Les "vieux" qui ont toujours les crocs au tennis malgré un horizon bouché: décryptage
De nombreux joueurs âgés et blessés comme Tsonga, Wawrinka ou Murray refusent de quitter le circuit malgré un horizon bouché. Décryptage.
- Publié le 29-11-2018 à 19h03
- Mis à jour le 30-11-2018 à 08h24
De nombreux joueurs âgés et blessés comme Tsonga, Wawrinka ou Murray refusent de quitter le circuit malgré un horizon bouché. Décryptage. De nombreux joueurs âgés et blessés comme Tsonga, Wawrinka ou Murray refusent de quitter le circuit malgré un horizon bouché. Décryptage.
Elle est l’une des questions les plus épineuses pour tous les pros qui réussissent une grande carrière : comment puis-je savoir le moment idéal pour partir à la retraite ?
Tous les papys d’hier et d’aujourd’hui ont répondu et répondent encore de la même façon à cette interrogation. Tant qu’ils prennent du plaisir, ils continuent. À 37 ans, Roger Federer prend donc encore autant de plaisir qu’il en procure. Son âge canonique impose le plus grand des respects. Son classement, 3e, aussi.
D’autres illustres champions tentent de s’inscrire dans le sillage du Suisse : Stan Wawrinka, Andy Murray, Thomas Berdych ou encore Jo-Wilfried Tsonga.
Si Murray est un "petit jeune" de 31 ans, les trois autres ont tous 33 ans et de nombreuses blessures à leur actif. Ces anciennes gloires du circuit galèrent pour retrouver leurs jambes de 20 ans ainsi que leur jeu. Le dos, les genoux, les hanches, les poignets, autant de zones sensibles qui ont précipité leur chute.
Aujourd’hui, aucun de ces anciens top 10 ne figure dans le top 50. Le mieux loti, c’est Stan Wawrinka qui pointe au 66e rang, talonné par Berdych (71) alors que Tsonga (261) et Murray (262) sont inséparables. À ces 4 anciennes gloires, on pourrait ajouter un David Ferrer qui avait été dans le top 3 mondial avant de dégringoler à la 128e place. Le stakhanoviste espagnol passe même par la case Challenger pour chiper des points. Gilles Muller et Tommy Robredo, aussi, veulent poursuivre leur rêve sportif malgré leur 35 ans passés.
Roger Federer, qui a inspiré tant de jeunes artistes, n’est pas responsable de ce phénomène nouveau. "Les bons joueurs restent bons, commence Manuel Dupuis, préparateur et coach mental. Ils s’accrochent car ils éprouvent des difficultés à lâcher. Il existe une forme de dépendance. Quand ils ne sont pas blessés, ils restent performants", poursuit le psychologue du sport qui étaie son analyse. "Federer, Nadal et Djokovic ont tous dû stopper assez longtemps à cause d’une blessure. Ils sont tous revenus car ils sont dotés de facultés mentales importantes. Techniquement, leur potentiel est énorme. Ils ont prouvé qu’un retour au plus haut niveau est possible."
Selon Manuel Dupuis , le plaisir éprouvé reste un paramètre central. "Ils trouvent encore une satisfaction. Sans objectif, ils perdent leurs motivations. Ils ne jouent plus pour l’argent. Partir à la retraite ressemble à un deuil qui n’est pas évident."
Ces rallongements de carrière trouvent d’autres explications. L’encadrement des joueurs est si professionnel que la prévention des blessures est remarquable. Les joueurs arrivent dans le top 100 vers 23 ans. Le matériel utilisé est plus respectueux du corps. Enfin, les joueurs se comparent volontiers. "Si le voisin tient le coup, je suis capable aussi de le faire", conclut ce préparateur mental de l’école des jeunes de Charleroi ainsi que dans d’autres sports comme le tennis ou le hockey.
"Gloire, argent et notoriété : dur de tout laisser tomber"
Philippe Godin, professeur de psychologie du sport à l’UCL, s’est penché sur la question des joueurs de tennis.
Quand la motivation s’évapore, l’heure de la retraite n’est jamais loin. Si la question mentale est centrale, il est évident que l’autre paramètre crucial concerne la résistance du corps. Physiquement, les joueurs actuels sont de véritables bêtes de compétition capables de jouer des heures sous un soleil de plomb sans perdre en précision.
Philippe Godin, professeur de psychologie du sport, suit à distance ce nouveau phénomène sur le circuit ATP. "Il est dur de rompre avec la vie qu’on mène depuis 20 ans", commence-t-il. "Ces grands joueurs ont réussi leur carrière, ce qui leur confère des avantages et des satisfactions hors norme : la gloire, l’argent et la notoriété. Ils vivent dans un monde éthéré."
