Thomas De Gendt: "La Lombardie finit de vous essorer"
Habitué du dernier monument de la saison, Thomas De Gendt en décrypte les codes.
- Publié le 13-10-2018 à 08h05
- Mis à jour le 13-10-2018 à 08h09
Habitué du dernier monument de la saison, Thomas De Gendt en décrypte les codes. Le soleil d’un voluptueux été indien a beau dorer les toits de la Citta Alta de Bergame, les tons cuivrés de la végétation en contrebas font très vite tomber le masque d’un automne aux aspirations estivales. Joliment surnommé la classique des feuilles mortes, le Tour de Lombardie générera ce samedi une ultime montée de sève chez tous ceux que le cinquième et dernier monument de la saison envoûte par sa beauté sans âge.
Entre les ineffables pentes du Colma di Sormano (2 km à 15,8 % de moyenne) et les toboggans bordant le Lac de Côme, ILombardia n’a pourtant rien d’un doux au revoir. À quelques heures de boucler sa dixième saison dans le peloton pro, Thomas De Gendt en décrypte les codes.
Thomas, comment vous portez-vous après votre chute de jeudi lors du Tour du Piémont ?
"Bien, merci, celle-ci aura heureusement été sans trop de gravité. Comme mes équipiers Bjorg Lambrecht et Maxime Monfort, impliqués dans la même cabriole, je m’en suis sorti avec plusieurs bonnes éraflures. Cela ne devrait pas porter à conséquence pour l’épreuve de ce samedi, la plus importante d’une mini-tournée italienne qui avait débuté lors de Milan-Turin."
Vous êtes sorti en très grande forme d’une Vuelta dont vous avez ramené le maillot de meilleur grimpeur mais n’aviez plus couru depuis. Comment évaluez-vous votre condition ?
"Je me suis un peu testé jeudi et les jambes répondent plutôt bien. Mais à ce moment-ci de la saison, la tête fait bien plus souvent la différence que les jambes…"
Le degré de motivation du peloton constitue-t-il une clé de lecture importante du Tour de Lombardie ?
"Oui, assurément, même si les niveaux de conditions sont ici bien plus disparates que durant le reste de l’année. Entre les gars qui sortent d’un Mondial où ils ont joué les premiers rôles et certains qui clôtureront leur saison en roue libre, il y a parfois un monde de différence. L’exigence de ce parcours élimine très vite ceux qui ne sont directement concernés par leur sujet. Là où, sur Liège-Bastogne-Liège, plus de 100 coureurs appartenaient le plus souvent au groupe de tête au pied de Saint-Nicolas, il ne restera sans doute que 50 gars dans le coup, en haut de Madonna Del Ghisallo ce samedi, à soixante bornes de l’arrivée. La Lombardie finit de vous essorer (rires) …"
Avec vos cinq participations, vous êtes un habitué du rendez-vous mais y avez, à chaque fois, abandonné. Quelle relation nourrissez-vous avec cette épreuve ?
"La Lombardie constitue une épreuve mythique, mais Liège-Bastogne-Liège demeure néanmoins la classique que j’apprécie le plus. Sur la classique des feuilles mortes, mes qualités sont le plus précieuses au collectif lorsque j’endosse le statut d’équipier. C’est ce rôle que j’assumerai encore ce week-end au profit de Tim Wellens. À mes yeux, ce monument est sans doute celui qui convient le mieux à ses caractéristiques. Je le pense très sincèrement capable d’y jouer la gagne (NdlR : il avait pris la 4e place en 2014) mais sans doute lui faudra-t-il encore patienter deux à trois ans pour cela."
"Tim roule plus pour gagner que Tiesj"
Engagé dans sa dixième saison pro, Thomas De Gendt fait, à 31 ans, déjà office d’ancien au sein d’une équipe Lotto-Soudal résolument tournée vers la jeunesse. Avec Wellens (27 ans) et Benoot (24 ans), la formation belge compte dans ses rangs deux des plus grands talents belges que certains présentent parfois comme trop similaires pour pouvoir harmonieusement cohabiter. "Certaines qualités physiques les rapprochent effectivement, mais je les juge tout de même très différents, avance ainsi De Gendt. Tim est un attaquant-né, qui n’hésitera jamais à prendre un risque pour gagner, même si cela doit ensuite l’amener à tout perdre. Au départ de chaque épreuve sur laquelle il est en mesure de nourrir de légitimes ambitions personnelles, il a un plan clair en tête pour tenter de lever le bras. Il est davantage dirigé par cette priorité que Tiesj qui possède, en revanche, un véritable tempérament de leader. Benoot est un excellent gestionnaire, capable de s’accrocher très longtemps pour épingler un Top 10."
Son avis sur...
