Van Cleemput: "À l’arrivée, le chef, c’est David !"
Thierry Van Cleemput évoque les secrets de la réussite de son binôme avec Goffin.
- Publié le 28-12-2018 à 06h49
- Mis à jour le 28-12-2018 à 08h01
Thierry Van Cleemput évoque les secrets de la réussite de son binôme avec Goffin. Voilà cinq ans qu’il coache David Goffin. Cinq ans de voyages, d’expériences, de joies et de déceptions. Cinq ans de tranches de vie au plus haut niveau du tennis mondial. Thierry Van Cleemput défraye peu les chroniques et occupe rarement les feux de la rampe. Le Carolo de 50 ans joue pourtant un rôle essentiel dans la carrière du champion liégeois. Comme entraîneur sur le court, bien sûr, mais aussi comme guide, comme conseiller, presque comme ami. À la veille du début de la nouvelle saison, nous avons rencontré cet homme de l’ombre, passionné et passionnant.
Comment définiriez-vous votre rôle de coach de David Goffin ?
"Disons que je suis un facilitateur de performances. En réalité, ma mission est d’optimiser son potentiel. Lorsque tout va bien, évidemment. Mais aussi - et surtout - lors de périodes plus compliquées, lorsqu’il sort de blessure, lorsqu’il manque de confiance, lorsqu’il est en méforme ou fatigué. Le coach doit, en permanence, anticiper, s’adapter à la situation et essayer de trouver les meilleures solutions pour son joueur. Il doit faire preuve à la fois de sévérité et d’empathie."
Concrètement, sur un tournoi de l’ATP Tour, quel est votre journée type ?
"Il n’y a pas de règles. Chaque jour est différent, chaque situation est particulière. Mais, en général, j’établis le programme la veille, quitte à l’adapter en fonction d’éléments nouveaux. En tennis, on ne peut jamais vraiment tout prévoir. Une rencontre peut être décalée à cause de la pluie ou du retard. David a déjà commencé des matchs à minuit ! Mais, d’une façon générale, un jour de compétition, on prend le petit-déjeuner ensemble, on réalise un éveil musculaire souvent dans la salle de gym de l’hôtel, on se rend au club pour un échauffement avec un sparring qu’on a booké la veille, on déjeune. Puis, en fonction de l’heure, je prévois un petit briefing d’avant-match."
Précisément, comment se passe ce dernier discours tactique ?
"Là encore, il faut utiliser le momentum. Un bon briefing se réalise lorsque le joueur est pleinement réceptif. Avec le temps, je crois pouvoir déceler chez David ce timing. Il ne s’agit pas de longs discours. J’essaie de définir l’objectif, d’évoquer les points forts ou faibles de l’adversaire, de bien cadrer la rencontre afin qu’il monte sur le terrain avec les idées claires et en pleine confiance. Cela doit être simple, précis, efficace. Généralement, ce n’est pas un monologue. On parle, on discute. On se complète. C’est là notre force."
Même chose pour le débriefing ?
"Oui, là aussi, il est important de trouver le moment idéal. Cela peut être juste après la rencontre ou carrément le lendemain. Là encore, on échange même si, parfois, David se montre plus taiseux. Mais il s‘agit alors d’un silence actif qui porte aussi ses fruits."
Quelle est la clé pour que David performe le mieux ?
"Il faut qu’il monte sur le court bien dans sa tête et avec un minimum de doutes. Il faut qu’il soit persuadé qu’il va gagner son match. Alors, tout devient plus facile, peu importe l’adversaire. Il est dans sa bulle, il lâche son meilleur tennis, il a une attitude conquérante de vainqueur. C’est là qu’il est le plus fort et qu’il peut battre les meilleurs."
Qui est le chef dans votre binôme ?
