au coup de sifflet final, j’ai repensé à ce gosse que j’avais déçu. J’espérais qu’il avait été fier de moi. Je lui ai dédié mon match. La réaction de cet enfant après l’entraînement m’avait autant préparé à ce Malines - Anderlecht que toutes les séances individuelles qu’on aurait pu me dispenser."
À Aad de Mos : "Marre de ton jeu de con !"
Ils se sont découverts à Malines et, au fil de leurs succès communs, ces deux artisans de la fantastique épopée du club de John Cordier se sont voués un respect inaltérable. Aad de Mos, sur le banc de touche, et Michel Preud’homme, dans les buts, ont grandement contribué à l’avènement européen du KaVé. Les deux hommes s’estimaient énormément. Le premier cité ne s’est vraiment fâché sur le second qu’une seule fois : "À l’entraînement, il me frustrait volontairement de certaines choses pour mieux me stimuler. Je me laissais piéger à tous les coups. Quand on disputait un match, il m’empêchait parfois de quitter mon petit rectangle. Sur les reprises de volée, je me faisais tuer. J’ai toujours détesté cela. De rage, je l’insultais : ‘J’en ai marre de ton jeu de con !’. ‘Si tu n’es pas d’accord, tu rentres au vestiaire !’, m’intima-t-il, excédé. Comme je n’ai pas toujours bon caractère, j’ai quitté l’entraînement en râlant. Le lendemain, je boudais encore. Je suis arrivé au stade à 9 h 30 et non à 9 heures comme d’habitude. J’ai brossé ma séance d’étirements. Nous avons à nouveau disputé un petit match. Aad de Mos est venu, comme si de rien n’était, étudier avec moi les phases arrêtées. L’incident s’était aplani de lui-même."
"Liège n’est pas le centre du monde"
Michel Preud’homme aurait voulu imiter Christian Piot, une de ses idoles, et s’imposer comme le gardien inamovible du Standard. Les blessures de Piot et de sa doublure, Jean-Paul Crucifix, l’érigèrent en numéro un lors d’un déplacement à Anderlecht, en août 1977. Entraîneur à l’époque, Robert Waseige n’avait pas hésité à titulariser le petit prodige. Michel Preud’homme n’allait pas vraiment s’ancrer à Sclessin. L’affaire Waterschei et l’alternance imposée par Michel Pavic entre lui et Gilbert Bodart, un rival qu’il n’appréciait pas alors même qu’il était devenu son beau-frère, y affectèrent autant son rayonnement qu’un mode de vie de cigale.
Malines l’enrôla pour 235.498 euros. Preud’homme disputa son dernier match sous le maillot du Standard le 20 avril 1986, contre le RWDM : "J’avais attendu un geste du club que j’avais servi pendant neuf ans. Ce geste, le club ne l’a pas posé. Mes partenaires s’étaient cotisés pour m’offrir un seau à champagne. Jean-Marie Defourny m’avait invité au restaurant, mais à titre privé. Seuls les remerciements des supporters me mirent du baume au cœur. J’étais déçu de quitter Liège, déçu que le Standard m’ait préféré Bodart. Mais en débarquant à Malines, j’ai pris conscience que la Cité Ardente n’était pas le centre du monde. Comme tout Liégeois, je l’avais cru longtemps."
"Superstitieux, moi ?"
L’incroyable rituel d’un obsédé perfectionniste du détail.
L’avion qu doit emmener la délégation du KV Malines à Bergame, où l’équipe va disputer une demi-finale retour de Coupe d’Europe, fait vrombir ses moteurs. Preud’homme, qui déteste l’avion, affecte la décontraction.
Sous l’œil amusé de Clijsters, il a joué un petit tour à Pascal De Wilde. Soudain, ses sourcils se froncent : un intrus occupe sa place tacitement réservée, au deuxième rang à droite, près du couloir. Contrarié, déjà irrité, Preud’homme, d’un geste sec, intime à Geert Deferm l’ordre de décamper. Ce dernier refuse d’obtempérer. Un orage menace : Deferm a transgressé un rite.
Les joueurs, qui ont tous reconstitué la mosaïque habituelle des places, se gardent d’intervenir. Preud’homme cède : le visage fermé, il s’installe ailleurs et se mure dans un silence maussade.
