Philippe Dehaes, le coach belge à succès : "J’aurais été stupide de la laisser encore partir"
Philippe Dehaes achève sa préparation de quatre semaines à Barcelone avec Daria Kasatkina.
- Publié le 03-01-2019 à 07h58
- Mis à jour le 03-01-2019 à 08h02
Philippe Dehaes achève sa préparation de quatre semaines à Barcelone avec Daria Kasatkina. L’année 2018 restera mémorable pour Philippe Dehaes, le Belge qui a placé sa joueuse dans le top 10 mondial. Après la saison WTA, il était revenu en Belgique durant 3 semaines en novembre où il a pris le temps de recharger ses batteries avant d’attaquer la préparation hivernale avec Daria Kasatkina pendant 4 semaines à Barcelone.
Entre les 42 avions et les 330 jours passés loin des siens, le coach à succès a goûté aux plaisirs simples du quotidien. "Avant d’être coach, je suis père de famille et mari", confie-t-il. "J’ai trois femmes à la maison dont mes deux filles de 8 et 10 ans. J’ai profité des 3 semaines en Belgique pour les lever le matin, les conduire à l’école, faire leurs tartines ou leurs devoirs", confie celui qui co-gère l’école de tennis de Wavre. Durant les 10 premiers mois de l’année, il a choisi de consacrer le plus clair de son temps sur le circuit WTA. "Nous avons pris cette décision avec ma femme. Quand je repartais vers l’aéroport, je me souviens de ma petite Alice qui s’accrochait à mon cou car elle ne voulait pas me laisser partir encore."
Le 26 novembre, il a rejoint sa protégée russe à Barcelone où il a passé 4 semaines de stage pour la mettre dans les meilleures conditions. "Elle a notamment tapé la balle avec un jeune Belge, Théo Van de Weghe." Après un bref passage pour les fêtes en Belgique, il est reparti le 25 décembre à Brisbane pour de nouvelles aventures. Cette vie, il l’a choisie.
Aujourd’hui, il n’envisage pas de faire faux bond à celle qui l’a porté sur le devant de la scène : Daria Kasatkina. "Un coach n’est jamais sûr de son poste. Nous avons signé un nouveau contrat pour un an."
Le parcours de ce Brabançon force l’admiration. Formé sur le terrain qui se trouvait au fond de son jardin, il a patiemment construit sa carrière. "Le mécanisme s’est déclenché à la maison alors que je jouais avec des copains, commence-t-il. J’ai joué au football jusqu’à 13-14 ans. À la maison, nous sommes 4 frères et sœurs nés en trois ans."
Après avoir mené une scolarité classique, il a dispensé ses premiers cours au Waterloo Tennis les mercredis et samedis afin de gagner un peu d’argent de poche. "Il servait à payer mes entraînements."
Happé dans le giron du collège Cardinal Mercier, il a été confronté à un dilemme : entreprendre des études ou travailler dans le tennis. Il a opté pour la seconde. "J’ai toujours senti le besoin d’enseigner le tennis. Ancien B-15, je n’avais pas le niveau pour percer sur le circuit comme joueur." Au collège, l’aventure s’arrête après un an, mais il en ressort une expérience utile pour la suite qui le mène au Waterloo Tennis à nouveau. Durant dix ans, il apprend le job. L’AFT finit par lui donner sa première mission. "Je me rendais à Mons deux fois par semaine. En octobre 1999, j’ai croisé Vincent Stavaux qui m’a mis sur la route de Kristof Vliegen." Fly venait de se faire virer de la fédération flamande. "Il avait besoin d’un mec à temps plein. Moi, je recevais l’opportunité de bosser avec un joueur pro. J’en ai profité."
De 2000 à 2004 et de 2005 à 2006, il a bossé avec Vliegen. Entre 2005 et 2006 avec Malisse et Rochus. De 2006 à 2007 avec Elseneer. Il a notamment un pied dans la formidable épopée du double belge Rochus - Malisse à Roland-Garros en 2004. Il a enchaîné durant les trois saisons suivantes comme adjoint de Julien Hoferlin dans le staff de Coupe Davis.
