Mehdi Carcela se confie avant la finale de la Coupe de Belgique: "Je mène un combat permanent contre moi-même"
Accueilli à Sclessin comme le messie pour son 2e retour, Mehdi Carcela n’est plus le même. À 28 ans, le Marocain affiche une grande maturité qui va servir la cause du Standard.
- Publié le 17-03-2018 à 07h46
- Mis à jour le 17-03-2018 à 08h13
Accueilli à Sclessin comme le messie pour son 2e retour, Mehdi Carcela n’est plus le même. À 28 ans, le Marocain affiche une grande maturité qui va servir la cause du Standard.
Les cheveux sont bien coiffés, la veste en cuir est déposée sur les épaules, la démarche est légère tandis que le légendaire sourire qui ne le quitte jamais est plus que jamais vissé sur ses lèvres. Quelques jours plus tôt, son entrée au jeu tonitruante à Ostende a propulsé le Standard en PO1. C’est donc un Mehdi Carcela décontracté, avec le sentiment du devoir accompli, qui nous rejoint pour une heure d’entretien en cette semaine de finale de Coupe. "Salut les gars. Je fais une partie en français et l’autre en néerlandais ? (l’interview est réalisée conjointement avec un média du Nord du pays) . Pas de souci hein." Mehdi Carcela affiche la même légèreté qui l’accompagnait lors de sa montée au jeu à Ostende où il a changé la face d’un match crucial pour les Rouches. À 28 ans, c’est un Mehdi Carcela bien plus mature qui redébarque à Sclessin avec des objectifs bien ciblés. Entretien.
"Ah oui (rires) . Je l’ai constaté en revoyant les images. En fait, la pression, celle de l’enjeu, du résultat, de l’obligation de s’imposer vu les autres scores qui nous étaient défavorables, c’est ce qui me donne la force. Plus le challenge est difficile, plus c’est marrant pour moi, le goût de la mission accomplie sera d’autant plus savoureux. En fait, quand je souris, c’est que j’ai faim, que j’ai la rage."
Cette décontraction, c’est votre plus grande force ?
"On va plutôt parler d’une forme de nonchalance qui, parfois, est mal comprise mais oui, c’est ce qui fait ma force."
Mal comprise à l’étranger ?
"Par certains coaches, oui. Mais ici, au Standard, cela a toujours été compris."
Le Standard justement, vous n’avez pas l’impression qu’il n’y a que là que vous pouvez être à 100 % ?
"Ici, je n’ai pas besoin de m’intégrer. C’est donc plus facile. Mais c’est vrai que c’est à Liège que je me sens le mieux. Ce qui me donne beaucoup de force, c’est d’être auprès de ma famille. Ici, je suis avec ma fille, ma mère, tous mes proches."
Le cocon familial est donc toujours primordial dans vos choix ?
"J’en ai besoin. Tous les jours, je suis en contact avec mes proches. Si je ne les vois pas deux jours de suite, je ressens un manque. Partout où je suis allé, plusieurs membres de ma famille me suivaient. C’était le cas de mon petit frère, mon cousin, mon père. Ça reste toujours une affaire familiale. Ma réussite, ce n’est pas uniquement la mienne, c’est aussi celle de ma famille."
Seriez-vous d’accord de dire que vous êtes votre plus grand adversaire ?
"Parfaitement. C’est un combat que je mène contre moi-même depuis le début de ma carrière. Tout se passe dans ma tête."
Comment l’expliquez-vous ?
"Je ne sais pas trop. Il faut à chaque fois que je me fixe d’autres objectifs et que je me remette de suite en question. Plus l’objectif sera compliqué, meilleur je serai."
Justement, depuis votre retour, on a l’impression que vous voulez être décisif à chaque match.
"Oui c’est vrai, mais c’est toujours en ayant l’objectif collectif en tête. Cela faisait deux ans qu’on ne jouait plus les PO1 , j’ai calqué mon objectif sur celui de l’équipe. À chaque match, j’avais cette échéance en tête, j’étais donc ultra-motivé. Comme je l’ai déjà dit, plus c’est compliqué, plus je suis chaud. À Ostende, à 0-2, j’étais alors au summum de l’excitation."
Par le passé, vous n’avez pas toujours eu cette exigence ?
"J’avais parfois des relâchements et je ne me remettais pas toujours en question. Même pendant un match, tu me voyais apparaître une ou deux minutes, parfois c’était suffisant mais d’autres fois pas. J’en reviens à ce combat que je mène depuis le début contre moi-même. En grandissant, on évolue, on mûrit. On dit toujours qu’un joueur de football atteint le top de sa carrière entre 27 et 32 ans. À 28 ans, j’y suis et j’essaie de prouver que j’ai bien évolué."
Vous n’affichez pas de regrets quant à votre carrière ?
