Rik Verbrugghe: "La réussite des cyclocrossmen? Cela reste du vélo!"
Entretien avec Rik Verbrugghe, le sélectionneur national, sur les performances des cyclocrossmen.
- Publié le 05-04-2019 à 07h01
- Mis à jour le 05-04-2019 à 12h11
Entretien avec Rik Verbrugghe, le sélectionneur national, sur les performances des cyclocrossmen. Trois des grands favoris du Tour des Flandres se trouvent être des cyclocrossmen : Zdenek Stybar, le lauréat du Nieuwsblad et de l’E3 BinckBank Classic, Wout Van Aert, qui fait forte impression sur les Flandriennes, et le phénomène Mathieu Van der Poel, qui vient de remporter À Travers les Flandres.
Comment ces athlètes venus des labourés parviennent-ils à s’imposer sur la route et à rivaliser avec les meilleurs routiers ? La réponse tient en un mot : le talent. Entretien avec Rik Verbrugghe, le sélectionneur national.
Rik, on ne parle quasiment plus que des cyclocrossmen. Vous êtes surpris par la réussite des Stybar, Van Aert ou Van der Poel sur la route ?
"D’une manière générale, non, ce n’est pas une surprise. Car on sait qu’ils ont énormément de talent. Ce n’est pas pour rien s’ils dominent leur discipline du cyclocross. Par contre, je suis quand même surpris par leur constance, qui est impressionnante, sur la route. Et par la manière avec laquelle ils disputent ces classiques. Il faudra voir au Tour des Flandres, qui est plus long, plus dur et d’un niveau supérieur, avec plus de favoris au départ. Sans vouloir minimiser la victoire de Van der Poel, loin de là !"
On parle souvent du besoin d’expérience sur ces classiques, mais ils ont directement une bonne vision de la course…
"Oui, ils ont vraiment ça dans le sang. Mais vous savez, cela reste… du vélo. En cyclisme, dans toutes les disciplines, il y a un grand point commun : il faut pédaler ! Et ce n’est pas la première fois que l’on voit des coureurs passer avec réussite d’une discipline à une autre. Il y en a qui viennent de la piste et qui réussissent sur la route (NdlR: les cas sont nombreux, comme avec Bradley Wiggins) , d’autres qui viennent du VTT (Cadel Evans, etc.) . Chaque discipline a ses spécificités : de la technique, de l’endurance, de l’explosivité. Sur les classiques, il y a un peu de tout et les meilleurs cyclocrossmen y marchent bien."
D’autres cyclocrossmen ont déjà gagné des courses sur route, comme Tim Merlier ou Quinten Hermans. La réussite de Van der Poel ou Van Aert pourrait faire boule de neige et en attirer plus vers la route ?
"Ce n’est pas un phénomène nouveau. Cela a déjà été le cas dans le passé. Et cela va sans doute continuer. Si vous prenez le jeune Britannique Tom Pidcock, il a tout pour briller aussi sur la route. Par contre, je me demande si cela ne pourrait pas aussi faire l’effet inverse. Les routiers vont peut-être se dire que le cyclocross est une très bonne préparation pour la route… Ce serait une piste à explorer."
Vous, en tant que sélectionneur national, cette réussite des cyclocrossmen sur la route pourrait élargir vos noyaux pour les sélections ?
"La combinaison route et cyclocross est déjà réalisée à la Fédération. Je suis sélectionneur national pour les pros et les moins de 23 ans. Et j’ai beaucoup de soutien de mon assistant, qui est Sven Vanthourenhout, le sélectionneur national de cyclocross. À la Fédération, on discute beaucoup. Et pas seulement entre routiers et cyclocrossmen. Aussi avec Filip Meirhaeghe pour le VTT. Dès qu’un talent émerge, on se tient au courant."
