Retrouvailles avec Alex Czerniatynski: "l’Antwerp en Ligue des champions ferait des jaloux"
Retrouvailles avec Czernia, le coach de Châtelet-Farciennes, qui est encore populaire dans tous ses anciens clubs.
- Publié le 11-05-2019 à 07h27
- Mis à jour le 11-05-2019 à 15h18
Retrouvailles avec Czernia, le coach de Châtelet-Farciennes, qui est encore populaire dans tous ses anciens clubs. Les grands joueurs qui ont porté le maillot de l’Antwerp et d’Anderlecht ne sont pas nombreux. Le plus connu est Alex Czerniatynski (58 ans), actuellement T1 de Châtelet-Farciennes en division 1 Amateurs. La saison prochaine, il sera coach du club issu de la fusion entre Châtelet-Farciennes et l’Olympic Charleroi. Toujours aussi affûté ("Je ne fais pourtant plus de sport, par peur de me blesser"), Czernia a accueilli chaleureusement La DH dans la buvette du petit Stade des Marais à Farciennes, au bord du chemin de fer.
Vous allez au Bosuil, ce dimanche ?
"Non. Je vais regarder le match à la télévision. Pourtant, l’Antwerp a créé un club de légendes. Les anciens joueurs peuvent réserver deux places pour chaque match à domicile. C’est une bonne initiative. Tout comme celle d’Anderlecht d’inviter des anciennes gloires pour donner le coup d’envoi. J’étais là contre Gand. J’ai mis plus de temps pour aller au parking, tellement j’ai dû donner des autographes, que pour rentrer chez moi, à Rumst. Qu’est-ce que le stade a changé !"
Vous n’y aviez plus été depuis 1985, quand vous avez quitté Anderlecht ?
"Peut-être une fois. Mais j’avais encore en tête les vieilles tribunes debout. Je n’étais jamais allé dans les business seats. C’est très luxueux pour la Belgique, mais rien par rapport à l’étranger. Et ne parlons pas du football…"
Vous êtes tombé endormi ?
"Par respect, non. Mais désolé, ce n’est plus l’Anderlecht d’avant. J’ai croisé Marc Coucke. Je lui ai dit que ça irait mieux la saison prochaine. Il a répondu en soupirant… Cela m’a fait plaisir de parler avec Arnesen, qui était mon concurrent à l’époque. Lui, il aura une grosse responsabilité lors du prochain mercato. Et j’ai papoté avec Belhocine, que je connais bien. Il était joueur à Beveren quand j’y étais T2. Je lui ai dit : ‘Jamais, je n’aurais pensé que tu serais si vite entraîneur d’Anderlecht.’ Peu importe le nom du prochain entraîneur : bonne chance ! Il ne pourra pas se permettre une nouvelle saison comme celle-ci ! Il faudra des renforts partout. Quand je compare cette équipe à la nôtre…"
Vous jouiez des finales européennes, Alex ! Et vous marquiez.
"À Tottenham, en finale de la Coupe de l’UEFA, avec ma pichenette de l’extérieur du pied. Hélas !, on a perdu après les tirs au but. Ce n’est que par après qu’on se rend compte de ce qu’on a réalisé. Nous étions l’Ajax d’aujourd’hui. Le top en Europe. On avait une équipe pour gagner la C1, l’ancêtre de la Ligue des champions. Et quand je lis que cette saison, Rutten s’adapte à l’adversaire… Ou un joueur qui dit au début des playoffs : ‘On peut oublier le titre.’ Si tu le penses, ne le dis pas, quand tu es un Anderlechtois ! Puis, on s’étonne des réactions du public..."
Posez votre candidature, Alex !
"Non ! Je n’ai aucune chance. Et j’ai trop de respect pour le coach actuel. Je ne me vends pas. Si on me veut, je préfère qu’on vienne me chercher. Mais la D1A, j’ai fait une croix dessus. J’ai eu l’occasion à Malines, au moment de la faillite en 2003. J’étais bien parti parce que j’avais pris douze points avec des gamins. Puis, des gens m’ont mis des bâtons dans les roues car ils n’aimaient pas la gueule de Czernia. Cela devient difficile de se trouver un club en D1A ou D1B. Ostende vient de prendre un Norvégien. Il y a tellement de bons entraîneurs belges avec un diplôme de Licence pro qui n’ont pas de travail. On doit faire ses preuves dix fois plus que les autres. C’est un peu triste."
Vous serez supporter de qui, dimanche ?