"Non, aucun. Je ne pense pas que beaucoup de joueurs auraient pu se relever comme je l’ai fait après mon accident en 2011. Les médecins me disaient que je n’allais plus jamais jouer au football. Je suis fier de ma carrière. J’ai joué à Benfica qui est un grand club au Portugal où j’ai été champion. J’ai fait de bonnes choses partout où je suis allé mais je ne peux pas refaire le passé."
Beaucoup d’observateurs s’accordent pourtant à dire que votre place n’est pas en Jupiler Pro League ?
"On me disait déjà ça quand je suis revenu la première fois."
C’est différent aujourd’hui tout de même.
"C’est vrai que j’ai acquis davantage d’expérience de mes passages à Benfica, Grenade et l’Olympiacos. J’ai aussi pris plus de confiance en moi. J’ai encore évolué. Mon style de jeu est identique mais ma confiance est bien plus importante."
Parlons enfin de votre statut. Votre rôle au cœur du vestiaire a changé.
"Je dois donner l’exemple. C’est ce qui change par rapport à mes premiers passages. J’ai des responsabilités tous les jours. Je dois être un leader, sur et en dehors du terrain. Mon expérience, je dois la partager avec les jeunes comme les anciens l’ont fait, il y a dix ans, quand je suis arrivé dans le groupe. À l’époque, mes mentors se nommaient Momo Sarr, Milan Jovanovic ou encore Salim Toama. Aujourd’hui, c’est à mon tour de passer le flambeau et je prends plaisir à répondre aux questions que me posent les jeunes."
"La Ligue des Champions à Sclessin me manque"
En revenant au Standard, Mehdi Carcela s’est fixé des objectifs à court et long terme.
"Je ne suis pas revenu ici pour jouer les PO2. Je veux la qualification pour les PO1 et la Coupe." En revenant au bercail dans les ultimes secondes du mercato hivernal, Mehdi Carcela avait donné le ton. Le Marocain a des objectifs à court mais aussi à long terme sous le maillot rouche. Mehdi Carcela les évoque ainsi que d’autres sujets, toujours sans tabou.
Le Soulier d’Or : "Ce n’est pas moi qui décide. Ce serait une belle récompense. Je vais d’abord donner tout ce que je peux au Standard et on verra plus tard."
Rester au Standard : "Mon souhait est de rester ici et de faire quelque chose de grand avec le Standard mais, dans le football, tout peut aller très vite. Je suis au Standard et j’espère y rester un moment. Je n’ai pas encore eu de discussion avec la direction car tout s’est enchaîné très rapidement avec l’accumulation des matches."
Encore des rêves de carrière : "Au Standard surtout. J’aimerais revivre les soirées de Ligue des Champions à Sclessin. Ça me manque."
Sa relation avec Venanzi : "Je le connaissais avant qu’il ne devienne président puisqu’il venait souvent au stade. C’est un président qui a une grande dimension humaine. La relation est différente de celles que j’avais avec Lucien D’Onofrio et Roland Duchâtelet. Dès les premières discussions, j’ai compris le projet qu’il avait pour le club sinon je ne serais pas revenu."
Son flirt avec Bruges : "C’est vrai que Michel Preud’homme me voulait après Benfica. Si cela se faisait, c’était pour lui car c’est lui qui m’a fait monter chez les pros pour la première fois. Au final, j’ai opté pour la Liga qui était aussi un rêve pour moi. Pourrais-je encore envisager de jouer pour un autre club belge aujourd’hui ? Non."
"Ce match contre Genk, c’était écrit…"
Samedi, Mehdi Carcela foulera bien la pelouse du stade Roi Baudouin dont il a été privé il y a sept ans suite à son accident.
En revenant au Standard cet hiver, Mehdi Carcela avait pointé la Coupe comme étant un de ses objectifs principaux. "C’est la seule ligne qui manque à mon palmarès avec le Standard. Je l’ai gagnée en 2011, mais comme je n’ai pas joué la finale, cela n’a pas la même saveur."
Samedi au stade Roi Baudouin, Carcela veut effacer la frustration de 2011 consécutive à l’accident à Genk et ce coup de pied au visage de Chris Mavinga qui privait le Marocain de la finale de la Coupe contre Westerlo.
Sept ans plus tard, Carcela ne garde de cette finale que des bribes de souvenirs. "J’ai quelques petites images qui me reviennent de la visite de l’équipe à l’hôpital avec la Coupe. J’aurais voulu la jouer. Je ne l’ai pas pris comme une injustice mais comme une énorme déception."
Cette déception renforce sa motivation à quelques heures de défier Genk au stade Roi Baudouin. "Évidemment. Et le fait que ce soit Genk en face, c’était écrit, c’est le destin. J’ai l’occasion de prendre ma revanche sur Genk même si cela reste de bonne guerre."