“Le cyclocross est idéal pour l’intensité”
Erwin Vervecken n’est pas surpris par la réussite des spécialistes des labourés. Le cyclocross est-il en danger avec ses meilleurs représentants qui s’illustrent sur les plus grandes courses sur route ? Ou la réussite des Zdenek Stybar, Mathieu Van der Poel et Wout Van Aert représente une bonne publicité pour ce sport d’hiver ? “Je pense qu’avec leurs prestations sur les classiques, ils ont surtout montré que le cyclocross peut être une très bonne préparation en hiver”, souligne Erwin Vervecken, ancien triple champion du monde de cyclocross. “Cette discipline permet de faire de bonnes intensités en hiver. Une intensité que tu ne peux pas atteindre à l’entraînement. Mathieu et Wout montrent que c’est possible. Même si nous sommes tous conscients qu’ils sont d’un autre calibre par rapport aux autres cyclocrossmen. Leur réussite n’est d’ailleurs pas une énorme surprise. Mais l’exemple vaut aussi pour Stybar. Il a refait un peu plus de cyclocross cet hiver et il est dans le coup. Et je me souviens de son dernier titre de champion du monde, en 2014. Dans la foulée, il avait réussi un très bon printemps, sur les classiques. Peut-être que ce que font Van der Poel et Van Aert sur la route va pousser Stybar ou Boom à refaire plus de cyclocross désormais…”
Et lui, n’a-t-il pas de regrets de ne pas avoir fait de route ? “ Non”, assure-t-il. “A l’époque, nous n’étions pas convaincus que c’était possible de percer sur la route. Mais je ne veux pas non plus me comparer à Mathieu Van der Poel ou à Wout Van Aert. Ils sont à un niveau qui est plus élevé que celui que j’avais ! À 19 ans, Wout remportait le Tour de Liège. Moi, je n’ai fait que cinquième de cette course quand j’avais… 28 ans. Et puis, il ne faut pas oublier que la route, à l’époque, soit la fin des années nonante et le début des années 2000, ce n’était pas vraiment le même vélo que maintenant… Il y avait d’autres pratiques…”
“Nys ne s’est jamais motivé pour la route”
Le Cannibale de Baal n’a jamais percé sur la route. Il a dominé durant des années le cyclocross international. À tel point qu’il a été surnommé le Cannibale de Baal. Mais Sven Nys n’a jamais percé sur la route, même s’il compte des succès en catégorie 2, comme sur le Grand Prix Claudy Criquielion ou à Oetingen. Pourquoi ? “Tout simplement parce qu’il ne s’est jamais motivé pour ça”, répond Gérard Bulens, qui a eu le Brabançon dans son équipe Landbouwkrediet lors des six dernières années de sa carrière. “Il a fait quelques courses sur route, mais c’était plutôt à chaque fois des épreuves de préparation pour lui. Je suis persuadé qu’il aurait pu faire des résultats aussi sur la route. Mais c’est une question de motivation. Il aurait dû avoir un programme adapté. Un peu comme Wout Van Aert, qui a diminué son nombre de cyclocross.”
Pour Gérard Bulens, qui a dirigé quatre champions du monde de cyclocross avec Danny De bie, Radomir Simunek, Paul Herijgers et Sven Nys, de nombreux cyclocrossmen peuvent briller sur la route. “Ils ont du potentiel, d’autres ont gagné sur la route aussi, comme Tim Merlier ou Quinten Hermans chez les pros, Laurens Sweeck a gagné le Tour de Namur, et un Gianni Vermeersch, coéquipier de Mathieu Van der Poel, était bien dans le coup à Gand-Wevelgem. Ce n’est pas nouveau.”
Et de continuer : “Les De Vlaeminck ont fait du cyclocross et de la route. La réussite de Mathieu et de Wout peut donner des idées à d’autres. Même s’il y a aussi un facteur à prendre en compte : l’argent. Les meilleurs cyclocrossmen ont des primes de départ sur les cyclocross. Ce qui n’est pas le cas sur la route.”