"Joker. Mais si vous m’obligez à dire un club de préférence, je dis l’Antwerp. C’est là que tout a commencé et que je suis devenu Diable rouge. Mais bon, Charleroi est aussi dans mon cœur. Et on m’aime encore à Anderlecht, au Standard et à Malines. J’ai marqué les esprits partout."
Des buts à la Czernia : c’est devenu une expression courante.
"J’en ai marqué plus de 200 en tout. Je suis le francophone à avoir mis le plus de buts en D1 (NdlR : 182. Seuls les Flamands Vandenbergh avec 256, Ceulemans et Degryse le devancent) . Et de tous ces buts, je vous défie d’en trouver 25 qui étaient spéciaux. Il y en a quelques-uns, mais pas tant que ça. Cela dit, ça ne me dérange pas."
Quel était le plus spécial ?
"Peut-être un lob depuis le piquet de corner, avec lequel j’ai trompé Filip De Wilde qui était encore à Beveren… Ou le 100e but d’Anderlecht lors de la saison 1984-1985. Cette année, j’aurais dû devenir meilleur buteur, mais on ne m’a plus laissé jouer les six derniers matchs. On voulait me transférer au Standard, mais cela aurait été compliqué si j’avais été meilleur buteur."
Entre-temps, vous êtes devenu anversois.
"J’habite près de Malines ; ma femme est flamande. Nicolas, mon fils, a joué à Boom en Espoirs. Par après, j’ai appris qu’il aurait pu aller à l’Antwerp en Espoirs. Mais il avait du mal à vivre avec son nom de famille. Entre-temps, il a eu 31 ans et a arrêté le foot. Moi, je fais 230 kilomètres par jour, avec plaisir. Et je suis les prestations de l’Antwerp de près. Imaginez-vous que les Anversois terminent deuxièmes et jouent la Ligue des champions. Cela ferait des jaloux."
Vous y croyez ?
"Le public deviendrait fou. Parfois, ils étaient 15 000 en D2... Bölöni a fait une équipe que les gens adorent, avec des guerriers comme Arslanagic et Van Damme, et deux ou trois gars plus techniques, comme Refaelov et Mbokani. Ils n’aiment pas des stars super techniques qui ne mouillent pas leur maillot. C’est pour cela que j’étais si populaire…"
Czernia entre Charleroi, Anderlecht et l'Antwerp en sept anecdotes
Son nom "1 an d’interdiction de terrain"
"Mon nom polonais n’a jamais été évident à prononcer. Je devais avoir 12 ans quand je jouais contre Jumet, avec Charleroi. L’arbitre demandait mon nom. Quand je lui ai dit : ‘Czerniatiynski’ , il pensait que je me moquais de lui, et il m’a donné la rouge. J’étais en pleurs… Après le match, mon père a un peu bousculé l’arbitre et ma mère lui a donné un petit coup avec son parapluie. C’était deux fois rien, mais ils ont été interdits de terrain pendant un an par l’Union belge. Mais ma mère a quand même suivi tous les matchs… Ah, ce nom… Pendant mon premier match en équipe nationale, quand j’ai marqué contre la France, Roger Laboureur a dit : ‘Il a un nom trop long, on va l’appeler Alex Czernia.’"
Premier transfert "Avec une pancarte ‘À vendre’"
"J’ai quitté Charleroi qui était en D2 pour l’Antwerp à 21 ans. Sport ‘80 , le prédécesseur de Foot Magazine , m’avait demandé de poser avec une pancarte ‘À vendre’. Moi, j’acceptais tout, à l’époque. Le matin, Jef Jurion, mon agent, était passé avec moi à Gand, qui ne voulait pas payer les 25 000 euros. L’après-midi, on était allé à l’Antwerp, qui avait accepté. Mon transfert à Anderlecht avait fait couler plus d’encre. Vandenbergh coûtait 1,5 million, et moi 1 million. En francs belges, cela faisait 100 millions. Les journaux titraient ‘L’attaque de 100 millions’. Comment était-ce possible de payer autant pour deux joueurs ? Mais on en a claqué des buts !"
Chez svilar "Presque sous baxter"
"Quand je suis arrivé à l’Antwerp, c’est le gardien emblématique Ratko Svilar - papa de Mile - qui m’a pris sous son aile. J’ai même logé chez lui pendant une semaine. Il m’a montré la ville d’Anvers, surtout la nuit… J’étais crevé aux entraînements. J’ai demandé un appartement au club. Si j’avais dû suivre sa façon de vivre pendant une saison, on aurait dû me mettre sous baxter. Mais rien de mal sur Ratko. Il m’a toujours protégé, c’est un formidable gars. Et c’était une bête de travail. Il n’a jamais raté un entraînement après une sortie nocturne. Que du contraire. Après les entraînements, il me demandait toujours de jeter son medicine ball de 5 kilos sur ses abdominaux."
