Autiste, Ruby s’exprime avec sa raquette
- Publié le 02-08-2018 à 13h03
À 17 ans, cette Waterlootoise s’est hissée au 81e rang national grâce à une maman en or. Malika est installée sur la terrasse du Waterloo Tennis, protégée par un parasol en cet après-midi d’été où l’air est irrespirable. En compagnie de sa fille Mallory, elle regarde son autre fille, Ruby, taper dans la balle en plein soleil. À 17 ans, l’adolescente cogne la balle durant plus de deux heures avec une fille du club de tennis local. Aucune goutte de sueur ne perle sur le corps de Ruby, qui multiplie les coups gagnants. Sa maman la regarde avec fierté. Il y a quaatorze ans, elle n’aurait pas imaginé vivre ce moment.
En 2004, Malika apprenait ce qu’elle craignait. Sa fille est autiste. "C’était affreux, avoue-t-elle. J’ai rejeté ces mots du médecin. J’ai fini par demander au psychologue ce que je devais faire. Je la voyais déjà chez les fous."
Ruby n’a jamais "été chez les fous". Elle a pris la direction des terrains de sport sans que sa maman n’y voie une thérapie. "Je voulais juste qu’elle fasse du sport comme tous les enfants. Vu son trouble, je ne pouvais l’inscrire à des sports collectifs. J’ai choisi pour elle le golf et le tennis. Elle a commencé par le golf, mais elle jetait son club, ce qui était dangereux."
Avant d’entreprendre ce long chemin sportif, Malika a croisé la route d’une femme exceptionnelle venue du Canada. "J’ai discuté avec une jeune fille qui était psychologue, spécialisée en autisme. Elle m’a sauvée. Je n’oublierai jamais sa phrase : ‘Les autistes peuvent tout apprendre comme les autres.’"
Malika et Ruby ont d’abord appris des choses simples comme rester assise ou ne plus crier. Ensuite, Ruby a voulu s’essayer au tennis pour imiter sa sœur Mallory.
"Elle regardait fixement la balle jaune. Elle est attirée par le rond, commmence sa maman. Les premiers pas ont été chaotiques. Elle criait. Elle bougeait. Elle sortait du terrain. Elle ne comprenait pas qu’elle devait taper dans la balle. Je lui tenais la main pour l’aider à taper dans la balle. Puis, je restais derrière elle."
Une première bataille venait d’être remportée. Ruby tapait dans la balle toute seule et y prenait du plaisir. "Je restais près d’elle car elle criait et sortait souvent du terrain."
En tant que maman, elle ne voyait pas pourquoi sa fille n’aurait pas pu avoir le droit de pratiquer un sport comme tout le monde. Déterminée, Malika s’est donné les moyens d’aider sa fille même si, parfois, tout se liguait contre elle.
"L’expérience avec son premier coach s’est avérée négative", reprend Malika, qui ne cesse de regarder vers le terrain si sa fille va bien. "Son deuxième coach était absent un cours sur deux. J’ai alors diffusé une annonce."
Grâce à Marc Bertho, Ruby a trouvé au Wimbledon un premier entraîneur décisif. "Thomas Debauge l’a entraînée durant trois ans. Il a connu les cris. C’est lui qui l’a portée durant la période la plus lourde. Avec des cônes et des cordes de couleurs, il lui a appris les bases."
Il ne pouvait ni la toucher ni lui parler. "Au début, la communication n’était pas possible. Il bossait en visuel. L’autiste ne parle qu’en visuel. Si tout le monde parlait en pictogrammes, il n’y aurait pas de souci. Il fonctionnait par dessins."
Voir le sourire et le bonheur naissant de sa fille avec une raquette en main apaise cette maman au courage incroyable. "Quelle situation reposante ! Je voyais enfin un entraîneur qui s’investissait avec Ruby. Il n’avait pas de préjugé."
Après trois ans, elle a été entraînée par Michaël Verhulst, à Waterloo. Lui, il répétait sans cesse que Ruby était un diamant brut. Il cherchait des schémas pour représenter le terrain et son positionnement. "Il prenait des photos de Federer pour illustrer le coup droit, ou de Serena Williams qui restait derrière la ligne."
De fil en aiguille, Ruby progressait si bien que l’heure du premier tournoi sonnait. Premier tournoi, première catastrophe. Le premier match opposait deux gamines de 10 ans. "Je ne comprenais rien, se souvient sa maman. Je ne savais même pas compter les points. Nous avons essuyé des remarques à cause de ses cris. La situation était douloureuse."
Ruby s’est accrochée au point de monter dans la hiérarchie. Lauréate de sept tournois en dames 2, elle est montée en dames 1. En deux ans, elle a pris quatorze classements pour atteindre à 13 ans B-2.
Martin Quet l’a ensuite emmenée de B-2 à B-15.2, avant que Xavier Jodocy ne prenne le relais au Sport Village.
"En dames 1, les matches sont plus agressifs. Ruby a dû se doter d’un jeu plus offensif. Sur le terrain, elle est douce. Elle devait se faire violence. Je vois qu’elle prend moins de plaisir."
