Rencontre avec Guy Forget, le directeur du tournoi: "Roland-Garros n’a jamais risqué de perdre son statut de Grand Chelem"
Le directeur du tournoi, Guy Forget, qui est fier du nouveau Roland, évoque l’avenir d’un sport en pleine mutation.
- Publié le 01-06-2019 à 07h14
- Mis à jour le 01-06-2019 à 08h39
Le directeur du tournoi, Guy Forget, qui est fier du nouveau Roland, évoque l’avenir d’un sport en pleine mutation. Les journées de Guy Forget sont millimétrées durant les trois semaines de Roland-Garros. Quand il descend dans la salle de réunion du court Philippe Chatrier pour nous accorder une interview, il ne regarde pourtant jamais sa montre. Bavard devant l’éternel, il a pris de son temps pour évoquer le nouveau Roland-Garros, qui est une réussite totale à en croire les joueurs, les supporters et les journalistes.
Guy Forget, le grand public est sous le charme du nouveau site. En un an, les équipes ont réalisé un travail formidable. Avez-vous été pleinement satisfait par les travaux ?
"Nous prenons les compliments avec plaisir. Nous avons traversé des moments durs au niveau du timing. Depuis des années, nous discutions avec les joueurs du nouveau Roland du futur stade. Tous les douze mois, nous devions leur expliquer que les travaux étaient reportés à cause des permis refusés, des recours en justice… Nous avons perdu beaucoup de temps. Pour la première fois, les joueurs découvrent enfin un site différent. Ils mesurent l’amplitude des travaux."
Ces travaux étaient-ils nécessaires ?
"Oui, bien sûr."
Avez-vous craint de perdre ce statut de Grand Chelem ?
"Non, je ne crois pas. Pour perdre ce statut, il faut vraiment commettre de grosses erreurs durant de longues années. Nous étions dans une course contre la montre. Les autres Majors ont grandi vite sur des superficies plus vastes. Pour nous, le site est plus étriqué. Les installations étaient vieillissantes. Il était indispensable de combler le retard."
Que reste-t-il à faire pour achever le chantier ?
"Nous devons encore raser le court n° 1 et poser le toit du Chatrier, qui sera opérationnel dès l’an prochain."
Dans quelle mesure le nouveau Roland-Garros est-il resté en adéquation avec son ADN historique ?
"Chaque Grand Chelem écrit son histoire. Nous avons eu la possibilité de déménager ou d’agrandir le site actuel. Nous avons opté pour la meilleure solution. Nous avons gardé nos racines. L’US Open et l’Australian Open ont déménagé un jour pour se moderniser plus vite. Nous, à Paris, nous avons gardé nos racines. Nous sommes un tournoi végétal dans le centre de Paris. À Wimbledon et à Roland-Garros, nous avons une surface de jeu vivante avec des conditions qui évoluent en cours de la journée. À l’US, le terrain a perdu de son charme avec une surface synthétique."
Aujourd’hui, ne regrettez-vous d’avoir refusé de déménager vers Versailles ou Marne-la-Vallée ?
"Compte tenu de ce que l’on sait, je n’ai aucun regret. Nous aurions eu des soucis ailleurs aussi."
Parlons de l’investissement. La modernisation du site a grevé les comptes de 400 millions. Est-ce une folie sur un plan strictement comptable ?
"Nous avons pris des risques en misant sur l’avenir. J’espère que la nouvelle génération sera aussi importante que celle emmenée par le trio Federer-Nadal-Djokovic. Le tennis est un spectacle. Il a besoin de fans, de partenaires et de la télévision. Nous avons investi sur le long terme. Je tiens à préciser qu’il a été financé à 100 % par la Fédération française de tennis. Nous n’avons obtenu aucune aide."
Dès 2021, Paris se mettra enfin à l’heure nocturne avec des night sessions. Qu’en attendez-vous ?