Le RSCA ? L’armée ! "J’épluchais des patates"
"Je n’ai presque pas joué lors de ma première saison à Anderlecht. La raison ? Mon service militaire. Et vu que je me suis fait couillonner par notre commandant, qui était pourtant sympa et fan d’Anderlecht… On avait un tournoi inter-casernes. On a fait les cons au premier tour, et on a été éliminés. Il était furieux. Je l’ai bien payé. Au lieu de pouvoir aller jouer avec Anderlecht et les Diables rouges, je devais être à la caserne à 6 h du matin, je devais faire la garde à Tervuren toute la nuit devant une barrière où personne ne passait, je devais éplucher des patates. Et je suivais les matchs d’Anderlecht à la radio. On n’a pas eu pitié de moi. Je pensais payer quelqu’un pour reprendre ma garde, mais ce commandant me l’a interdit."
Émotions "Voilà mon oncle de Sibérie"
"À partir de la deuxième saison à Anderlecht, j’ai joué. Et marqué. Notamment lors du 3-0 contre le Real Madrid. Je ne sais toujours pas ce qui s’est passé lors du match retour, où on a perdu 6-1. Mais le plus beau jour de ma vie était le 20 mars 1984, à la veille de Spartak Moscou - Anderlecht. Là, j’ai fait le plus beau cadeau à mon père, qui est décédé quelques années plus tard. À notre hôtel à Tblissi, où se jouait le match, un homme inconnu est venu me trouver. Sur son passeport était indiqué le nom ‘Czerniatynski’ , il habitait la Sibérie. C’était le frère de mon papa. Ils s’étaient perdus de vue pendant 40 ans, depuis la Guerre mondiale. Avec le téléphone de ma chambre, il a parlé pendant une heure à mon papa. Il ne voulait pas lâcher ma main. Scifo et Grün en étaient témoins. Mon oncle a pu accompagner la délégation d’Anderlecht pendant trois jours. On a même fait une cagnotte pour lui. Les deux frères s’étaient retrouvés ! C’était plus beau que de gagner la Coupe du monde."
Le vieux bosuil "La fin des piquets de but en bois"
"Après quatre saisons et 46 buts au Standard, je suis retourné à l’Antwerp. Rien n’avait changé au stade. Pour vos jeunes lecteurs : une des spécificités du Bosuil était ses poteaux de but en bois, comme dans les anciens stades de D2 anglaise. La latte n’était même plus très droite. Vous savez pourquoi les buts en bois ont été remplacés ? Parce que des jeunes sont parvenus à rentrer sur le terrain avec leur voiture pendant la nuit. Ils ont fait des dérapages et ont foncé dans le but. Ils ont pris la fuite, mais leur plaque d’immatriculation est restée accrochée dans les filets. La police n’a pas eu beaucoup de travail pour les retrouver… Ce qui m’a aussi touché, c’était la destruction de la vieille tribune. J’étais fasciné par le travail des grues. Quand j’ai quitté l’Antwerp, j’ai reçu un morceau de la vieille tribune, avec un sceau de l’Antwerp. Je ne jette rien ; je l’ai encore chez moi."
La finale de 1992 "On a racheté la bière d’une friterie"
"La récente finale de Coupe de Belgique m’a fait penser à la finale de 1992 entre ‘mon’ Antwerp et le Malines de Preud’homme, qui se jouait à Bruges. Je ne bottais jamais de penalty, mais après sept tirs au but, c’était égalité. J’avais déjà enlevé mes chaussettes, et je devais tout remettre ! Ma femme était si stressée qu’elle est partie aux toilettes. Vu que Michel me connaissait tellement bien, je me suis dit que je devais mettre le ballon dans la lucarne ; c’est ce que j’ai fait. Pourtant, pendant ma course, j’ai failli changer d’avis. Michel a frôlé le ballon du bout des doigts. Sur la route du retour, on n’avait déjà plus de bière après quelques kilomètres de route. On s’est arrêté à une friterie à Bruges et on a acheté toute la bière que le frituriste avait en stock. On a fait la fête toute la nuit. On pouvait même fumer des cigares. Tout le monde savait que je fumais. À Anderlecht, d’autres joueurs fumaient aussi, mais tout retombait toujours sur moi…"