Un vélo à prix réduit et décrit comme une “machine de guerre” que tout le monde s’arrache : Decathlon a réussi son entrée dans le peloton
L’entreprise française s’est associée à l’équipe AG2R La Mondiale pour cinq ans. Les premiers résultats sont probants et le vélo Van Rysel RCR Pro n’y est pas étranger.
- Publié le 25-04-2024 à 06h54
- Mis à jour le 25-04-2024 à 08h37
Le 27 novembre 2023 restera une date importante dans l’histoire de l’équipe de Vincent Lavenu. Ce lundi-là, le patron de l’équipe qui s’appelait encore AG2R-Citroën Team annonçait l’arrivée d’un nouveau sponsor pour cinq ans. Decathlon allait faire son entrée dans le peloton professionnel, assurant à la formation d’Oliver Naesen, Benoît Cosnefroy ou encore Felix Gall son avenir jusqu’en 2028. Le tout avec un budget revu à la hausse.
À l’époque, l’annonce n’avait peut-être pas eu tous les échos qu’elle méritait puisque le monde du cyclisme n’avait que la fusion ratée entre Jumbo-Visma et Soudal-Quick Step à la bouche. L’avenir s’est négocié plus sereinement du côté de l’équipe savoyarde, qui a donc pris un accent ch’ti cet hiver puisque Decathlon est aujourd’hui basée à Lille, à quelques kilomètres de Villeneuve-d’Ascq où elle a vu le jour en 1976.
À la sortie des classiques, le premier bilan de ce nouveau partenariat est plutôt flatteur puisque l’équipe compte déjà dix victoires au compteur, soit une de plus que sur l’ensemble de la saison 2023.
De l’argent, mais pas seulement
Pourtant, les deux recrues phares de l’hiver, permis par l’augmentation de budget, se font discrètes. Sam Bennett est encore loin du niveau qui lui a permis de remporter dix succès en grands tours entre 2018 et 2022. Quant à Victor Lafay, qui a explosé lors du dernier Tour de France avec une victoire d’étape de prestige, il n’a pas encore pu étrenner son nouveau maillot à cause de pépins physiques.
Mais le principal apport de l’entreprise se situe peut-être ailleurs : elle a mis ses tout nouveaux vélos Van Rysel RCR à disposition de l’équipe. Exit BMC, donc, qui équipait la formation depuis 2021. Mettre fin au partenariat avec une marque bien implantée dans le peloton pour s’associer à une entreprise qui est plus connue des sportifs du dimanche que du monde professionnel pouvait s’apparenter à un pari un peu fou mais Vincent Lavenu a tenu à rassurer tout le monde dès ce fameux 27 novembre 2023 : “Les coureurs, qui vont disposer d’une véritable machine de guerre, ne pourront pas me dire que l’absence de résultats vient du vélo.”
Évidemment, vous n’entendrez jamais un patron d’équipe ou un coureur douter publiquement d’un nouveau partenaire. Mais les termes “machine de guerre”, venant de la bouche d’un Vincent Lavenu toujours mesuré, avaient de quoi surprendre. “De mon côté, j’ai discuté de ce nouveau vélo avec Oliver Naesen avant de signer au sein de l’équipe. Il parlait du Van Rysel comme du meilleur vélo sur lequel il a roulé dans sa carrière. J’ai directement pensé : 'Il est obligé de me dire ça'”, nous explique Sander De Pestel. L’ex-coureur du Team Flanders-Baloise n’a pas mis longtemps à tomber sous le charme.
”Un gain d’environ 3 %”
En stage cet hiver, De Pestel a d’abord constaté qu’il gagnait beaucoup de temps sur plusieurs segments Strava : “Jusqu’à 30 secondes dans certaines descentes, où l’aérodynamisme prend beaucoup d’importance.” Aligné en février sur la Ruta del Sol, dont la plupart des étapes ont été annulées en dernière minute à cause de grèves, le coureur de 25 ans a eu l’occasion d’y partager des entraînements avec des coureurs d’autres équipes. Des compagnons d’infortune qui devaient bien meubler leurs journées en l’absence de compétition et qui en profitaient pour passer leur curiosité à propos de ce nouveau vélo. “J’ai fait une bosse de cinq minutes avec un ex-équipier et je devais pousser 15 watts de moins à vitesse et poids équivalents. À notre niveau, où chaque détail compte, c’est une différence énorme. Le gain dépend évidemment de la vitesse mais je dirais qu’en règle générale ce nouveau vélo me fait économiser environ 3 % de force.”
”L’aérodynamisme du vélo est excellent”, appuie Jordan Labrosse, coureur passé professionnel cette année. Le Rhodanien a longtemps cumulé les casquettes de membre des équipes de jeunes et de… mécanicien dans sa formation actuelle, il en connaît donc un rayon niveau matériel. D’autant plus que Van Rysel équipait l’équipe juniors quand il y évoluait. “Le confort et la rigidité sont également au rendez-vous, ils ont fait un travail incroyable.”
