Notre série sur les lieux mythiques des classiques avec la maman de Frank Vandenbroucke: "Dans la Redoute, je revois Frank dans chaque virage"
Frank Vandenbroucke remportait Liège-Bastogne-Liège il y a 25 ans. À cette occasion, nous avons réuni Chantal Vanruymbeke, la maman de VDB, et Pierre-Yves Jacqmin, fondateur de la bière La Redoutable, qui a designé un coffret cadeau avec un hommage discret et sincère à son idole.
- Publié le 19-04-2024 à 06h41
- Mis à jour le 19-04-2024 à 09h08
Le café de la Grand’place, à Ploegstreet, fait partie de ces endroits sur lesquels le temps ne semble pas avoir d’emprise. En franchissant la porte, on s’en rend directement compte : Frank Vandenbroucke est toujours partout. Sur les murs, via des photos, des trophées et des maillots. Mais aussi, et surtout, dans les cœurs.
C’est encore plus vrai lorsque Chantal Vanruymbeke, la maman de VDB, est présente. Elle a été la gérante des lieux jusqu’au décès de son fils, en octobre 2009. “Mais, ici, je suis toujours comme chez moi”, sourit-elle après avoir fait la bise à absolument tout le monde à l’intérieur de l’établissement situé juste à côté du cimetière du village, où l’ancien enfant terrible du cyclisme belge repose en paix.
Si j'avais collecté ce que les gens déposent sur la tombe de Frank, je pourrais remplir un conteneur.
“Je vais au moins une fois par semaine sur sa tombe, pour faire un tri dans les objets que les gens déposent.” Des plus basiques au plus farfelus. “Certains déposent leurs bidons mais j’ai déjà retrouvé des maillots, des chaussures ou des casques. Si j’avais dû collecter tout ce qui a été déposé ces dernières années, j’aurais de quoi remplir un conteneur.”
La côte de VDB : “J’étais aux premières loges de son duel avec Bartoli”
C’est dire à quel point le mythe VDB est encore intact. Et intiment lié à une côte : la Redoute. C’est là qu’en 1999, Frank Vandenbroucke a placé sa première attaque, avant de remporter Liège-Bastogne-Liège. Parmi les nombreux passionnés présents sur le bord des routes ce jour-là, l’un a fait le déplacement jusqu’à la frontière française pour remettre un cadeau bien spécifique à la maman de son idole. Il s’agit de Pierre-Yves Jacqmin, le fondateur de la bière La Redoutable, en hommage à la côte située à Remouchamps.
“En ce 25e anniversaire de la victoire de Frank sur la Doyenne, j’ai créé un coffret cadeau, avec un hommage discret mais sincère, explique-t-il. Les lettres VDB sont présentes à plusieurs endroits. Beaucoup de gens ne le verront pas mais cela me tenait à cœur de le faire car j’étais un grand fan. Quand il y a eu ce fameux mano à mano avec Bartoli, en 1999, j’étais aux premières loges, dans les pentes des plus dures de La Redoute. À l’époque, elle était rarement le juge de paix de Liège-Bastogne-Liège. Et quand Frank a attaqué, on savait qu’on vivait quelque chose d’unique.”
Au moment de recevoir, avec beaucoup de plaisir, la toute première édition de ce coffret spécial, Chantal Vanruymbeke glisse une petite explication. “Il y a tellement de gens qui me demandent d’utiliser le nom ou l’image de Frank pour, excusez-moi du terme, se faire de l’argent, que je refuse quasi systématiquement. Mais pour Pierre-Yves, j’ai fait une exception. Car il transpire la passion. Son hommage me touche.”
Un succès qu’il avait annoncé : “Il a expliqué où il allait attaquer dès le matin”
La passion se ressent encore plus lorsqu’on ouvre la boîte à souvenirs de cette fameuse édition de la Doyenne 1999. “Frank venait de terminer Paris-Roubaix à la septième place et il était revenu à la maison durant quelques jours, avant de prendre la direction de Liège, se souvient sa maman. Il n’arrêtait pas de nous dire qu’il allait gagner la Doyenne. Toute la semaine, il ne parlait que de ça. Il débordait de confiance, comme d’habitude.” En privé mais aussi publiquement. “Lors des interviews d’avant-course, le dimanche, il a répété le même discours aux journalistes ! Il leur a expliqué, avant la course, où il attaquerait et qu’il gagnerait en solitaire. Et il l’a fait ! Quand on y pense, c’est totalement fou. Il s’était mis une pression énorme. Mais c’était sa manière de se motiver.”
