Mathieu Van der Poel: génie ou gâchis ?
La nouvelle star du peloton a juré fidélité à Corendon-Circus et attendra l'année de ses 26 ans pour se consacrer pleinement à la route et celle de ses 29 ans pour éventuellement rejoindre une équipe de premier rang. Et si ces sacrifices faits sur l'autel de la liberté relevaient d'un énorme gâchis ?
- Publié le 23-04-2019 à 17h05
- Mis à jour le 24-04-2019 à 08h13
La nouvelle star du peloton a juré fidélité à Corendon-Circus et attendra l'année de ses 26 ans pour se consacrer pleinement à la route et celle de ses 29 ans pour éventuellement rejoindre une équipe de premier rang. Et si ces sacrifices faits sur l'autel de la liberté relevaient d'un énorme gâchis ?
La saison 2019 de cyclisme sur route s'apparente déjà à un tournant qui propulse une nouvelle génération sur le devant de la scène. Remco Evenepoel, 19 ans, est programmé pour réussir au plus haut niveau et est en cours de polissage par Patrick Lefevere dans l'espoir de s'offrir des succès d'envergure à moyen terme et, pourquoi pas, devenir le prochain vainqueur belge d'un grand tour. Pour ce faire, il risque de devoir en découdre tôt ou tard avec Egan Bernal. Le Colombien est façonné par le Team Sky pour prendre la relève de Geraint Thomas et Chris Froome dès cette année sur le Giro et probablement en 2020 ou 2021 sur le Tour. Passé professionnel à 19 ans, le garçon progresse à coups de "gains marginaux" estampillés Brailsford depuis déjà plus d'un an.
Mathieu Van der Poel a emprunté une voie totalement différente. Phénomène de précocité en cyclo-cross, où il rivalise avec les professionnels depuis ses 18 ans et fut le plus jeune champion du monde de l'histoire à tout juste 20 ans, il a prouvé dès 2015 sa faculté d'adaptation sur la route. A peine venait-il d'atteindre les sommets en cyclo-cross avec ce maillot arc-en-ciel qu'il prenait la 4e place finale du Tour d'Alsace, juste derrière Sam Oomen mais devant Jack Haig, Laurens De Plus et Lilian Calmejane. Au Tour de l'Avenir, il rivalisait avec des Kragh Andersen, Moscon, Soler ou Schachmann, tous plus âgés que lui, avant d'y chuter.
Sa blessure au genou allait perturber la préparation de sa saison de cyclo-cross mais le coureur se prenait alors à rêver des JO, une première fois. Sans succès, puisqu'il ne parvenait pas à se qualifier pour l'épreuve de VTT à Rio et profitait de l'été 2016 pour se faire opérer des deux genoux tout en faisant une croix sur la route. Il lui faudra alors quatre crevaisons lors des Mondiaux 2017 pour laisser Van Aert l'emporter, avant de confirmer les promesses faites sur le bitume deux ans plus tôt, notamment en battant Gilbert, Van Aert et Naesen au sprint dans la deuxième étape du Tour de Belgique.
La suite, on la connaît : Van der Poel a remporté 5 succès sur la route en 13 jours de course en 2018 et 6 succès (dont quatre classiques) en 15 jours de course cette année. Un taux de réussite affolant de 39% et, surtout, des messages très forts envoyés à tout le peloton. Un peloton qui doit se réjouir de voir MvdP continuer à accorder beaucoup d'attention au cyclo-cross et au VTT… ce qui pourrait ressembler à un énorme gâchis. Explications.
1. Le temps est compté
S'il est possible de performer jusqu'à 36 ou 38 ans comme le font actuellement Philippe Gilbert et Alejandro Valverde, la carrière d'un cycliste n'est pas éternelle. Et si l'âge apporte de l'expérience, il enlève souvent de l'explosivité aux coureurs, ce qui vient réduire la liste de leurs succès potentiels. Cette explosivité, Van der Poel la possède plus que quiconque. Clarke n'a jamais pu le déborder dans les derniers mètres de l'Amstel malgré un travail de plusieurs kilomètres en tête. Alaphilippe n'a même pas pu rester dans sa roue au moment de son démarrage, dans la dernière ligne droite de la Flèche brabançonne. Et que dire de ses attaques ? A Denain, sur les pavés, comme à la Flèche brabançonne ou à l'Amstel, dans les monts, le Néerlandais a systématiquement décroché tout le monde de sa roue.
