Ce qui se cache derrière la mauvaise passe de David Goffin: "Il ne sait plus où il en est"
- Publié le 20-03-2019 à 10h00
- Mis à jour le 20-03-2019 à 10h47
Maurice Joris, le docteur de Goffin, confirme que le 20e joueur mondial est 100 % fit. Mais…
Quand le jeu de David Goffin tousse, c’est tout le tennis belge qui est enrhumé. Cet hiver, le Liégeois éprouve les pires difficultés à sortir de sa raquette les coups de génie de la fin de saison 2017. À côté de lui, une armée d’experts planchent sur la question. Son entraîneur Thomas Johanssson est évidemment en première ligne sur le terrain. Dans l’ombre, l’éminent docteur Maurice Joris porte une grande part de l’édifice Goffin. Il connaît la mécanique du corps du finaliste du masters 2017 comme personne d’autre.
La mauvaise passe de David Goffin n’est absolument pas d’ordre physique. À l’entendre, le meilleur joueur belge de tous les temps à l’ATP tient la forme de sa vie. "Il est à 100 % de ses moyens", confirme le docteur Maurice Joris. "Physiquement, il n’a jamais été aussi bon. Fabien Bertrand l’a remarquablement bien préparé pour la saison. Il l’a remis comme neuf."
Le fameux œdème osseux qui avait ruiné sa fin de saison 2018 appartient complètement au passé. Depuis le mois de décembre, Goffin n’a plus ressenti la moindre gêne liée à cette blessure ou à tout autre ancien bobo. "Il n’a plus mal."
Il faut remonter à plusieurs années pour retrouver la trace d’un trimestre sans blessure dans le chef de David Goffin. Maurice Joris a accepté de revenir sur l’historique de l’enchaînement logique des derniers pépins physiques de son patient le plus célèbre. Il remonte à ce maudit vendredi 2 juin 2017. Ce jour-là, David Goffin affrontait Horacio Zeballos au 3e tour à Roland-Garros jusqu’à ce que son pied se prenne dans une bâche de fond de court. "Cette histoire de pied aurait pu mettre un terme à sa carrière si la rupture avait été plus profonde, reprend le docteur. Il a compensé lors de sa reprise, ce qui a provoqué une nouvelle douleur au genou. Un athlète à 100 % de ses capacités ne compense pas à ce point. Avant Roland-Garros, il était déjà en difficulté physique."
Le courage du Liégeois force l’admiration. "Pour jouer, il a dépassé les limites physiques de son corps." Il a ainsi vécu une fin de saison stratosphérique avec des titres à Shenzhen et Tokyo et des finales au Masters en battant au passage Rafael Nadal et Roger Federer et en Coupe Davis où il était, à Lille, l’athlète le plus solide de tout le week-end. "Il en a payé les pots cassés."
Ce scientifique du corps humain en était persuadé. Il n’était pas possible pour l’athlète d’enchaîner avec une pleine saison 2018 sans connaître de blessure. "S’il ne s’était pas blessé en 2018, la situation aurait été anormale. Depuis Roland-Garros 2017, David évoluait en surrégime. Il devait craquer physiquement."
Sa première blessure était le fruit du plus grand hasard. Une balle déviée par la bande du filet qui s’écrasait dans son œil relève surtout de la malchance. Cette demi-finale à Rotterdam contre Grigor Dimitrov a été dangereuse. "Cette blessure aurait pu l’obliger à stopper sa carrière. La vue permet d’interpréter les événements autour de nous. L’œil oriente l’espace."
À nouveau, la détermination du 20e joueur mondial a pris le relais. À force de travail et de volonté, il est revenu dans le parcours. "Il est revenu sur terre battue au prix d’efforts physiques énormes. Puis, il a craqué."
Commençait alors l’épisode de l’œdème osseux qui a mis un terme précoce à sa fin de saison 2018. "Tout est un enchaînement logique. À la fin d’année passée, il a pris le temps de se soigner. Maintenant, il redémarre avec un corps tout neuf. Il connaît tout ce qu’il a dû subir pour être là. Il a connu le sommet, puis la dégringolade. Sa situation n’est pas facile."
"En un tournoi, tout peut basculer sur le plan mental"
Le 20e joueur mondial se pose beaucoup trop de questions sur le terrain.
Le souci est à chercher dans le haut du corps : son cerveau. Pour le moment, David Goffin réfléchit beaucoup trop sur un terrain. Il ne parvient plus à s’exprimer librement comme à la grande époque. “Il se cherche. Il ne sait plus où il en est”, continue le docteur Maurice Joris.
La fin de sa collaboration avec son fidèle entraîneur Thierry Van Cleemput a compliqué ses réflexions. “Alors qu’il était dans le doute, il a vu Thierry partir. Il ne m’appartient pas de commenter ce fait. Aujourd’hui, je vois un David Goffin désorienté”, poursuit celui qui l’a vu pour la dernière fois en janvier, mais qui reste régulièrement en contact Whatsapp avec lui. “Je le reverrai en avril à Monaco pour poser de bonnes bases. Il pourra alors démarrer une nouvelle vie. Je le répète, physiquement, il est au top. Je veux l’aider à retrouver sa sérénité.”
Il a utilisé une comparaison éloquente. Il voit David Goffin comme un chef d’une PME.
“Quand un chef reprend son activité, il traverse toujours un moment de doute où il doit se bagarrer pour redécoller.”
Le docteur n’est pas seul à montrer le chemin à suivre. Thomas Johansson et Fabien Bertrand, aussi, s’efforcent d’indiquer la même route.