Tout aurait pu s’arrêter en 2007 car il avait conclu un accord avec sa femme. "Je lui avais toujours dit que j’arrêterais de voyager le jour où je deviendrais papa."
Dans le même temps, Carlos Rodriguez, l’ancien mentor de Justine Henin, lançait l’académie de Justine à la Palestre. Il cherchait un directeur technique pour le Pro Team. Ce projet l’occupait pour un cycle de deux ans. "J’ai été très fier de travailler pour Justine Henin que je tiens en haute estime."
Mature et expert du jeu, il crée alors son académie professionnelle, ITEC. En quatre ans, quelques joueurs sont passés par là, mais les contraintes budgétaires étaient trop lourdes. À ce moment, il a suivi Maryna Zanevska.
Après un détour comme responsable de l’école de tennis de Géronsart de 2010 à 2015, il a intégré la fondation Hopiness qui l’a mis en contact avec Daria Kasatkina. "J’avais pour mission de l’accueillir deux semaines et de remettre un rapport. En décembre 2013, je l’ai testée. Elle a remporté le tournoi du Waterloo Tennis à 15 ans en battant des Delefortrie et Boev. Elle se savait regardée, mais elle a géré ses émotions et les enjeux. Je n’avais jamais vu un tel potentiel." Le deal ne s’est pas fait.
En 2014, le frère de la joueuse a contacté à nouveau Philippe Dehaes. "Il voulait qu’elle prépare son Roland-Garros à Namur. Je l’ai accompagnée à Roland. Elle a remporté le tournoi juniors." Pour la deuxième fois, le Brabançon l’a laissée filer. Les négociations ont achoppé car il tenait à respecter son engagement avec Géronsart. Durant trois ans, Kasatkina et Dehaes ont vécu leur vie de leur côté. En octobre 2017, le train est passé une troisième fois. "J’aurais été stupide de la laisser encore partir. Elle était déjà dans le top 35 . Comme ma femme était d’accord, j’ai tout de suite accepté."
En un an, elle a rejoint le top 10.
"Il est temps de clarifier le coaching"
Le coach n’est pas un grand fan des grands changements au niveau du règlement.
La Milan NextGen en novembre sert depuis deux ans de laboratoire grandeur nature pour tester les règles de demain. Si Philippe Dehaes était aux commandes à la WTA ou à l’ATP, il aurait plutôt tendance à ne pas trop changer les règles.
"Je suis plutôt quelqu’un de classique et conservateur", sourit-il.
1. LA RÈGLE À CLARIFIER : LE COACHING
Si nous aurions pu penser qu’il foncerait à vive allure pour autoriser un maximum le coaching, il n’en est rien. Philippe Dehaes demande juste à l’ATP, à la WTA et à l’ITF de s’accorder.
"À l’ATP, le coaching est interdit sur et en dehors des courts. L’ITF autorise durant l’US Open le coaching en dehors des courts durant les qualifs. À la WTA, on ne peut coacher depuis les tribunes, mais sur le terrain, on peut coacher une fois par set et à la fin du set. Il faudrait une position commune et claire. Patrick Mouratoglou a été clair en disant que tout le monde coache." Philippe Dehaes ne veut pas que le coach vole la vedette à la joueuse. "Un match de tennis est une confrontation entre deux joueuses. C’est la joueuse qui doit être mise en avant. L’essence même du jeu, c’est de laisser les deux filles se battre."
Il revient avec l’épisode de la finale à Moscou où il avait remis sur les rails Daria Kasatkina qui était au bord de la défaite face à Ons Jabeur. "À 6-2, 4-1, je secoue Daria. En face, Ons Jabeur n’a pas de coach avec elle. Le match opposait donc deux personnes à une. Est-ce une situation juste ? J’ai dû influencer le match."
2. LES RÈGLES À NE PAS CHANGER
Philippe Dehaes ne veut pas qu’on touche au let. "Tu dois toujours le laisser. Sinon, gagner son service se transformera en petit bonheur la chance."
Il n’est pas fan du NoAd qui veut que le point joué à 40-40 soit déterminant dans l’attribution du jeu. "Le serveur est avantagé par le NoAd car tout se joue sur un seul point."