À Malines, Aad de Mos et ses joueurs baignaient dans un océan de superstitions. Gare à celui qui, dans la salle des joueurs, s’avisait de s’asseoir dans le fauteuil de l’entraîneur ! De tous, Michel Preud’homme était le plus atteint : "Je suis superstitieux comme d’autres sont claustrophobes. Je n’en ai jamais eu honte. Pire : j’ai communiqué mon virus à mes équipiers."
Minutieuse et rituelle, sa préparation d’avant-match composait une étonnante chanson de gestes, immuables et mécaniques, qui l’aidaient à évacuer la tension qui habitait cet indécrottable perfectionniste : "Quand on jouait le samedi soir, je tirais toujours deux coups de réparation après le dernier entraînement, le vendredi. La tradition voulait que, quand je m’élançais pour tirer le second, Aad de Mos me criait : ‘Cela ne compte pas !’, pour me faire perdre ma concentration. Il obtenait ainsi le résultat exactement inverse.".
La grand-messe débutait surtout le jour du match : "Je me levais entre 9 et 10 heures. Jamais avant 9 h. Je déjeunais, modérément, de tartines de confiture. Ensuite, je nourrissais mes poissons et je soignais mon chien. Puis, je me dirigeais vers la librairie, située à 500 m de chez moi. Je m’y rendais à pied. Je traversais toujours la rue au même endroit : en diagonale entre deux taques d’égout. En revenant, je retraverse la rue au même endroit qu’à l’aller. Je sirote alors une petite tasse de café en effectuant ma revue de presse personnelle."
Le téléphone grésillait à 12 h 30 précises : "Un ami fidèle m’appelait. Jamais il n’a dérogé à cette tradition. À 15 heures, je devais ensuite impérativement pousser la porte d’un salon de dégustation de glaces tenu par des amis malinois qui m’avaient aidé à trouver une maison."
Lorsque les joueurs prenaient une collation en commun, Preud’homme n’a jamais omis la saynète du cure-dents : "C’était une superstition importante. À la fin du repas, je me levais et j’allais chercher les cure-dents. Deux petits pots. Je les présentais aux entraîneurs et au kiné. Ce dernier devait se servir le premier. Le deuxième entraîneur devait, obligatoirement, extraire le deuxième bâtonnet en partant de ma droite. Ce rituel accompli, je déposais un petit pot sur ma table. Je me servais puis je posais l’autre, dans lequel puisaient mes équipiers. Il m’arrivait d’oublier ce cérémonial : les entraîneurs et mes partenaires me le reprochaient promptement."
"Où est ce bout de papier ?"
Le rituel auquel s’astreignait Michel Preud’homme ne s’interrompait pas à son arrivée au stade. Il s’intensifiait au contraire : "J’allais inspecter la pelouse. Le but de droite d’abord. Je frappais le sol avec le talon. Ce geste anodin me conférait de l’assurance. Je répétais la même scène près de l’autre but. En regagnant le vestiaire, je devais découvrir un petit bout de papier. Il me rassurait."
Jamais Preud’homme n’aurait marché sur une des lignes délimitant l’aire de jeu : son match aurait couru à la catastrophe. Le gardien ne quittait pas le vestiaire, pour l’échauffement, avant que l’entraîneur lui pose une question rituelle : "Quelle heure est-il exactement ?"
Preud’homme apparaissait enfin : "Je courais en dehors de l’aire de jeu et je traçais des angles droits. Pas question de risquer un pied sur la pelouse avant le coup d’envoi : son herbe était sacrée !"
Dans le vestiaire, le gardien s’adonnait encore à différentes simagrées avant d’en effectuer le tour dans le sens opposé des aiguilles d’une montre : "Je frappais la main droite de chaque titulaire en énonçant son nom. J’étais enfin prêt : le match pouvait débuter."
Pendant la rencontre, Preud’homme ne marchait jamais sur le point de penalty quand le ballon ne voyageait pas dans les environs : "Naguère, j’avais encaissé un but après avoir piétiné cette marque."
"Plutôt plus tôt que plus tard..."
"La saison dernière, notre programme initial était tout aussi lourd. À tout prendre, je préfère défier La Gantoise lors de la première journée des PO1 que lors de la huitième."
Michel Preud’homme veut croire que le club est prêt à concrétiser son dernier objectif, pour lequel il n’a jamais fait mystère : "On n’a jamais caché qu’on voulait renouveler notre titre de champion. Malgré nos absents, on recèle encore les moyens de nos ambitions." L’an dernier, le club avait remporté ses deux premiers matchs avant de perdre les deux suivants. Il pourrait accepter de consumer un premier joker...