"Le chef, c’est David ! Mais on ne travaille pas avec cette vision en tête. Et puis, on forme une équipe bien plus large avec le kiné, le préparateur physique, le médecin, le psychologue du sport. C’est un vrai team. Quelque part, il me revient de jouer un peu au chef d’orchestre et de bien tout programmer pour permettre à David d’être le plus performant possible. C’est dans ce rôle que je dois faire preuve d’un vrai leadership. C’est à moi de trouver les bonnes solutions lorsqu’il y a un problème. Le but final est d’ôter le moindre doute de la tête du joueur. De le mettre sur les bons rails et dans les conditions optimales. C’est ça le métier de facilitateur de performances dont je parlais au début !"
"Encore des pages à écrire"
Thierry Van Cleemput a été récemment sollicité par un joueur du top.
Le tennis belge occupe, de longue date, une place de choix dans la sphère du tennis mondial. Et ses entraîneurs, détenteurs virtuels de formules magiques dans la formation de grands talents, font du coup référence.
Comment s’étonner, dans ce contexte, que Thierry Van Cleemput ait été récemment sollicité pour coacher un joueur étranger du top mondial ? "C’est exact, j’ai été approché par un champion dont je tairai le nom. En toute transparence, j’en ai parlé à David qui était plutôt flatté qu’on pense à moi. Et j’ai évidemment décidé de rester avec lui. Il y a encore beaucoup de choses à faire. Je suis conscient que tout peut s’arrêter dans un mois. C’est la règle du jeu. Mais je crois qu’il a encore de belles pages à écrire. L’année 2018 a été compliquée. 2019 représente un grand challenge que j’ai envie de relever. Plus c’est difficile, plus c’est passionnant…"
Van Cleemput est un puriste du tennis. Sa connaissance du jeu et des joueurs est encyclopédique. Il peut, dans la même phrase, faire référence à Rod Laver, Pete Sampras ou Roger Federer. "Je suis un peu de l’ancienne école. J’ai été nourri par les discours techniques d’un entraîneur comme comme Georges Deniau. Mais j’ai aussi eu la chance de m’asseoir à la table de Toni Nadal, Ivan Lendl ou Marian Vajda. Ce sont des sources d’inspiration. J’écoute et j’apprends à chaque minute. Au début, j’ai reçu une formation de coach à l’AFT. C’était très important pour la base. Mais le métier s’apprend surtout sur le terrain. On grandit avec des rencontres, des discussions, des expériences…"
Il est ravi et fier, en tout cas, de côtoyer ces mentors de renom. "On dit souvent que le tennis professionnel est une jungle. C’est vrai dans les catégories inférieures, comme les Futures ou les Challengers, où les joueurs jouent leur carrière. C’est moins vrai au plus haut niveau où l’ambiance est plus posée et la rivalité est curieusement moins grande. On s’entend parfaitement avec les teams de Nadal, Federer, Djokovic ou Murray. On s’entraîne souvent ensemble. Nos valeurs et nos objectifs sont les mêmes…"
"Il faut que les caractères correspondent"
Entre le coach et l’élève, le courant passe parfaitement grâce à un respect mutuel.
Une semaine aux États-Unis, la suivante en Chine ou en Europe. Sur le circuit de l’ATP Tour, les voyages forment la jeunesse ! Pour les joueurs mais aussi pour les coaches. Voilà vingt-cinq ans que Thierry Van Cleemput fréquente les coulisses du tennis de haut niveau. Et, à l’évidence, il ne s’en lasse pas. "La passion est plus que jamais là. Intacte. Je dirais même qu’elle grandit avec l’âge. Je fais le métier dont je rêvais. Certes, il n’est pas toujours facile d’être éloigné de sa famille. Mais j’ai une femme fantastique qui comprend parfaitement ma passion pour le métier."
