Plongée au coeur des 4 Cimes, la course anti business
Depuis 34 ans, l’inscription aux 4 Cimes du Pays de Herve (33 km) est gratuite. Comment et pourquoi est-ce encore possible ?
- Publié le 12-11-2019 à 16h30
- Mis à jour le 14-12-2020 à 15h00
Depuis 34 ans, l’inscription aux 4 Cimes du Pays de Herve (33 km) est gratuite. Comment et pourquoi est-ce encore possible ?
Les 4 Cimes du Pays de Herve, c’est le Père Noël avant l’heure. Générosité d’organisateurs au grand cœur, une nouvelle fois renouvelée ce dimanche à l’occasion de la 34e édition. Non seulement leur course est gratuite, mais en plus, ils donnent. Simple geste, grand sourire. Une fois que vous avez bouclé les 33 kilomètres de ce parcours castard balayé par les vents du plateau de Herve, vous avez en effet droit à une assiette locale, avec du pain, du fromage et du sirop. Pour rien. Pas un euro.
À l’heure où vous voyez passer sur les réseaux sociaux des prix d’inscription fous (dernier en date : l’Ecotrail de Paris organisera l’an prochain une course de 10 bornes. Prix : 26 euros !), ainsi que des prix de godasses démentiels (275 euros pour les Nike ZoomX Vaporfly Next %, celles utilisées par Kipchoge lors de son "sub 2h" sur marathon officieux), cette générosité en viendrait à faire tache. En tout cas, elle étonne.
"Depuis le début, nous sommes contre la commercialisation de la course à pied", explique Bernard Viaene, un des quatre organisateurs historiques présents depuis le début, aux côtés de Michel Dropsy, Fernand Maréchal et Guy Pirlet. "Nous discutions souvent entre nous de cette escalade tarifaire, qui voyait des courses demander 100, puis 200, voire 300 FB (100 FB = 2,5 €). Un jour, je m’entraînais avec Lucien Schoefs du côté de Mortroux. C’était un 11 novembre et il faisait pas loin de 20 degrés. Nous avions soif. Nous nous sommes arrêtés chez Guy Pirlet pour nous ravitailler. Je pense que c’est ce jour-là que sont nées les 4 Cimes. C’est en tout cas là qu’on a arrêté le concept ‘11-11-11’, à savoir le 11 novembre à 11 heures, pour 33 km. La gratuité est née aussi ce jour-là. On a l’esprit ardennais. On voulait donner. Nous avons contacté les autorités, les sponsors et on est arrivé à cela. Là-dessus, nous avons pu compter sur le challenge Delhalle qui nous a aidés à nous faire connaître. Du coup, pour la première édition, nous avions déjà 313 personnes au départ (1 100 ce dimanche pour les trois courses au programme (33, 16 et 6 km)."
L’épreuve se voulait aussi, peut-être surtout, solidaire. Rappel aussi de ce 11-11-11, né en 1966, dont le but était d’organiser un grand mouvement de solidarité mondiale. "J’ai un souvenir très fort des premières éditions", indique ainsi Bernard Viaene. "Nous avions un coureur qui faisait la manche dans la rue à Liège en semaine et qui venait courir chez nous parce que la douche et les repas étaient gratuits…"
L’amitié plutôt que le bling-bling
Autre son de cloche, même belle musique. "La course à pied populaire souscrit chaque année un peu plus aux us et coutumes des grandes foires commerciales", constate Fernand Maréchal, lui aussi figure tutélaire de ce "marathon" du grand paysage, toujours présent derrière le micro pour renseigner les coureurs avant la course et les saluer après.
"Aux 4 Cimes, ce n’est pas le bling-bling qui triomphe mais bien une franche et saine amitié entre les personnes."
100 kg de fromage et 250 roses
Bon an, mal an, l’organisation des 4 Cimes tourne autour d’un budget de 15 000 euros. Bon an mal an, ce budget est toujours respecté malgré la gratuité de la course.
“Cette somme est rencontrée grâce au sponsoring en argent, aux aides communales et aux dons de nos sponsors”, explique Michel Dropsy, un des organisateurs. “La société de Herve nous offre 100 kilos de fromage, de trois sortes différentes. Nous recevons le sirop de la siroperie d’Aubel. Café Liégeois nous donne le café, le thé nous est aussi fourni, ainsi que les boissons énergisantes. Nous avons également un accord avec un fleuriste qui nous donne les bouquets pour les vainqueurs, ainsi que 250 roses pour toutes les femmes. C’est beau, une femme avec une rose à l’arrivée…”
Et d’ajouter : “Là-dessus, il y a une dynamique de l’entraide qui s’est installée. Ce qui au départ était une occasion de renforcer aussi les liens entre les habitants du coin a débordé. Nous avons des bénévoles d’un peu partout, qui reviennent quasi à chaque fois. Pour un casse-croûte et deux tickets boisson. Les gens qui font le casse-croûte sont là depuis le début, c’est-à-dire 34 ans. Ce sont des choses qui nous font dire aussi que l’on peut être fiers de ce que nous avons fait. Ce que j’aime aussi dire, c’est que si une course pareille ne peut se faire sans ces bénévoles, elle doit se faire avec des coureurs qui les respectent, qui disent merci aux ravitos, sur la route…”
L’esprit “Spiridon” et l’esprit céleste
Née en 1972, la revue Spiridon rythma durant une quinzaine d’années la vie de dizaines de milliers de coureurs à pied dans le monde francophone. L’esprit s’ouvrait grâce à l’effort. Comme le disait Noël Tamini, un des deux fondateurs, “on se rendait compte que la douche ou la bière étaient bien meilleures après avoir couru qu’après avoir mangé des chips ou regardé la TV…”
L’esprit vagabondait dans la liberté, la poésie, voire parfois du côté “chemises à fleurs – mai 68 – Woodstock…”. C’est en tout cas ce que l’on a pensé en entendant Fernand Maréchal, un des 4 organisateurs des 4 Cimes, parfaite illustration de cette belle époque, sortir au micro dimanche, sourire dans les yeux : “Aujourd’hui, c’est soleil pour tous. Merci petit Jésus, Allah, Bouddha…”
En Belgique, les Coureurs célestes prolongent cet esprit Spiridon. À notre connaissance, ils sont, avec ceux des 4 Cimes, les seuls à avoir imposé la gratuité sur leurs courses.
Le 31 mai prochain, ils organiseront à nouveau leurs “100 km célestes”. Un slogan ressort déjà, mis en exergue lors de l’annonce de l’épreuve : “Les pieds sur terre, le cœur sur la main et la tête dans les étoiles.”
Que dire de plus ?…