Karim Belhocine se confie à cœur ouvert : “Footballistiquement, le Covid m’a tué à deux reprises”
Discret dans les médias, Karim Belhocine est sorti de l’ombre pour se dévoiler avant l’affrontement décisif entre ses deux anciens clubs.
- Publié le 14-04-2024 à 08h14
On le dépeint comme grand timide dans un monde avide de placer les gens dans des carcans. La réalité ne correspond pas aux étiquettes qu’on nous colle. Après cinq minutes de discussion avec Belhocine, on retrouve le Karim chaleureux, bavard et pertinent connu par tous les joueurs qui l’ont fréquenté.
Il a beau avoir ramené en 2016 Courtrai des méandres du maintien aux portes des playoffs 1 pour son baptême d’entraîneur et envoyé Charleroi sur le podium pour la première fois en 120 ans, personne ne fait appel à lui depuis la fin de sa deuxième aventure chez les Kerels le 29 août 2022. À croire qu’en Belgique, on peut se passer de l’entraîneur qui a pris le plus de points en 2020.
A-t-il le tort que ses interviews individuelles se comptent sur les doigts de la main ? Toujours est-il que Karim Belhocine a accepté de se confier pendant deux heures sur pléthore de sujets comme sa carrière de coach, sa vision du métier ou sa conception tactique à la veille d’un affrontement décisif entre ses deux anciennes équipes et en attendant de retrouver un nouveau défi. “Bien sûr que le terrain me manque”, assure-t-il.
Ses débuts comme entraîneur
”J’ai dit à Marusic qu’il pourrait jouer dans un grand championnat européen s’il reculait d’un cran”
Karim, est-ce que devenir entraîneur vous a toujours semblé évident ?
“Je n’ai pas eu le temps de réfléchir. J’étais blessé et Courtrai m’a proposé de devenir l’adjoint de Johan Walem. C’était une superbe opportunité. ”
Et six mois plus tard, vous vous attendiez à être propulsé comme numéro 1 ?
”Pas du tout. Un soir, les dirigeants m’appellent en m’expliquant qu’ils allaient limoger Johan. Je cherche à le défendre mais ils me disent que je dois assurer l’intérim car la décision est déjà prise. Je fais match nul à Charleroi puis je gagne mes trois matchs avant de perdre à Anderlecht. On finit à quelques points des playoffs 1 puis on termine en finale des playoffs 2 contre Charleroi.”
Comment aviez-vous réussi à transfigurer aussi rapidement cette équipe ?
”Quand j’étais adjoint, j’étais proche des joueurs. C’est une richesse car ça crée des liens mais à long terme, il faut refixer une distance avec eux. C’est important que tu incarnes une certaine autorité à leurs yeux parce qu’il ne faut pas oublier qu’un footballeur reste jeune tout au long de sa carrière. Dans la vie civile, tu es un jeune cadre à 30 ans alors que dans le foot, tu es presque à la retraite. Il ne faut pas oublier que ça reste des jeunes humains.”
Cela comporte-t-il des aspects négatifs ?
”Mes joueurs, je les aime. Je connais leurs codes mais en effet, j’ai des pistes de réflexions car ça a marché pour moi lors de mes diverses expériences mais pas jusqu’au bout. Cette proximité, elle peut te revenir à la figure quand les résultats ne suivent pas. Le groupe ne te lâchera jamais mais tu ne parviendras plus à tirer le maximum de ses qualités.”
La proximité avec les joueurs peut te revenir à la figure.
Tactiquement, grâce à quoi trouvez-vous rapidement des inspirations ?
”Je vais prendre un exemple parlant. À l’époque, Adam Marusic évoluait comme ailier droit. Il me manquait un piston pour passer à trois derrière et je voyais en lui la solution. Le problème, c’est qu’il fallait le convaincre. Pendant un entraînement, je l’appelle et je lui dis qu’il va vite, qu’il court longtemps, qu’il sait centrer et qu’il est puissant. Comme il ne marquait pas beaucoup, ce nouveau rôle était idéal pour lui. Je lui ai dit qu’il pourrait jouer dans un grand championnat européen s’il reculait d’un cran. Maintenant, il est à la Lazio.”
Sa conception tactique
”Si tu n’as pas deux défenseurs centraux rapides et adroits à la relance, n’utilise pas une défense à 3”
Après avoir côtoyé autant de temps Vanhaezebrouck, vous ne pouviez pas faire autrement que choisir une défense à 3.
”Ce sont les éléments que tu as à ta disposition qui détermine ton système, pas l’inverse ! Walem évoluait à 4 derrière mais j’avais ce qu’il fallait pour repasser en 3-4-3. Attention, le 3-4-3 de Hein où tu attaques en ayant 3 arrières et où tu repasses à 4 en perte de balle. Zarko Tomasevic, Maxime Chanot et Samuel Gigot étaient de bons défenseurs, habiles balle au pied. Sur les côtés, Tomasevic pouvait même endosser ce rôle de piston et à droite, Marusic le faisait à merveille. À la récupération, Elohim Rolland et Birger Verstraete, que l’on a lancé définitivement, gardaient l’équilibre.”
