Kevin Borlée, médaille d’or avec les Belgian Tornados : “Même à 31 ans je ne considère rien comme acquis”
Kevin Borlée, le capitaine des Belgian Tornados, à cœur ouvert.
- Publié le 05-03-2019 à 06h59
- Mis à jour le 05-03-2019 à 09h16
Kevin Borlée, le capitaine des Belgian Tornados, à cœur ouvert.
Qui de mieux que Kevin Borlée pourrait incarner la formidable réussite des Belgian Tornados ? Imaginez : le capitaine de l’équipe n’a manqué aucune des 22 finales internationales disputées depuis 2008. Une ponctualité rarement vue à ce niveau et qui s’explique avant tout, selon lui, par l’éthique de travail des célèbres jumeaux.
"On essaie de travailler en qualité et de ne pas forcer la mécanique, par exemple en renonçant à l’indoor pour laisser le corps récupérer, et c’est ce qui m’a permis d’être présent à chaque fois", affirmait-il, ce lundi matin, dans un salon de son hôtel, au lendemain du cinquième titre européen de sa formation. "Jonathan a eu moins de chance que moi : il a été blessé en 2009 et en 2014."
Figurant désormais, à l’instar de son frère, parmi les anciens du circuit ("même s’il y a encore quelques têtes familières comme Evora ou Lewandowski"), Kevin Borlée est conscient de ce que représente la Belgique sur la scène internationale grâce aux prestations du relais masculin. "Notre présence au plus haut niveau depuis 2008, malgré des hauts et des bas, étonne dans certains pays et ce qui est sûr, c’est qu’ils savent qu’il faut toujours compter avec nous", poursuit-il. "Une de nos grandes forces, c’est aussi de ne jamais rien considérer comme acquis, d’avoir la volonté de toujours faire mieux et de ne pas se satisfaire de ce qui a été fait. C’est cette attitude qui permet d’aller de l’avant. Mais c’est sûr que si on m’avait dit en 2008 que je pourrais présenter un tel bilan onze ans plus tard, j’aurais signé tout de suite !"
Si les distinctions collectives représentent la plus grande partie de son palmarès (11 médailles avec le relais et 3 en individuel), Kevin Borlée est convaincu qu’il peut encore jouer un rôle en vue dans les championnats internationaux sur 400 m.
"La motivation, à 31 ans, on la garde parce qu’on poursuit toujours de grands objectifs", explique le Bruxellois. "Les prochains Jeux olympiques seraient nos quatrièmes et on peut toujours réaliser quelque chose. Certes, beaucoup de choses ont changé par rapport à l’époque où on avait 20 ans - rien que l’échauffement, qui doit être beaucoup plus intense - mais je pense que je peux encore aller plus vite que mon record de 44.56."
Quand on lui demande s’il risque d’entretenir des regrets éternels par rapport à la forme exceptionnelle aux Jeux de Londres en 2012, il répond par la négative. "C’était bien la meilleure forme jusqu’ici, mais on s’était mis énormément de pression et on n’a pas géré les événements comme on le ferait maintenant", développe Kevin. "Ça a rendu la finale difficile au couloir extérieur. Je fais 44.81 en courant comme un imbécile ! Si j’avais mieux géré le début de course, en étant dans le rythme et en ayant un meilleur feeling, je ne dis pas que j’aurais pris une médaille, mais le chrono aurait été bien meilleur."
Tokyo 2020 pourrait marquer la fin de la carrière des jumeaux. Même si, d’après leur papa, ils penseraient déjà à la suite. "Je pense au long break d’après-Tokyo, oui !" rigole Kevin. "On prendra plus de huit semaines de repos. Ce sera le moment de réfléchir à l’avenir et si on est prêts à repartir à la charge, pourquoi pas ? Je ferai le point sur tout ce que je dois mettre en place pour continuer ma carrière. Il faut être prêt à encaisser toutes les charges d’entraînement…"
"Terminer le job, c'est grisant !"
La sensation de victoire, Kevin Borlée la connaît bien. "Gagner, c’est toujours particulier. On ne s’y habitue pas. Les circonstances sont différentes à chaque fois. À Berlin, par exemple, on était la cible. Cela donne un sentiment particulier. Mais le record de Belgique en 2015, aux Bahamas, ou le record d’Europe la même année, à Prague, sont d’autres moments forts." Et la finale de Rio, une déception ? "Pour le résultat final, oui, parce qu’on passe à rien du tout d’une médaille, mais c’était une course incroyable de notre part ! La course était hyper rapide et on s’est battu avec les meilleurs nations mondiales."
À 13 reprises, dans les 22 finales disputées, Kevin Borlée a terminé le boulot du relais. Quel sentiment ce rôle lui procure-t-il ? "Pouvoir terminer le job, c’est grisant !" avoue-t-il. "Mais les positions ne sont pas figées. Ce que j’aime avant tout dans le 4x400m, c’est de pouvoir m’adapter aux circonstances, réagir à ce qui se passe dans la course. C’est faire ce que j’ai fait à Berlin, en restant calme derrière l’Espagnol, ou ce dimanche, en faisant des choix instinctifs. Cela a peut-être l’air facile, mais croyez-moi, ça ne l’est jamais. Cela reste un 400 m."