Fort d’un diplôme d’éducation physique, Thierry Van Cleemput est entré au Centre de Tennis-Études de Mons lors de sa création en 1993, avec Eduardo Masso et Julien Hoferlin. Depuis, il a décliné le métier à tous les modes. Coach attitré d’Olivier Rochus entre 1999 et 2003, il a fait passer le joueur auvelaisien de la 685e place au top 50 ! Pêle-mêle, il a également travaillé avec Steve Darcis, Christophe Rochus ou Reginald Willems. Il s’est occupé des jeunes du Centre dont il a été aussi le directeur technique. Mais c’est, à l’évidence, avec David Goffin que sa carrière a pris une nouvelle dimension.
En 2004, lorsqu’il prend pour la première fois en charge le jeune talent liégeois, âgé à l’époque de 13 ans, il est pourtant loin d’imaginer le destin de futur top 10 mondial de son élève. Il a souvent raconté qu’il avait même failli le renvoyer chez ses parents ! Une éventualité qu’il balaya fort heureusement très vite.
Depuis 2014, Thierry Van Cleemput s’occupe à plein temps de David Goffin avec, à la clé, une fabuleuse progression. "On a appris à se connaître et à s’apprécier. Entre un coach et un joueur, il faut que les caractères correspondent. Ce qui marche avec l’un peut parfaitement ne pas fonctionner avec l’autre. Je suis toujours épaté par les qualités de David. Au niveau tennis, tout le monde connaît son talent. Mais, dans la vie, c’est un garçon simple, humble, discret. Il ne cesse de m’épater. C’est un vrai champion."
En vérité, entre l’entraîneur et l’élève, le courant passe cinq sur cinq. Pilotés par un respect réciproque, les deux hommes forment un vrai binôme. "On a des valeurs communes. Sincèrement, j’ai beaucoup d’admiration pour son attitude dans les bons ou les mauvais moments."
Ils passent forcément de nombreuses heures ensemble aux quatre coins du monde. "Le grand public ne connaît pas bien David. Il peut paraître, comme ça, un peu introverti ou fermé. Mais c’est un garçon drôle, plein d’humour au deuxième degré. À table, à deux, on peut partir dans de vrais fous rires. Récemment encore, dans le vol qui nous ramenait du stage à Tenerife, on était plié de rire devant un film."
Amoureux des grands crus
C’est l’une de ses grandes passions. Lorsqu’il en a l’occasion, Thierry Van Cleemput aime déboucher une bonne bouteille de vin, en humer le parfum, en savourer le nectar. En véritable oenologue averti. Oui, s’il a l’oeil côté court, l’entraîneur de David Goffin a souvent le nez côté cave. "Comme en tennis, j’essaye d’être bien informé. Je lis beaucoup, je surfe volontiers sur les sites de référence. Et je déguste lorsque c’est possible…"
Parmi ses terroirs préférés, il cite le Rhône septentrional avec quelques appellations qui font rêver, comme le Crozes-Hermitage ou le Saint-Joseph. "En blanc, je suis plutôt porté sur le cépage du Sauvignon…"
Curieux de tout, il agrémente sa cave au gré des rencontres, des conseils ou des dégustations. Et il sait, bien sûr, que les bons vins sont commes les grands champions : ils se bonifient avec le temps.
Rentrée à Doha
David Goffin est arrivé mardi au Qatar. Il fera sa rentrée sur le circuit la semaine prochaine au tournoi de Doha. Thierry Van Cleemput sait que son joueur devra faire preuve de beaucoup de patience avant de retrouver son meilleur niveau. Voilà quatre mois qu’il n’a plus joué au plus haut niveau. C’est énorme. "On a bien travaillé à l’entraînement ces dernières semaines. Mais la compétition, c’est évidemment autre chose. Il s’agira d’un vrai test à tous les niveaux", résume le coach.
Le plateau du tournoi qatari (ATP250) est assez relévé avec les présences de Novak Djokovic, Dominic Thiem et Karen Khachanov, notamment. "On verra le tirage. J’espère simplement que David jouera plusieurs matchs afin de retrouver ses marques et de prendre confiance avant l’Open d’Australie", résume Van Cleemput.