Aujourd’hui, elle est la 81emeilleure belge au ranking. Elle joue six heures par semaine. "Le tennis n’est pas une thérapie, insiste Malika. Elle n’a pas d’échange avec les filles de son âge. Elle ne boit pas un verre après les matches. Elle est néanmoins en interaction avec les gens. Elle ne ressent pas d’émotion égoïste après un match. Ruby n’a pas d’ego."
Aujourd’hui, Malika aimerait voir sa fille Ruby jouer en double, ce qui n’a jamais été possible. "Je serais si heureuse, car elle aurait un contact direct avec une joueuse."
Chaque matin, son lien avec le tennis s’effectue par sa tablette, où elle regarde les matches du circuit ATP. "Elle adore le tennis. S’il n’y avait pas eu le tennis, je lui aurais trouvé une autre voie sportive", conclut Malika, les traits de son visage rrevêtant un air décidé.
"Je la voyais déjà chez les fous"
Maman de trois filles dont l’aînée a 40 ans, Malika a plongé dans un monde inconnu avec Ruby. "Au départ, je ne connaissais rien à l’autisme. Lors de sa première année de vie, elle souriait. Je n’ai rien remarqué. Vers 14 mois, elle a adopté des comportements bizarres. Elle restait collée à la télévision en regardant les points noir et blanc. Elle tournait sur elle-même. Elle bougeait ses bras. Elle répétait ‘Didididi’. Elle sautait et criait. À la crèche, on m’a dit qu’elle n’avait pas de problème. Elle n’était sûrement pas autiste. Un psychiatre m’a parlé d’une dépression précoce, mais le temps passait et le problème perdurait. J’ai rencontré un neurologue qui a effectué des tests durant 48 heures. À 2 ans et demi, il me confirmait que ma fille n’avait rien." Aux 3 ans de sa fille, Malika a pu mettre un nom sur son trouble. "Un psychologue m’a dit qu’elle était autiste alors qu’il ne l’avait pas observée. Il n’avait pas le droit de me dire ça. Il aurait au moins pu la rencontrer." Quelques mois plus tard, un expert sur l’autisme s’est penché sur Ruby pour l’aider et la comprendre.
"Mme Hut a été exceptionnelle"
Si le sport a joué un rôle dans la progression de Ruby, l’école aussi a été un passage obligatoire. Entre eux, les enfants ne sont pas toujours tendres. "Aujourd’hui, elle prend des cours à domicile", dit sa maman Malika. En maternelle, elle avait une accompagnatrice. Pour les années en primaire, elle a longtemps cherché la meilleure solution. "J’ai appelé toutes les écoles de Waterloo avant de tomber sur un établissement scolaire à Lasne, l’école Sainte-Lutgarde. Avec la directrice, Mme Hut, nous avons lancé un projet qui a été accepté par tous les acteurs. Le matin, elle apprenait avec d’autres personnes autistes. L’après-midi, elle rejoignait une classe ordinaire. En 5e et 6e, elle a même étudié dans une classe ordinaire afin de passer son CEB, qu’elle a obtenu."
Elle est boursière Hope and Spirit
Afin de progresser, Ruby avait besoin de partenaires pour les entraînements. Elle a frappé à la porte de quelques clubs qui étaient réticents à cause de son autisme. Via une connaissance, elle est entrée en contact avec un personnage : Daniel Meyers. Le fondateur d’Hope and Spirit l’a accueillie les bras ouverts. "Sans lui poser de question, il l’a mise sur un terrain avec ses joueurs. Il a mis une protection autour d’elle. Il lui a aussi offert une bourse et des sponsors. Artengo lui verse 2.000 euros par an pour s’acheter des sacs, des raquettes et des vêtements."
Sa sœur jumelle : "Je suis fière d’elle"
Mallory regarde aussi sa sœur martyriser les balles. Très mature du haut de ses 17 ans, elle porte un regard doux sur Ruby. "Nous avons nos moments de complicité. Entre les jumeaux, il existe un lien. Nous ne communiquons pas avec des mots, mais par le regard. On lit dans les pensées de l’autre." Et sa maman d’ajouter : "C’est Mallory qui reçoit le plus de câlins de Ruby."
" Elle ne vivra pas du tennis"
Avant de regarder demain, Malika préfère voir tout le chemin parcouru depuis 17 ans. "Elle ne crie plus. Avant, elle était un animal sauvage. Elle est heureuse. Elle n’a pas de notion d’avenir. Je ne sais pas ce qu’elle fera. Elle ne vivra pas du tennis. Je ne veux pas qu’elle travaille pour un patron car elle a besoin d’être protégée. J’espère qu’un membre de la famille lancera une affaire et pourra la prendre sous son aile. Elle est douée au piano, mais je ne vois pas en quoi elle pourrait en faire son avenir."
Il y a deux semaines, Ruby a disputé son premier tournoi en dehors de la Belgique, mais l’expérience a été peu porteuse. "Pour arriver à un niveau très compétitif, il faut du talent et beaucoup d’argent."