"J'essaie de conseiller Camille au mieux"
Kevin Borlée, qui partage la vie de Camille Laus, se félicite de voir sa compagne s’épanouir sur 400 m ainsi qu’avec les Belgian Cheetahs. "Ça fait plaisir parce qu’elle a été très patiente", dit-il. "Pour ma part, j’essaie de la conseiller du mieux que je peux, mais chaque athlète doit faire sa propre expérience et trouver ce qui fonctionne le mieux pour lui ou pour elle. Avec les Cheetahs, on est deux groupes différents et on ne fonctionne pas de la même manière. Mais, très clairement, en Belgique, on a besoin de projets ambitieux. Voyez comme cela a permis d’élever le niveau du 400 m. Le 4x100 m féminin a montré il y a quelques années que c’était possible, mais il n’y a pas eu de continuité. Pourtant, tant chez les hommes que chez les femmes, je suis sûr qu’il y a quelque chose à faire. Il y a toujours moyen de faire des exploits, c’est la beauté du sport ! Regardez Cynthia : personne n’aurait donné cher de sa peau avant cet Euro. Elle est la preuve qu’avec de l’envie et de l’ambition, tout devient possible. Mais il faut donner leur chance aux athlètes en amont. Ce n’est pas un hasard si on a fait d’excellents JO en 2016 alors que les critères ont été assouplis. Il y aura parfois des échecs, mais avant tout de très belles réussites."
"On ne court pas pour les primes"
Le Bruxellois espère une réflexion sur la manière dont l’athlétisme doit évoluer.
Pour la première fois, les Belgian Tornados toucheront les dividendes d’un succès européen grâce à la prime de 10 000 euros payée par le sponsor principal de la Fédération. "On a toujours partagé tout ce qu’on reçoit entre les athlètes et le coach. Donc, ici, on la partagera en six", précise Kevin Borlée. A-t-il été touché par ce geste consécutif à la polémique déclenchée à quelques jours des championnats ?
"Vous savez, ce n’est sans doute pas un hasard si le CEO de cette société est un ancien athlète", répond-il. "On a reçu un courrier hyperpositif de leur part avant les championnats. À mon sens, ils étaient étrangers à cette polémique, relative à un problème d’organisation et de professionnalisme l’été dernier. Cela ne nous a pas affectés, on a cette faculté de passer au-dessus de ces problèmes pour rentrer très vite dans la compétition. Honnêtement, on ne court pas pour les primes, sinon on n’a pas choisi le bon sport ! Mais ce geste, c’est en tout cas une belle reconnaissance et un plus pour les athlètes."
La reconnaissance est-elle importante à ses yeux ? "Personnellement, j’attends surtout que notre sport évolue. On a un potentiel énorme en Belgique, on a des talents", souligne Kevin Borlée. "Les questions qu’on doit se poser, c’est : comment faire pour que notre sport évolue, pour que les structures évoluent ? Et : comment faire pour intéresser encore plus les médias, les sponsors ? Depuis les années 2000, on sort des athlètes de grande valeur, Kim Gevaert, Tia Hellebaut, Cédric Van Branteghem, le relais 4x100 m, Nafi Thiam. Il faut capitaliser là-dessus. C’est à nous, l’athlétisme, en tant que sport, à faire en sorte qu’on parle de nous. Et réfléchir à comment devenir plus attrayant... Et je ne parle pas qu’au niveau belge. Même s’il y a certainement moyen d’attirer plus de 300 personnes aux championnats de Belgique..."
Pékin 2015, sa meilleure course : "On est passé à côté de quelque chose"
"Avec le relais, l’une de mes meilleures courses, c’est certainement la finale des Mondiaux de Pékin, en 2015, où je cours en troisième position", relate Kevin Borlée.
"J’ai reçu le témoin en tant que cinquième et je le donne en tant que troisième. Je me sentais fort ce jour-là. Avec Julien et Dylan blessés (NdlR : Robin Vanderbemden et Antoine Gillet ont complété l’équipe), je pense qu’on est passé à côté de quelque chose lors de ces championnats du monde. Sinon, l’an dernier, à Berlin, je termine fort. Et en indoor, en 2015, à Prague, c’était bien aussi, avec un record d’Europe pour couronner tout le travail d’équipe."
Pékin 2008, sa course préférée : "Des émotions inoubliables"
"Parmi les 22 finales que les Belgian Tornados ont disputées, celle des Jeux olympiques 2008, à Pékin, me tient à cœur parce que, outre le fait que c’était la première, sur la plus grande scène du monde, on a livré une course incroyable. C’était la première fois où on a fait la course en tête pendant trois tours. Cédric (Van Branteghem) nous a transmis son état d’esprit, son énergie, son envie. Finalement, on termine cinquième, puis quatrième après la disqualification de la Russie, et c’était un exploit ! Les émotions et le plaisir qu’on a ressentis ce jour-là étaient exceptionnels et resteront encore gravés longtemps dans ma mémoire."
Moscou 2013, sa plus grande déception : "Une finale aurait pu tout changer"
"Ma plus grande déception, c’est d’avoir été écarté de la finale individuelle en 2013, à Moscou, en plus à cause d’un athlète convaincu de dopage, parce que je pense que cela aurait changé quelque chose dans ma carrière. C’était quand même un coup dur ! À Pékin, en 2015, je n’était pas très loin non plus d’une finale, j’aurais pu gagner un dixième dans cette course, mais je n’ai pas vraiment de regrets. C’est le sport ! Ce dont je suis assez content, c’est que, malgré le changement de physionomie du 400 m, on a continué à garder le cap et à maintenir un très bon niveau. Il y a encore moyen de courir très vite, il faut y croire et continuer de bosser."