Une polémique a enflé sur un objet tout simple, la serviette. À Milan, les joueurs étaient responsables de leur serviette. Le Brabançon n’aime pas. "Le joueur doit se concentrer sur son jeu et non sur la serviette. Je préfère qu’on colle un avertissement à celui qui ne respecte pas les ramasseurs de balle. C’est un gain de temps je trouve."
3. LES RÈGLES À CHANGER
L’une des mesures qui séduisent le plus touche au nombre de jeux d’un set. Philippe Dehaes est prêt à dégommer les sets en six jeux gagnants. "La formule en 4 jeux est intéressante. Les gens aiment la fin des sets lorsque le suspense est grand. Il faut reconnaître que les débuts de set sont ennuyeux parfois. Un break devient vite décisif, mais le match se joue en 5 sets ce qui laisse des chances de se refaire."
"Il faut s'intéresser aux filles"
Depuis les départs à la retraite de Justine Henin et Kim Clijsters, la Belgique a pris en grippe
le circuit WTA.
Malgré les présences de Wickmayer, Flipkens, Mertens et Van Uytvanck, les Belges ont boudé le circuit de ces dames. Demi-finaliste à l’Open d’Australie en 2018, Elise Mertens a rétabli le lien. Outre la Belgique, d’autres pays ont fustigé un circuit qui ne proposait plus de stars de la trempe de Mauresmo, Sharapova et Serena même si les deux dernières sont toujours là.
Philippe Dehaes a pris le temps de connaître ce circuit pro féminin. Il ne partage pas cette sinistrose ambiante. “Vous avez des jeunes filles très talentueuses comme Sabalenka (1998), Kasatkina et Osaka, Ostapenko (1997), Kontaveit et Mertens (1996) sans oublier deux filles nées en 2000 et 2001 qui sont dans le top 100. Ces 10-15 filles feront les beaux jours du circuit, mais il faut s’y intéresser. Les gens ont besoin de s’identifier à une championne.”
Il pointe le souci majeur du moment. “La WTA traverse un problème d’identité. Il existe plus de 10 filles qui peuvent gagner l’Open d’Australie. Elles sont toutes capables de perdre au premier tour. L’ATP s’appuie sur Federer, Nadal, Djokovic, Murray et Del Potro. Quand ils seront partis, le circuit masculin affrontera les mêmes difficultés. Avec la NextGen, l’ATP a anticipé cette crise, ce que la WTA n’a pas fait.”
Si la domination sans partage d’un athlète provoque un sentiment de lassitude, de trop grands changements de champions provoquent un sentiment d’instabilité. L’équilibre est précaire. “Les gens aiment quelqu’un qui accumule les grandes victoires comme Federer, Serena ou Justine.”
Ces gens ne sont pas servis pour le moment. Lors du Masters féminin à Singapour, les coachs étaient assez unanimes pour dire que toutes les joueuses peuvent emporter le titre. Lors du Masters Bis, les 12 filles présentes se retrouvaient dans le même scénario. “Et c’est formidable pour le suspense !, s’exclame Philippe Dehaes. “La WTA doit trouver le moyen marketing de mettre en valeur toutes ces filles qui le méritent.”
Ses plus beaux souvenirs de 2018
Le quart de finale à Indian Wells. “En quart de finale à Indian Wells, elle éclate 6-0, 6-2 Angélique Kerber. Pendant le match, je n’avais rien à dire ou faire. C’était incroyable. En demi-finale, elle sort un match de titan contre Serena Williams.”
Le titre à Moscou. “Je me souviens d’avoir pleuré dans ses bras. L’émotion était pure. J’ai vécu le moment-phare de l’année. J’ai senti le relâchement et toute la confiance qu’elle plaçait en moi. Le scénario de la rencontre avait été fort car elle était menée 6-2, 4-1 à Moscou, sur ses terres et en finale. Je regrette que les télés aient entendu mon discours à ce moment car elle rentre dans notre intimité. Je n’avais pas envie que les gens voient ce moment de faiblesse de Daria.”
Le respect des joueuses du top 10 . “Mon troisième souvenir n’est pas lié à un moment, mais il s’est vécu au fil des semaines. J’ai senti que Daria était de plus en plus reconnue par ses pairs. Les filles du top 10 la demandent pour les entraînements.”