Sébastien Bellin: "Repousser mes limites physiquement et mentalement m’aide à oublier le 22 mars"
- Publié le 15-03-2018 à 11h00
- Mis à jour le 18-03-2018 à 10h50
Sébastien Bellin, les attentats de Bruxelles ont failli vous coûter la vie. À l’époque, participer aux 20 Km était loin d’être une évidence…
"J’étais à dix mètres de la deuxième bombe. Ma jambe gauche a été presque arrachée, mon tibia s’est cassé et il y avait des trous dans ma chair. Une balle a transpercé ma hanche et j’ai perdu 50 % de mon sang pendant les deux heures où je me suis battu pour ma vie. C’est vrai que j’étais en mauvais état…"
Quel est le secret qui se cache derrière votre détermination ?
"Pour surmonter un drame comme ça, il faut y aller par étapes. C’est mon côté compétitif qui prend le dessus : après les attentats, j’ai vraiment voulu gagner étape par étape, match après match. La première victoire était de rester en vie, puis de garder une jambe puis les deux. Ensuite ça a été de pouvoir remarcher. J’essaye de tout faire pour atteindre les objectifs que je me fixe. Pour ça, je m’entoure des bonnes personnes. J’ai créé une Team Bellin qui m’aide à réaliser mes projets au jour le jour. Je peux compter sur mes proches mais aussi sur Bram, mon entraîneur, et sur Astrid Claes qui m’aide à gérer mon énergie."
Quels sont les objectifs que vous poursuivez actuellement ?
"Mes prochains objectifs, c’est surtout de trouver de nouveaux challenges qui me permettent de surmonter tout ça. Il faut être honnête, j’ai un handicap que je garderai jusqu’à la fin de mes jours : je n’aurai plus jamais de sensations dans la jambe gauche. Mais le degré de handicap, c’est dans la tête. Un handicap ne veut pas dire qu’on ne sait pas faire quelque chose, ça veut simplement dire que c’est plus difficile. Un handicap au golf ne veut pas dire qu’on ne sait pas jouer au golf, ça veut dire que c’est plus difficile et que c’est un plus grand challenge. Mais c’est dans les challenges qu’on se construit. Si on veut vivre à fond, il faut sortir de sa zone de confort et pour moi, ça veut dire relever des défis et surmonter les étapes que la vie m’a présentées. Je n’ai pas demandé à me faire exploser, par contre c’est à moi d’en tirer du positif. C’est une leçon de vie que j’essaye d’affronter tous les jours. Que ce soit courir un marathon, courir un triathlon… Ce sont des choses que je vais faire. Je vais commencer par les 20 Km de Bruxelles en mai et puis je vais voir où mon chemin me mène."
Les attentats ont-ils fondamentalement changé votre vision du monde ?
“Ils m’ont inspiré un discours et je voyage beaucoup pour le transmettre. Il s’appelle l’illusion de la peur et j’explique que pour moi, la peur est une illusion. Il y a une grande différence entre la peur et le danger. Le danger c’est une voiture qui vient vers toi à 100 kilomètres à l’heure : tu dois te bouger sinon tu vas te faire renverser. Par contre, la peur c’est se lever le matin en se disant je vais me faire renverser par une voiture. Il y a une grosse différence : la peur existe seulement dans la tête. Beaucoup de gens vivent avec cette peur qui absorbe toute l’énergie positive qui pourrait être employée pour créer des opportunités. C’est exactement ce que j’essaye de développer. La femme qui est morte à côté de moi, je la vois tous les jours. Je lui parle même de temps en temps. C’est une motivation. Mais au lieu d’avoir peur de mourir, ça me donne envie de vire. Avoir survécu me donne de l’énergie et de la confiance pour les challenges que j’ai envie d’accomplir. On me traite souvent de fou mais je crois que c’est possible. Même si je ne sens plus ma jambe gauche. Je vais essayer et si je n’y
arrive pas, je dirai que c’est la faute de Bram (rires) .”
Comment vous préparez-vous pour ces 20 Km ?
“Je suis souvent au Spiroudôme et j’y trouve donc tout ce qu’il faut pour m’entraîner : il y a une salle de musculation et je vois Astrid et Bram deux fois par semaine. Le reste du temps, je m’entraîne par moi- même. Je reste un athlète professionnel de nature et le fait de repousser mes limites physiquement et mentalement m’aide énormément à ne pas penser à ce que j’ai vu le 22 mars. Ça me permet de me focaliser sur ma reconstruction. Grâce à mes entraînements, je sens que je suis redevenu un athlète professionnel puisque c’est vraiment mon challenge de tous les jours de pouvoir m’entraîner pour réussir.” Vous êtes un symbole des attentats.
Participer aux 20 Km de Bruxelles, est-ce aussi un moyen pour vous de transmettre un message ?
“Je ne m’entraîne pas seulement pour moi mais pour les autres victimes, pour mes partenaires et pour tous ceux qui croient en moi. J’essaye de donner le bon exemple pour surmonter la pente. J’ai envie de montrer à mon pays que j’adore, que je peux servir d’exemple. Si le symbole de ces attentats peut ressortir de cette expérience meilleur dans certains domaines, je crois que ça peut servir d’exemple et de motivation pour l’avenir. Du moins, je vais essayer.”
Comment faites-vous pour être optimiste en toutes circonstances ?
“La fin du monde, je l’ai vue. Je sais ce que c’est d’être à deux doigts de la mort. Je sais ce que c’est de voir quelqu’un exploser à côté de moi et de voir le visage de ma petite fille qui me voit cloué au lit avec du métal partout. J’ai vécu tout ça et j’ai décidé de le transformer en motivation. J’ai toujours été quelqu’un de positif. Tout ce qui est revanche ou peur, toutes ces émotions négatives n’ont pas beaucoup de sens. J’essaye de me reconstruire avec des personnes qui ont des expériences de vie positives.”
Vous avez toujours refusé de vous voir comme un handicapé
“J’aurais dû recevoir mon sticker handicapé pour ma voiture il y a un an mais je n’ai jamais voulu me considérer comme handicapé. Le handicap, c’est un mécanisme psychologique. À l’hôpital, deux semaines après les attentats, après les grosses opérations, j’ai reçu plein d’antidouleurs. J’ai lu un article et j’ai discuté avec des spécialistes qui m’ont conseillé d’arrêter les antidouleurs le plus vite possible parce qu’ils masquent en fait les sensations. Depuis, j’essaye de me passer d’anti-inflammatoires tous les jours. Le corps humain est incroyable ! C’est comme dans la vie, si on a un challenge, on choisit de le saisir ou pas et si on le fait, ça crée de la confiance. Franchement, est-ce qu’il y a quelque chose de plus dur que je vais devoir affronter dans la vie ? Donnez-moi un exemple ! S’il y a quelque chose qui arrive à mes enfants ou à ma femme, ok… Mais pire que se faire exploser et presque mourir ? Je ne vois pas !”