Pourquoi repassez-vous l’année suivante dans un dispositif plus traditionnel ?
”Parce que la direction vend tous mes défenseurs. C’était vite vu. Il fallait se réadapter. Si tu n’as pas deux défenseurs centraux rapides et adroits à la relance, qui savent s’infiltrer, et des pistons capables aussi bien d’attaquer que de défendre, n’utilise pas une défense à 3.”
C’est compliqué pour un coach de changer de dispositif ?
”Quand tu as eu de la réussite, c’est complexe de modifier tes certitudes car tu t’attaches à ton schéma. Mais en repassant à 4, on fait le record de points pris par Courtrai sur un premier tour. Du coup, la direction vend pas mal de joueurs au mercato d’hiver et ça devient difficile. Dans certains clubs, être sauvé trop tôt ne te sert à rien (sourires).”
Dans certains clubs, être sauvé trop tôt ne te sert à rien.
Son arrivée à Charleroi
”J’ai dit à Mehdi que je ne savais pas me vendre”
Comment vous vous retrouvez à Charleroi à l’été 2019 alors que vous n’avez envoyé aucun CV ?
”Un jour, Mehdi Bayat m’appelle pour me rencontrer. Moi, je préparais la saison avec Anderlecht comme adjoint en attendant l’arrivée de Vincent Kompany. Je n’étais au courant de rien.”
Vous êtes surpris par cet appel ?
”Je pense que Mehdi cherchait une pointure pour succéder à Mazzù qui partait à Genk. Il avait notamment discuté avec Hein. Puis les portes se sont fermées et vient donc cet entretien. J’y vais naturellement. Je lui dis 'Écoute, je ne vais pas te mentir. Je ne sais pas me vendre. Ce n’est pas mon genre de faire des PowerPoint en me vantant. Mais je vais t’expliquer mon projet et ma façon de travailler'.”
Le courant passe tout de suite ?
”Mehdi est quelqu’un d’humain. Il marche au coup de cœur. Je quitte donc Anderlecht pour devenir l’entraîneur principal des Zèbres.”
Là aussi, vos coups tactiques fonctionnent vite notamment avec le replacement de Morioka.
”Je m’étais rendu compte à l’entraînement qu’il récupérait beaucoup de ballons contrairement à ce que tout le monde croit. À Malines, Diandy se blesse. J’ai un milieu défensif sur le banc mais je veux à tout prix faire entrer un deuxième attaquant en la personne de Nicholson pour qu’on garde le ballon. Je décide donc de faire reculer d’un cran Ryo et on dit à ce moment-là que c’est peut-être le meilleur milieu de terrain de Belgique.”
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochaient un football peu chatoyant ?
”Vous pouvez travailler la possession toute votre vie mais si vous avez des profils comme Mamadou Fall, ils ne vous attendront pas pour prendre la profondeur.”
Le début de la fin chez les Zèbres
”Quand Kaveh rate le péno, je sens que ça sera difficile”
Le 7 mars 2020 à l’avant-dernière journée de la phase classique, vous écrasez Gand (1-4) et vous montez sur le podium. Puis le Covid tombe.
”Les Buffalos étaient invaincus à domicile. Notre groupe était extraordinaire. À mon anniversaire, les joueurs m’avaient balancé dans le jacuzzi. Ceux qui me portaient étaient quatre remplaçants. Ça m’avait marqué. Tout le monde se poussait vers le haut et ça se matérialisait par des résultats.”
Que se serait-il passé sans le Covid ?
“Footballistiquement, le Covid m’a tué à deux reprises. À Charleroi et à Courtrai lors de mon deuxième passage. On ne sait pas jusqu’où on aurait pu aller dans ces playoffs 1. On a quand même réussi à remotiver les joueurs qui ont fait un 18/18 historique avant de s’écrouler.”
L’élimination en barrage d’Europa League face au Lech Poznan constitue-t-elle le tournant ?
”Nous ne sommes jamais parvenus à digérer cette déception. À part Gillet, aucun de mes joueurs n’avait disputé une compétition européenne. C’était la chance de leur vie. On touche le poteau et quand Kaveh (Rezaei) rate le péno, je sens que ça sera difficile de les relever pour la saison même si on a tous essayé.”
Nous ne sommes jamais parvenus à digérer la déception de l'élimination en barrage d'Europa League.
Qu’est ce qui a précipité votre chute par après ?
”Après le 18/18, j’avais dit à Mehdi de faire quelque chose sinon, on rencontrerait des problèmes. Il m’a pris pour un fou alors que tout le monde parlait du titre. La surexposition médiatique n’a pas fait que du bien à certains. Et il aurait fallu vendre des éléments qui n’avaient plus la tête à Charleroi. En hiver, les renforts ne correspondaient pas au vestiaire de Charleroi.”
Votre départ était un soulagement ?
”Avec Mehdi, on s’est séparé d’un commun accord car ce n’était plus tenable sportivement. Humainement, des gens au club ont pleuré à mon départ.”