Si en ce 18 avril 1999, Pierre-Yves était fidèlement installé dans les gros pourcentages de la Redoute (”J’allais chaque année au même endroit et j’y ai d’ailleurs croisé… Frank, en spectateur, l’année suivante”), Chantal, elle, était, comme d’habitude, au café de la Grand’place. “On avait mis une télévision dans la salle et le restaurant était plein à craquer, se remémore-t-elle. Et, en fin d’après-midi, vous imaginez bien que c’était la folie. La femme de Nico Mattan était venue avec des bombes de couleur et avait teint les cheveux de tout le monde en bleu ! Et, le soir, quand Frank est revenu, avec plusieurs équipiers, c’était encore plein. Au propre comme au figuré (rires). On leur avait mis une table pour manger mais il y avait tellement de monde qu’ils ont finalement été manger en face, où ma fille habitait, pour avoir un peu de calme. Puis, ils sont revenus pour faire la fête jusqu’au bout de la nuit.”
Dans le café, tout le monde a terminé avec les cheveux bleus.
Une fiesta qui en rappelle forcément d’autres. “On a vécu ça plusieurs fois, sourit la maman de VDB. Quand il a été champion de Belgique juniors ou quand il a terminé troisième du championnat du monde. Ce café, cela a toujours été notre quartier général, avec ses bons et ses mauvais souvenirs.”
Un pèlerinage il y a quelques années : “J’avais besoin de me rendre compte”
La côte de la Redoute restera, à jamais, associée à un souvenir exceptionnel. “Quelques années après la mort de Frank, il a fallu que j’aille sur place, explique sa mère. Je n’y avais jamais été. Donc, je me suis rendu là-bas, en voiture, car j’avais besoin de me rendre compte de ce que c’était. Et ma première pensée, ça a été de me dire : comment est-ce possible de monter cette côte à des allures pareilles ? C’était aussi beaucoup d’émotion car, à chaque virage je voyais Frank. je me disais : 'là il a fait ceci, là il a fait cela'. C’était un moment spécial.”
Regarder Liège-Bastogne-Liège chaque printemps à la télévision est tout aussi spécial. “J’ai toujours une émotion particulière qui m’envahit quand le peloton passe dans La Redoute, reprend Chantal. Ces dernières années, elle a de nouveau été décisive avec les attaques de Remco Evenepoel. Mais la victoire qui m’a le plus marquée, ces vingt dernières années, c’est celle de Philippe Gilbert, en 2011. Dix jours avant la course, il m’avait téléphoné pour me dire qu’il voulait gagner pour Frank. Et il l’a fait.”
Avant sa victoire en 2011, Philippe Gilbert m'a téléphonné : il voulait gagner pour Frank.
Mais il n'a pas fallu attendre cet évènement pour que les relations entre la famille Gilbert et la famille Vandenbroucke soient très cordiales. Et Philippe a toujours une petite attention pour Chantal lorsqu’il la croise. “Je me souviens qu’en 2010, déjà, il m’avait demandé l’autorisation pour écrire la préface d’un livre sur Frank. Et j’ai encore une carte qu’il avait signée, avec Maxime Monfort, lors d’une sélection nationale. Depuis lors, je l’ai gardée précieusement.”
Un mythe toujours intact : “Les gens ne retiennent que le positif”
Encore aujourd'hui, il est admirable de voir à quel point VDB n'a pas été oublié. “Cela me fait plaisir de voir qu’il est encore aimé par tant de personnes”, indique Chantal, avec émotion. “J’en fais partie”, lui indique Pierre-Yves, dans un sourire réconfortant. “J’ai 47 ans et j’ai été baigné par l’époque VDB. J’ai l’impression que c’était hier et je n’ai que de bons souvenirs.”
Il n'y a pas un jour sans qu'on me parle de Frank.
”C’est bizarre, les gens ne retiennent que le bon, ajoute Chantal. On a l’impression qu'ils ont oublié le négatif. Et pourtant, on l’a vécu aussi… Mais je me suis encore rendu compte de la popularité de Frank il y a une quinzaine de jours, lorsque j’ai reçu un appel d’un homme qui souhaitait que je lui envoie une belle photo de mon fils pour… se la faire tatouer. Comme l’image sur le téléphone n’était pas assez nette et qu’il n’habitait pas loin, je me suis déplacée pour lui donner celle qui était dans ma cuisine. Une semaine plus tard, il est revenu avec la photo tatouée sur lui, et avec un autre cadeau : un socle en marbre que son frère, entrepreneur en pompes funèbres, avait fait avec la photo en question. Pour mettre sur la tombe de Frank. Mais c’est tellement beau qu’on a décidé de le laisser dans le café. Il est beau hein mon garçon ?”
”Et il était encore plus beau sur un vélo ! Quelle classe il avait… et pour avoir eu la chance de le rencontrer brièvement, c’était un gars vraiment sympa”, précise Pierre-Yves. “Il était sympa avec tout le monde”, termine Chantal. “Vous savez, il n’y a pas un jour où on ne me parle pas de Frank. Mais je reste surprise de la manière dont les gens l’aiment, l’adorent et l’idolâtrent.” C’est peut-être ça, la meilleure définition d’une légende.