Les changements chez Lotto: "J’aime la dimension familiale de cette équipe. Cela fait sa force"
Arrivé chez Lotto-Soudal en 2015, Thomas De Gendt y possède un contrat portant encore sur les deux prochaines saisons. "Je me sens merveilleusement épanoui dans cette équipe, sourit le coureur de Semmerzake. J’y bénéficie de certaines libertés qui me permettent de m’exprimer au mieux. J’aime aussi, et surtout, la dimension résolument familiale de cette formation. Lors de la dernière Vuelta, nous avons ainsi aligné huit coureurs belges. Il en a résulté une forme d’évidente proximité qui constitue une réelle force. J’ai déjà disputé quatorze grands tours dans ma carrière et, jamais, je n’avais évolué dans une telle ambiance durant trois semaines. Je suis absolument certain que cela a constitué un paramètre important dans ma conquête du maillot de meilleur grimpeur. J’entretenais une relation particulière avec Paul De Geyter, le manager général qui nous quitte au profit de John Lelangue, puisqu’il était autrefois mon agent. Son départ m’affecte donc sans doute un peu plus que certains autres coureurs. L’avenir se dessine sous la forme d’un point d’interrogation mais l’ancien dirigeant de chez BMC possède un gros vécu."
Sa passion méconnue: "Je peux passer des heures à éplucher les palmarès et les résultats"
Pour meubler les longues heures d’attente qu’accumulent, sur une saison, les coureurs pros dans les aéroports du monde entier, Thomas De Gendt s’est découvert une passion : les statistiques. "J’adore surfer sur des sites spécialisés comme ProCyclingStats, confesse dans un sourire le coureur de Semmerzake. À l’origine, je me connecte le plus souvent pour rechercher une information précise avant de plonger dans un tas d’autres données. Si je suis, par exemple, surpris le classement d’un coureur sur une épreuve, je vais ensuite chercher ses précédents résultats sur la même course avant d’étudier les classements de celle-ci sur les dix dernières années par exemple. Les bases de données sont pratiquement infinies et cela est assez fascinant (rires). J’encode aussi, depuis 2015, tous les kilomètres que j’effectue en échappée lors d’une saison…"
Meilleur grimpeur de la Vuelta: "Il faut encore que je trouve où placer ce maillot à la maison…"
Vainqueur du classement de la montagne sur la dernière Vuelta, l’Anversois de souche a ramené d’Espagne une tunique après laquelle il courait depuis plusieurs saisons déjà. "J’ai pratiquement abordé chacun des grands tours sur lesquels je me suis aligné avec la conquête du maillot de meilleur grimpeur dans un coin de mon esprit (rires)… Avoir ramené ce maillot à pois bleus du dernier Tour d’Espagne constitue, à mes yeux, l’un des plus beaux accomplissements de ma carrière. Il faut d’ailleurs que je trouve encore un endroit, à la maison, où pendre cette tunique que j’ai bien l’intention d’encadrer. Je dois bien y réfléchir car je veux un emplacement spécial… (sourire) Le barème de points sur la Vuelta est très différent de celui du Tour, qui n’attribue que de très maigres unités au sommet des difficultés de deuxième ou troisième catégories. Pour un coureur de ma nature, il est dès lors bien plus compliqué de ramener le maillot…"
Il remontera en Belgique… à vélo !
Au lendemain du Tour de Lombardie, De Gendt s’attaquera à un périple itinérant de six jours en compagnie de Tim Wellens
La satiété est, décidément, une notion à géométrie variable. Les 27.000 kilomètres avalés depuis le 1 er janvier (selon son compte Strava) par Thomas De Gendt n’ont pas repu le coureur de Lotto-Soudal qui a décidé de relier Côme, ville arrivée de la classique des feuilles mortes, à Semmerzake, son lieu de résidence en Flandre orientale, à… vélo !
Un périple d’un peu plus d’un millier de bornes que le meilleur grimpeur de la dernière Vuelta effectuera en six jours, accompagné de son équipier Tim Wellens. "L’idée d’une telle aventure m’est venue petit à petit, en entendant notamment parler de la Transcontinental Race (NdlR : une épreuve d’ultradistance de 3.500 km traversant toute l’Europe), sourit De Gendt. J’avais un temps imaginé relier Semmerzake à Calpe, la ville de la Costa Blanca où je possède une résidence secondaire, mais c’était trop long. Et 2.000 kilomètres à avaler en dix jours, ce sera pour l’après-carrière… Pour une première expérience, le périple que nous entamerons dimanche, au lendemain du dernier monument de la saison, m’apparaît plus raisonnable (rires)."
Un voyage d’aventurier que l’Anversois d’origine a méticuleusement préparé.
"J’ai préalablement tracé l’itinéraire des six étapes que nous suivrons sur GPS. Nous ne bénéficierons pas du support d’un véhicule suiveur et emporterons les effets indispensables dans trois sacoches de taille modeste. Pour bénéficier d’un peu plus de confort, nous avons opté pour des vélos dits de gravels, avec des pneus plus large (32 mm). Ce sera plus confortable… mais aussi plus lourd. Avec les bagages, nos machines frisent les 22 kilos. C’est trois fois plus que mon vélo de compétition (rire). Mais la vitesse ne constituera aucunement une priorité lors de la semaine qui nous attend. Chaque soir, à l’hôtel, il nous faudra faire notre petite lessive pour repartir le lendemain. Et comme repas, en milieu de journée, ce sera plus souvent un Coca accompagné d’un Mars ou d’une pâtisserie. La distance et les heures de selle nous effraient bien moins que la météo. Mais les prévisions n’annoncent, jusqu’ici, pas de pluie. Il faudra continuer à croiser les doigts… (rires)"