Tout changement apporte son lot d’angoisse. Sortir de sa zone de confort fait peur. "La retraite les plonge dans un autre monde qui leur est inconnu."
Par conséquent, la tentation de poursuivre l’emporte de plus en plus longtemps. "N’importe qui n’est pas Federer ou Nadal qui savent qu’ils ont 9 chances sur 10 de disputer la finale de leur tournoi. Le tennis impose une endurance élevée. Un match impose en moyenne de frapper 4 000 fois dans la balle."
Le professeur de l’UCL pointe du doigt une autre peur qui hante les futurs pensionnés de l’ATP : l’absence d’un plan B. "Au soir de sa carrière sportive, le joueur n’a pas toujours songé à un plan de reconversion. Cette autre vie procure moins d’adrénaline. Or, ces gens en ont besoin. Ils ressentent alors un manque qui explique certains retours."
Ensuite, il ne faut pas minimiser l’impact des nouvelles technologies. Le revêtement des sols, les matériaux utilisés pour les raquettes sont autant d’éléments qui économisent les articulations. "Le monde change. En 2000, le circuit distribuait moins d’argent. Les méthodes d’entraînement ont peut-être changé aussi. Elles sont peut-être plus respectueuses de l’intégrité du corps. Physiquement, les joueurs de 30 ans sont moins brûlés. Avant, les compétences étaient bien réparties. Aujourd’hui, le top 10 gagne tout ou presque. Tant que les Federer et Nadal battent à la régulière les plus jeunes, ils n’ont aucune raison d’arrêter."
Néanmoins, tout peut se stopper net en un jour. Philippe Godin rappelle que la notion de plaisir constitue le meilleur moteur pour aller à l’entraînement. "Si un matin, un fil est déconnecté, tout s’arrête. Si ce sentiment perdure, la retraite est inévitable."
Filip Dewulf: "Je n’aimais pas la vie sur le circuit"
De 1990 à 2001, Filip Dewulf a connu la vie de joueur professionnel sur le circuit ATP.
En Belgique et ailleurs, personne n’a oublié son parcours à Roland-Garros en 1997. Ancien joueur du top 40, il a dû se poser la question de la retraite un jour.
Filip Dewulf, quel est le meilleur moment pour arrêter sa carrière ?
"Quand tu perds plus d’argent que tu n’en gagnes, il est temps de stopper. Quand tu éprouves des difficultés à laisser ta famille, il est temps de stopper."
Pour vous, était-ce une décision douloureuse ?
"Non ! Je n’ai jamais été un grand fan de la vie sur le circuit. Pour d’autres, cette vie est merveilleuse. Tu es toujours bien accueilli partout. Tu gagnes beaucoup d’argent. Tu vis des émotions très fortes que tu ne vivras plus jamais par la suite. Les grosses déceptions et les moments d’euphorie se succèdent. Certains veulent faire durer cette vie."
Vous comprenez donc Wawrinka, Tsonga ou Murray ?
"Je comprends évidemment qu’ils continuent. Ils possèdent encore le talent pour gagner des matchs voire des tournois. En plus, ils ont de bons contrats."
Pourquoi les carrières se prolongent-elles aujourd’hui ?
"Il y a 20 ans, nous n’avions pas un entourage pro qui nous expliquait ce qu’il fallait manger, le lifestyle et l’importance du sommeil. Nous n’étions que des amateurs. Aujourd’hui, tout le monde est bien soigné. À 30 ans, ils ont encore un corps solide."
Le commentaire de Thibaut Vinel: Agassi, le premier papy moderne
Andre Agassi avait été l’un des pionniers de ce courant papy à l’ère moderne. Le "Kid de Las Vegas" avait poussé le bouchon jusqu’à 36 ans alors que son grand rival de l’époque, Pete Sampras, avait soigneusement remisé sa raquette dans son fourreau à 31 ans. S’il avait imité Pistol Pete, le mari de Steffi Graf n’aurait pas remporté ses deux derniers Grands Chelems et ses 15 derniers titres. Agassi avait ouvert une voie. En 2006, il a fui au moment où Federer ne partageait plus rien sur le circuit. D’autres anciens rois du circuit ont pris la poudre d’escampette plus vite. Marat Safin n’avait pas encore 30 ans alors qu’Andy Roddick venait de les fêter. Il y a plus de 10 ans, l’approche de la trentaine sonnait comme le glas des ambitions sportives. On considérait jadis que les grandes années se vivaient entre 26 et 30 ans, soit 4 ou 5 saisons pour se constituer l’ossature de son palmarès. Les temps ont bien changé. Sept joueurs du top 10 ont plus de 30 ans : Djokovic, Nadal, Federer, Del Potro, Anderson, Cilic et Isner.