Pourquoi les talents belges ont-ils déserté les centres de formation anglais ? “Des faiblesses pédagogiques et psychologiques”
Ils étaient quinze il y a trois saisons, ils ne sont plus que trois aujourd’hui : les jeunes footballeurs belges ont quasiment disparu d’Angleterre. Un scout belge qui travaille pour plusieurs clubs anglais explique ce phénomène.
- Publié le 25-03-2024 à 15h01
Le match Angleterre-Belgique de ce mardi sera le cinquième affrontement en six ans entre ces deux nations. Pour trouver un angle original, les journaux tentaient régulièrement de dénicher un des nombreux jeunes Belges partis tenter leur chance outre-Manche et de le faire découvrir à travers une interview ou un portrait. Mais ça, c’était avant.
En 2023-2024, il n’y a plus que trois compatriotes dans les équipes d’âge des clubs anglais. Dont un seul en Premier League : Enock Agyei (19 ans) avec les U21 de Burnley. Les deux autres évoluent en D2 (Trey Ogunsuyi, 17 ans, Sunderland) et en D3 (Jack Senga-Ngoyi, 20 ans, Reading). En 2020, on comptait encore quinze Belges dans les centres de formation anglais.
Une désertion aux proportions assez surprenantes qui a trois grandes explications. On les détaille avec Xavier Daminet, un Belge passé par la fédération qui est aujourd’hui recruteur pour plusieurs clubs anglais.
À cause du Brexit : “Les clubs anglais essaient de changer la loi”
En 2020, l’Angleterre a quitté l’Union européenne. La législation pour les clubs de football a beaucoup changé avec le Brexit. Offrir un premier contrat pro à un Belge de 16 ans n’est désormais plus permis. Il faut attendre sa majorité pour le faire venir, sous certaines conditions. Cela a tari petit à petit la source de jeunes footballeurs belges outre-Manche.
Si Trey Ogunsuyi joue avec les jeunes de Sunderland avant sa majorité, c’est uniquement parce qu’il a aussi la nationalité anglaise. C’est même là où il a grandi, avant de rejoindre le club le plus célèbre sur Netflix à l’âge de 10 ans. “Certains clubs peuvent avoir la tentation de contourner le règlement pour des super talents en faisant venir toute la famille en Angleterre, mais c’est très risqué.”
Ce que les clubs anglais essaient surtout de faire, c’est changer la loi. “Ils sont en négociations avec le gouvernement depuis plusieurs mois pour obtenir une réglementation sur mesure. Les retours de la classe politique sont positifs, mais rien n’a encore été voté.”
À cause des manquements dans la formation belge : “Une ignorance totale des sciences du sport”
On le voit dans les résultats internationaux chez les jeunes : le football anglais a beaucoup progressé dans sa formation. Il n’est donc plus aussi nécessaire d’aller chercher ailleurs ce qu’on a sous la main. “Grâce à l’apport d’entraîneurs allemands, français et italiens, le niveau est élevé. C’est surtout sur le plan tactique que l’évolution est la plus notable.”
L'aspect financier reste attirant pour les Belges: en 2014, Henen touchait 71 500€ par mois chez les jeunes d'Everton.
Un niveau tactique qui est justement un problème en Belgique, selon Xavier Daminet. “Les talents belges gardent ce mix de puissance et de technique, ce qui plaisait tant aux Anglais il y a quelques années encore. Mais tactiquement, il y a de vraies carences en Belgique. Un talent qui va arriver maintenant en Angleterre risque d’être dépassé par le rythme.”
Un problème qui trouverait sa source dans le niveau des formateurs chez nous. “La formation des entraîneurs belges n’est pas au même niveau qu’en Angleterre. On voit des faiblesses pédagogiques et psychologiques. Il y a aussi une ignorance totale de l’anatomie et des sciences du sport. Des aspects qui peuvent faire fortement progresser un footballeur.”
À cause de taux de réussite très bas : “Ça reste un eldorado, mais…”
Parmi les nombreux jeunes compatriotes qui ont tenté l’expérience de finir leur formation en Angleterre ces quinze dernières années, on compte très peu de réussite. Voire aucune. Cela a même valu une étude de l’économiste Matteo Balliauw. La conclusion était très claire : un Belge qui part se former en Angleterre n’atteindra pas la même valeur marchande qu’un Belge formé en France, aux Pays-Bas ou en Belgique.
Il y aurait donc aujourd’hui une certaine méfiance quand un club anglais s’intéresse à un Belge qui n’a pas encore joué chez les pros. “Je ne suis pas entièrement d’accord, reprend Xavier Daminet. L’Angleterre reste un eldorado pour beaucoup de jeunes footballeurs et pour les agents. L’aspect financier reste important, même en sachant que le chemin risque d’être plus compliqué.”
Il faut dire que les clubs anglais ne lésinaient pas sur les moyens en mettant un jeune sous contrat, période avant Brexit. À titre d’exemple : quand il avait signé à Everton en 2014, David Henen (alors 18 ans) touchait un salaire mensuel de 71 500€. Une fiche de paie que beaucoup de footballeurs de Pro League n’ont pas actuellement.