“David n’a pas besoin d’un coach mental. Il a juste besoin que nous lui montrions la piste avec la flèche à suivre. À nous trois, nous devons montrer la même direction.”
Sans tomber dans l’angélisme naïf, cet expert de la mécanique Goffin est convaincu que l’avenir sera radieux. Il avance d’abord l’âge de son protégé. “Les gens oublient qu’il n’a que 27 ans. Il arrive à l’âge de maturité”, narre-t-il avant de préciser l’état d’esprit actuel du quart de finaliste à Phoenix.
“Il sort de la période où il s’interrogeait sur son identité. Il devait d’abord savoir qui il était pour savoir où il voulait aller. Ces élites vivent dans une bulle à l’écart du véritable monde. Goffin aussi. Il a toujours été protégé du monde extérieur. Il n’a jamais dû mordre la poussière à l’usine. Il a découvert un aspect plus noir de son métier. Il s’est remis en question par rapport à lui-même.”
À l’aube du Masters 1000 de Miami, le Liégeois a levé une partie de ses doutes. “À un moment, il ne savait pas ce qu’il voulait. Cette fois, il a évacué cette question. Thomas Johansson n’est pas là pour rien.”
Si le corps est en forme et si les doutes ont été évacués, les signaux sont donc à nouveau au vert. “Oui, mais il doit encore passer une dernière étape. L’absence de résultats a entraîné un besoin de penser au lieu de jouer. Il se demande encore s’il est capable d’y arriver. Il lui faut retrouver son jeu instinctif. Sa défaite contre un joueur en dehors du top 100 conforte son besoin de penser encore et encore. Quand il aura passé ce stade, il foncera. En un tournoi, tout peut basculer.”
"Je ne m'attends pas à un beau Miami"
Le docteur voit une embellie lors du tournoi de Monte-Carlo.
Dans l’immédiat, Maurice Joris ne croit pas que la roue tournera en sa faveur à Miami, mais il croit en une saison sur terre battue plus sereine. “Je ne m’attends pas à un beau tournoi à Miami.”
L’exemple de Dominic Thiem plaide la cause du joueur belge. L’Autrichien avait enclenché le mode galère depuis janvier en ne signant que trois victoires en deux mois avant de remporter le Masters 1000 d’Indian Wells. Grigor Dimitrov, qui appartient à la même génération, possède tous les atouts dans son jeu, mais il joue sur courant alternatif.
“C’est tout le problème de cette génération. Ils réfléchissent beaucoup trop. Ils ont longtemps été handicapés par les présences de Federer, Nadal et Djokovic. Quand ils arrêtent de se poser des questions, ils sont capables de remporter les plus grands matchs et les beaux tournois. Après le coup de mou, le coup d’éclat n’est jamais loin.”
Pour Dominic Thiem,l’heure a sonné en Californie. Le terrien belge verra peut-être la fin de son calvaire avant l’arrivée du printemps et de la surface ocre.
“David retrouvera Monaco dès son retour. Il s’y sent bien. S’il est assez porté par son entourage, il pourra déjà réaliser de bons résultats à ce tournoi. Il devra peut-être attendre Barcelone ou Madrid. Qu’importe ! Les résultats reviendront. Il n’est pas fini. Il a encore de beaux jours devant lui”, poursuit-il avant de conclure sur des mots que David Goffin lui a dit. “Il m’a dit qu’il a toutes les notes correctes, mais la partition est encore dans le désordre.”
Miami, le meilleur et le pire pour lui
Le demi-finaliste en 2016 à Miami jouera au 2 e tour soit Andujar soit Karlovic. Bye au premier tour, David Goffin affrontera au 2 e tour le vainqueur du match entre Pablo Andujar et Ivo Karlovic. Depuis sa demi-finale à Miami en mars 2016, David Goffin n’est plus en réussite à Miami. En 2017, il perdait sans honte en huitièmes de finale contre Nick Kyrgios. En 2018, il effectuait un passage éclair et catastrophique. Retour vers le passé. Blessé un mois plus tôt à Rotterdam en demi-finale à l’œil, David Goffin avait zappé Marseille et Indian Wells et tenté sa chance à Miami en sachant qu’il était d’ores et déjà forfait pour le quart de finale à Nashville le 6 avril.
“Je devrai également renoncer à la rencontre de Coupe Davis contre les Etats-Unis afin de pouvoir contrôler mon œil après la compétition de Miami”, avait-il énigmatiquement précisé à l’aube de son entrée en lice à Miami. Les observateurs s’étonnaient donc de le voir au Masters 1000.
L’expérience avait été désastreuse. Le Liégeois s’était incliné 6-0, 6-1 face au Portugais Joao Sousa, 80 e au classement ATP, au terme d’une partie d’1 heure et 1 minute. De plus, il avait débarqué dans la peau de la 7 e tête de série avec cette lourde étiquette de finaliste du Masters.
Un an plus tard, il retrouve Miami sans grande ambition. Il est désormais 20e mondial, mais n’a remporté que 4 matches contre 6 défaites depuis le 1er janvier. Sa tentative de relance au Challenger de Phoenix s’est révélée négative vu sa défaite contre le 168e joueur mondial dès les quarts.
Si l’an passé son corps était meurtri, cette année c’est sa tête. Au rayon des bonnes nouvelles, on épinglera l’apport de son nouvel entraîneur Thomas Johansson et la certitude qu’un bon match pourrait dissiper de nombreux doutes.