Après avoir sorti Anderlecht, Ostende et Bruges, Mehdi Carcela et les Rouches veulent aller au bout. "Personne ne se souvient du nom du perdant d’une finale ou du deuxième d’un championnat. Alors qui se souviendra de notre parcours ? On doit juste rester les pieds sur terre car Genk est une bonne équipe qui produit, à mes yeux, un excellent football."
L’objectif des PO1 atteint, le groupe liégeois jouera-t-il sans pression samedi ? "Pas du tout. L’accession aux PO1 a certes enlevé un poids, mais cette finale, c’est quelque chose de particulier. Même si on ne se met pas de pression, il ne faut pas se mentir, elle se fera ressentir quand on arrivera au stade et qu’on verra une partie des gradins en rouge et l’autre en bleu. Le tout sera de bien gérer cette pression et qu’elle nous transcende."
En tant que leader, Mehdi Carcela a motivé les troupes ces dernières heures. "Je devais partager mon expérience. Mon message aura été qu’il ne faut pas se poser de questions. C’est dans ce genre de match qu’on reconnaît les grands joueurs."
Samedi, dans le camp adverse, Mehdi Carcela retrouvera un ami en la personne de Dieumerci Ndongala. "Ah DMC. Dieumerci Ndongala, c’est mon petit, ça", lance-t-il avec un large sourire. "On s’est encore vu récemment. Je me souviens que je l’avais hébergé chez moi quand il était à l’Académie. Lui et Polo (Mpoku) avaient été renvoyés de l’internat durant un mois et je les avais pris à la maison chez mes parents."
À Genk, le Congolais prêté par le Standard a retrouvé toutes ses sensations, de quoi faire le bonheur de son ami. "Je l’avais encouragé au moment de son prêt et il prouve qu’il est un grand talent. Techniquement, il sait tout faire. Il peut réaliser de grandes choses."
Comme Carcela mais à un degré bien moins grave, Ndongala a connu une blessure qui a freiné son évolution. "Les ichios, c’est toujours chiant car ça revient souvent et tu joues toujours avec une peur que ça répète. Il fallait lui laisser un peu de temps pour se remettre bien et jouer à son top."
Lorsqu’on demande au Rouche qui de son ami ou lui est le plus technique, son visage s’illumine. "Faut lui poser la question à lui (rires). Non, je ne dirais pas que c’est moi car il est extrêmement doué. Ce sera un match dans le match entre nous, on se lance des petites piques."
En tant que Bruxellois, Ndongala accueillera son ami dans son jardin. "Oui, mais qu’il se méfie car nous, les Liégeois, on est chez nous partout (rires)."
"Je me regardais sur Youtube pour me rappeler de mon jeu"
L’accident de 2011 contre Genk a totalement changé la trajectoire de Mehdi Carcela.
Genk et Carcela, ce n’est pas vraiment la grande histoire d’amour depuis ce soir du 17 mai 2011. Après 25 minutes de jeu, Chris Mavinga plantait son pied dans le visage du Marocain qui s’effondrait au sol. Ses équipiers, en pleurs, le croient mort. "Plus tard, j’en rigolais en regardant les images; c’est du Mehdi, ça (rires)", lance-t-il.
Ce coup qu’il attribue au destin va changer fondamentalement sa vie et la vision qu’il en avait.
"J’ai pris conscience que la vie pouvait nous échapper en une seconde. Quand tu vois des joueurs victimes d’arrêt cardiaque, ça fait réfléchir. J’ai pris cet accident comme une seconde chance. En vouloir à Mavinga ? Non, jamais. Je ne suis pas rancunier. J’ai même pardonné Bjorn Ruytinx ", sourit-il.
La rééducation a été lente et longue pour le médian qui a dû tout recommencer depuis le début. "Je devais regarder des vidéos de moi sur Youtube pour me souvenir de mon jeu. J’avais oublié comment je jouais. Quelques mois après l’accident, je dormais encore 12 heures par jour à cause des médicaments."
Cette blessure allait également modifier sa trajectoire sportive. À l’époque, les plus grands clubs se l’arrachent dont le grand Real Madrid. "C’est clair que cette mésaventure a conditionné mes choix. Sans ça, j’aurais peut-être eu une autre trajectoire car de grandes écuries me suivaient. Il y avait Arsenal mais surtout le Real Madrid. Je me souviens de la visite de Zinedine Zidane à Liège avec Lucien. Rien que de le voir, c’est impressionnant, mais savoir qu’il est là pour toi, c’est incroyable. Cela fait partie des souvenirs d’avant l’accident qui restent intacts. J’étais encore un gamin et c’était une fierté. Je me suis dit que je valais quelque chose ."
Au lieu du Real Madrid, ce sera la Russie et Anzhi Makhachkala où une légende du foot va lui rendre confiance : un certain Samuel Eto’o. "Il m’a donné énormément de conseils. Je l’écoutais pendant des heures. C’était un exemple et un homme important dans ma carrière, si pas le plus important."