Poulidor sur son rival Merckx: "Eddy fuit la popularité, moi je la recherche"
Trois fois sur le podium du Tour durant l’ère Merckx, le Français aura dû composer avec la rivalité du Bruxellois après avoir cohabité avec Anquetil.
- Publié le 03-07-2019 à 07h01
- Mis à jour le 13-11-2019 à 10h17
"Je suis plutôt en bonne forme, prêt à attaquer mon 57e Tour de France !" nous lançait Raymond Poulidor du haut de ses 83 ans, lorsque nous l'avions rencontré en juin dernier pour évoquer le Tour 2019 qui était dédié à son rival Eddy Merckx. Avec son son humour intact et une forme de subtile d'autodérision, il nous avait accordé ce qui restera sa dernière interview à la DH.
Évoquant notamment sa popularité et son plaisir retrouvé, chaque été, à répondre aux sollicitations des spectateurs du Tour, mais aussi la carrière du Cannibale, qui allait être mis à l'honneur lors du Grand Départ à Bruxelles.
"La domination d’Eddy sur la Grande Boucle n’a pas été bien accueillie par le public français, jugeait celui que beaucoup appellent encore Poupou. Celle d’Anquetil, en son temps, était encore bien plus hégémonique mais Merckx devait composer avec le handicap considérable d’être étranger… (sourire) S’il avait possédé un passeport français, on lui aurait probablement construit une stèle dans chaque col des Alpes et des Pyrénées (rires) ! Peut-être plus que les grandes victoires glanées tout au long de ma carrière (NdlR : Tour d’Espagne, deux Paris-Nice, Milan-Sanremo, Flèche wallonne…) ma plus grande fierté est sans doute d’avoir pu inquiéter des champions de la trempe d’Eddy, d’Anquetil ou de Gimondi."
Rival sportif du Bruxellois, l’emblématique coureur de l’équipe Mercier était très vite entré en connivence avec le quintuple vainqueur du Tour.
"J’allais souvent discuter avec lui avant les départs, se souvient Poulidor. C’est à peu près le seul moment de la journée lors duquel je pouvais l’approcher puisqu’une fois en course je ne le voyais plus guère… (rires) Eddy a toujours été d’un naturel relativement anxieux. Il me confiait souvent avoir mal dormi, ne pas disposer de bonnes sensations ou même songer à l’abandon. Mais dès que l’on franchissait l’arche du kilomètre 0, il était alors souvent le premier à attaquer (rires). Le Belge n’était que très rarement satisfait de ses performances. Sur le podium, après une belle victoire, on avait parfois le sentiment qu’il avait perdu. Encore aujourd’hui, à côté de son exceptionnelle générosité, Eddy reste quelqu’un de discret et parfois même timide. Nous sommes, pour cela, totalement opposés. Là où lui fuit son exceptionnelle popularité et aimerait plutôt passer inaperçu, je prends de mon côté plaisir à aller à la rencontre du public. Le jour où on ne me reconnaîtra plus dans la rue, je n’ai pas peur de dire que je serai malheureux."
Professionnel durant dix-huit saisons, Poulidor pensait que Merckx aurait pu mener une carrière plus longue s’il avait mené celle-ci autrement.
"Eddy a arrêté sa carrière relativement jeune, puisqu’il allait avoir 33 ans quand il a raccroché le vélo. Je crois que cela s’explique en grande partie par son incroyable débauche d’efforts en course. Il faisait même la course aux secondes de bonifications ! En 1969, je me souviens très bien avoir vite compris que je n’aurais pas voix au chapitre. Il était alors dans une forme exceptionnelle qu’il n’a ensuite jamais retrouvée après son accident sur la piste de Blois. Lors de son échappée fleuve vers Mourenx, il cavalait seul en tête alors que nous étions à bloc derrière lui à tourner avec six ou sept autres. Il survolait alors le peloton. Mais sans doute aussi que s’il avait couru différemment, Merckx ne serait pas ce qu’il représente aujourd’hui. On reparlerait certainement de tout cela avec Eddy à Bruxelles. Autour d’une bonne bouteille… (rires)"
"Il déteste qu’on lui rappelle son palmarès"
Parrain du tout jeune Tour de la Provence (né en 2016 et sur lequel Philippe Gilbert a remporté une étape en début de saison), Raymond Poulidor prêtait encore son image à différentes courses françaises. "J’ai toujours entretenu de bons rapports avec plusieurs organisateurs, avance le septuple vainqueur d’étapes du Tour de France. J’ai invité plusieurs fois Eddy sur ces épreuves qui se déplace quand son agenda très chargé le lui permet. Lorsqu’il nous fait l’honneur de sa présence, je prends toujours soin de préciser au speaker qui officie ce jour-là que votre compatriote déteste qu’on lui rappelle son palmarès. Il est vrai que si on voulait être complet, il y en aurait pour un moment… (rires) Il préfère qu’on se contente de préciser qu’il est un ancien grand champion, sans plus."
"Je n’avais rien à faire sur la scène du Palais des Congrès entre Eddy, Hinault et Indurain"
En octobre 2018, lors de la présentation du parcours du Tour 2019 au Palais des Congrès de Paris, Raymond Poulidor avait été invité à rejoindre sur scène les trois quintuples de l’épreuve présents ce jour-là. "Je n’avais rien à faire aux côtés d’Eddy, de Bernard Hinault et de Miguel Indurain, sourit l’ancien vainqueur de la Vuelta. Mais Christian Prudhomme, le directeur de la Grande Boucle, a insisté pour que je monte sur l’estrade en me soufflant que je faisais partie des vainqueurs de l’épreuve. Cela m’avait beaucoup touché et ému car si je n’ai jamais remporté la plus grande course du monde, je pense que mon nom y reste associé dans l’esprit de beaucoup. Sur le ton de la boutade, j’avais alors lancé à mes trois compagnons de scène que nous pouvions désormais dire que nous avions enlevé 15 Tours de France à nous quatre… (rires)"
"Eddy trouve que Mathieu en fait trop…"
Si Raymond Poulidor suivait toujours avec autant d’attention l’actualité cycliste, c’est parce qu’il demeurait un authentique passionné… mais aussi car il était le fier grand-père d’un certain Mathieu Van der Poel (sa fille, Corinne, est la maman du coureur de chez Corendon-Circus). "Ce qu’il a fait lors du printemps est exceptionnel. On ne peut qu’aimer le vélo quand on voit un jeune gars courir comme cela, sourit Poupou. Lorsque je vois Eddy, le sujet Mathieu revient toujours sur la table car il trouve qu’il en fait trop. Je ne suis pas d’accord. Ok, il combine cyclo-cross, VTT et route, mais il n’a par exemple disputé que 15 jours de course sur cette dernière discipline cette année. Et quand il court, c’est pour la gagne !"