Un sport de plus en plus mécanique
Lui aussi est témoin de la curiosité du peloton autour de sa nouvelle monture. “Plusieurs gars m’ont déjà dit que notre vélo avait l’air super rapide. On sait que le cyclisme devient de plus en plus un sport mécanique donc c’est un vrai luxe d’avoir confiance en sa machine et de savoir qu’elle optimisera nos heures d’entraînement.”
Sander De Pestel ne dit pas autre chose : “Plus que des individualités, on voit des équipes complètes être en forme. On a connu l’époque où les formations qui étaient équipées par Specialized, notamment la Soudal – Quick Step, marchaient fort. Cela reste une marque de référence mais on sent à travers les résultats récents que la différence avec le reste du peloton s’estompe. Cette année, on voit que Decathlon-AG2R La Mondiale performe mieux qu’en 2023 et ceux qui étaient déjà dans l’équipe l’année dernière sont unanimes : c’est essentiellement grâce au matériel. Il faut dire que BMC n’avait proposé aucune évolution sur son cadre depuis plusieurs années.”
Outre le gain direct offert par le matériel, il y a tous les bénéfices à tirer de la spirale positive qui en découle : “Évidemment, on a encore plus de motivation à faire le métier quand on sait que le matériel rentabilisera notre bonne forme. Toute l’équipe est envahie par une spirale positive”, conclut Sander De Pestel.
La performance au service du plus grand nombre
La marque Van Rysel a été créée par Decathlon en 2019 avec la volonté de se lancer dans le marché de la haute performance, alors que B’TWIN (vélos de ville) et Triban (cyclotourisme) s’adressaient à des publics différents.
Le projet du modèle RCR est né il y a trois ans environ. Jeremie Debeuf, chef de produit, nous explique : “Depuis le début, l’ambition est de rivaliser avec les meilleurs du marché. On a fait des tests comparatifs avec les autres vélos du World Tour pour s’assurer qu’on apportait un avantage concurrentiel à l’équipe.”
C’est donc au B’TWIN Village, à Lille, que le RCR a été développé. “Une vingtaine de prototypes ont été nécessaires, notamment via l’impression 3D qui permet de tester directement un modèle en soufflerie.” Une soufflerie très accessible puisque les ingénieurs ont travaillé en collaboration avec l’Onera (centre français de recherche aérospatiale) qui se situe à un petit kilomètre des laboratoires de Decathlon.
”Il y a l’aérodynamisme, bien sûr, puisque le vélo représente à peu près 25 % de la résistance à l’avancement. Mais il y a aussi la rigidité, qui permet de ne pas perdre la puissance transmise par le coureur dans les pédales. Et il y a la légèreté, puisqu’on lutte contre la gravité… surtout dans les cols. On peut descendre à 6,8 kg avec le RCR équipé de roues pour la montagne”, reprend Jeremie Debeuf. Des roues fournies par Swiss Side, dont l’expertise initiale se situe dans la Formule 1 puisque son co-fondateur Jean-Paul Ballard a été ingénieur chez Sauber.
À propos de légèreté, aucune concession n’a été faite : “On s’est autorisé 35 grammes de peinture au maximum. Le modèle est donc très sobre puisqu’il est essentiellement recouvert d’un vernis noir. Il n’était pas question de sacrifier la performance pour le design.”
Un projet à long terme
Aujourd’hui, Decathlon commercialise deux Van Rysel RCR. La version “pro” coûte jusqu’à 9000 euros si vous souhaitez la reproduction exacte du vélo utilisé par Oliver Naesen et ses équipiers. Mais une version “classique” est disponible à partir de 4 200 euros. “Cette version est plus tolérante et confortable pour le cycliste amateur qui est moins en recherche de performance”, explique Jeremie Debeuf. Les premières machines se sont vendues comme des petits pains, à tel point que certains modèles sont en rupture de stock.
Il faut dire que les prix affichés sont en deçà de ceux des marques implantées dans le peloton : jusqu’à 15 000 euros pour les vélos haut de gamme des marques les plus réputées. “Étant intégré au groupe Decathlon, Van Rysel veut rester accessible pour le plus grand nombre. Je ne peux pas vous garantir que le prix n’augmentera pas pour les prochains modèles car les évolutions technologiques font qu’on met de plus en plus de valeur dans les recherches et les composants mais on veut faire bénéficier de la performance à un maximum de gens.”
Si notre interlocuteur se garde bien de dévoiler le budget nécessaire au développement d’un tel projet, il ne cache pas qu’une cinquantaine de personnes ont été impliquées au cours des deux années et demie de recherche. “Quand on voit les résultats, on se dit qu’on a eu raison de le faire. Il y a un vrai lien de cause à effet entre les performances de l’équipe et l’engouement autour des produits qu’on propose. Cela nous rend fiers mais on reste humbles car on sait que le haut niveau demande un investissement permanent. On a signé un contrat de cinq ans avec l’équipe World Tour, c’est la preuve qu’on veut s’installer durablement dans le top mondial”, reprend Jeremie Debeuf.
Afin de conclure d’autres partenariats dans le sport professionnel ? “Disons qu’il y avait de la curiosité autour de Van Rysel l’année dernière et qu’elle s’est transformée en intérêt cette année”, conclut le chef de projet.