Cet atout, utilisé à bon escient et renforcé par une préparation spécifique à la compétition sur route, devrait lui permettre de remporter les plus grandes classiques du calendrier. Mais être performant de Milan-Sanremo à Liège-Bastogne-Liège au cours d'une même année n'est plus la norme, dans le cyclisme moderne. Un cyclisme qui se veut plus propre et plus humain qu'il y a vingt ans. Si vous voulez ajouter la Lombardie et des grands tours (où Van der Poel pourrait remporter des étapes prestigieuses) à votre palmarès, il vaut mieux commencer très tôt. Philippe Gilbert et sa quête des cinq monuments entamée il y a dix ans déjà en est le meilleur exemple.
2. Son équipe risque de l'handicaper pendant la moitié de sa carrière
On l'écrivait ci-dessus : si Van der Poel honore son contrat avec Corendon-Circus jusqu'à son terme, il devra attendre l'année de ses 29 ans avant de rejoindre une équipe du top. Cela ne veut pas dire que sa formation actuelle restera aussi faible jusqu'en 2023 mais rien ne laisse présager une énorme réévaluation du budget à court terme. En clair : Van der Poel risque de devoir affronter des collectifs plus puissants et mieux huilés pendant encore quelques saisons.
Mis à part à Gand-Wevelgem où il fut battu par Kristoff au sprint après avoir notamment beaucoup donné dans la bordure de la première moitié de course, le Néerlandais a semblé imbattable au sprint face aux autres coureurs de classiques. Avec une équipe capable de l'aider à contrôler et avec une certaine rigueur tactique, il ne fait aucun doute que les cartouches économisées lui permettraient de faire d'autant plus mal en fin d'épreuves. "Pour la tacique, je dis à Mathieu : 'Fais ce que tu veux'. Il ne faut surtout pas lui faire faire ce dont il n'a pas envie", nous soufflait ainsi Michel Cornelisse, son directeur sportif, après l'Amstel. Sur le sujet, Adrie Van der Poel n'avait pas caché qu'attaquer à 45km de l'arrivée "sur la côte qui n'était pas la plus propice et avant un long faux plat exposé au vent de face" était une "petite faute". Ne vous y méprenez pas : on ne juge pas un procédé à ses résultats. Sans une certaine pagaille dans la communication des écarts, Van der Poel aurait, au mieux, sprinté pour la 3e place. Alors qu'une heure plus tôt, son attaque aussi foudroyante qu'inutile l'avait essoufflé au point de ne pas pouvoir suivre le contre d'Alaphilippe.
Imaginez le palmarès du gaillard s'il s'était concentré plus tôt à la route, avec une équipe à son service et en étant mieux canalisé par sa direction sportive...
3. L'or olympique, oui, mais pourquoi en VTT ?
Le garçon n'est pas du genre à s'attarder sur ses échecs mais on serait tout de même curieux de demander à Peter Sagan si son impasse sur la route lors des JO 2016 au profit du VTT ne fait pas partie de ses plus grands regrets. Certes, on ne saura jamais ce que les Slovaque aurait pu faire sans une double crevaison fatale. Ce qui est certain, par contre, c'est que Greg Van Avermaet a battu tous les grimpeurs au terme de la course sur route un mois après un Tour de France où Sagan s'était montré encore plus à son avantage que lui.
Quand Mathieu Van der Poel justifie ses choix de carrière par son grand appétit d'or olympique en VTT, on peut donc émettre des réserves. Pourquoi ne pas aller chercher cette médaille sur la route, finalement ? Car le profil de Tokyo 2020 ressemblera assez à celui de Rio 2016. Certes, MvdP n'a encore jamais pu s'exprimer au cours de l'ascension d'un col mais son gabarit similaire à celui de Van Avermaet et sa polyvalence pourraient lui permettre de briller autour du Mont Fuji. S'il connaît la même malchance que Sagan, il risque de regretter d'avoir freiné sa carrière sur route...