"Nous accueillerons plus de spectateurs à Roland. Nous permettrons à plus de gens de voir du tennis de qualité. Quand nous mettons les billets en vente aujourd’hui, ils sont partis en un temps record. Le nombre est trop limité. Nous avons toujours voulu garder des prix abordables par rapport aux autres tournois. Nous devrions vendre 150 000 tickets de plus. Nous offrirons surtout aux personnes la possibilité de passer une bonne soirée de tennis après leur journée de boulot. Tout le monde ne peut pas quitter son boulot un jour de semaine à 14 h pour voir Federer."
Quelle est la capacité d’accueil du futur Roland ?
"Aujourd’hui, nous accueillons 480 000 supporters. Avec le toit, nous passerons à 650 000 fans. Il faudra encore voir la réaction du public parisien. Auront-ils envie de venir passer un soir de semaine dans le stade ?"
Quel est le poids de Roland-Garros sur le tennis français ?
"Je le vois comme un cercle vertueux. Roland-Garros génère des bénéfices qui sont injectés dans le tennis français à tous les niveaux. La France a une chance extraordinaire de posséder un tournoi du Grand Chelem. Je le vois comme une force colossale. En termes d’importance, le tennis est le deuxième sport majeur du pays. R-G est une source d’inspiration pour tous les pratiquants. Tous les grands joueurs ont commencé à jouer au tennis dans un petit club. Moi, je me rendais au club avec mon cartable et mon papa. À Bâle, Federer aussi a commencé en bas de l’échelle. Un Grand Chelem bâtit des légendes là où les Masters 1000 créent de grands joueurs. Les gamins s’identifient à ces stars. En Suède, Borg et Wilander ont inspiré des générations, mais que pèse le tennis suédois aujourd’hui ? Il ne leur reste plus personne à qui s’identifier. Le tennis est en chute libre."
Quels sont les défis du tennis de demain ?
"Il faut toujours penser à demain et l’anticiper. J’espère que Rodg, Rafa et Novak joueront encore 3, 4 ou 5 ans si possible. Nous vivons une période incroyable. Quand ils arrêteront, nous ressentirons un manque durant 2 ou 3 ans, mais la relève est là. Tsitsipas, Thiem, Zverev, Pouille… seront les grands joueurs de demain."
Qui dit tennis de demain dit aussi évolution galopante des prize-moneys. Jusqu’à quel point les tournois pourront-ils supporter ces coûts ?
"Si j’étais joueur, j’espérerais que les sommes soient doublées en 5 ans. À un moment, les montants vont se stabiliser. Tout ne peut pas toujours augmenter. L’audience monte doucement. Nous partageons un maximum nos revenus avec les joueurs. J’aimerais avoir 22 ans aujourd’hui."
Partons en Belgique. Quel regard jetez-vous sur David Goffin ?
"Il faut savoir que l’ATP a aligné les trois plus grands palmarès de son histoire en même temps : Federer, Nadal et Djokovic. Goffin et les autres devaient se contenter de ce qu’il restait. Battre à une reprise Djokovic ou Nadal est possible mais, en Grand Chelem, il fallait rééditer cet exploit pour espérer un titre. J’espère pour la Belgique qu’elle aura le futur Federer ou Nadal. Les fédérations ne sont pour rien dans l’éclosion de légendes sportives comme Federer, Cruyff, Pelé, Messi, Zidane ou Ronaldo. Ces sportifs ont un génie inné. Les politiques sportives des fédés ne servent qu’à mettre un cadre. Federer serait devenu Federer même sans la Swiss Tennis. Il aurait pu naître à Capa Town et aurait fait une carrière identique. Il a quelque chose de plus que tous les autres. Aucun entraîneur ne peut réussir pareil exploit. Henin et Clijsters rejoignent cette catégorie. Un gars comme Tsonga est tellement plus fort que les autres, mais il lui manquait ce petit truc."
Vous parlez de Roger Federer. Quel a été l’impact de son retour à Roland-Garros ?
"Lors de cette annonce, nous avons créé un buzz. Les gens pensent qu’il disputera peut-être son dernier tournoi ici. Ils veulent donc encore le voir une dernière fois."
Directeur du tournoi de Roland-Garros, c’est le plus beau métier du monde ?
"Non ! Le plus beau, c’est joueur !"