Il court le marathon en 3h38 en... marche arrière
Markus Jürgens est l’un des meilleurs spécialistes au monde du retrorunning, dont il détient le record du monde sur marathon. L’Allemand nous présente sa discipline tout sauf fantaisiste
- Publié le 12-06-2018 à 14h37
- Mis à jour le 12-06-2018 à 14h57
Markus Jürgens est l’un des meilleurs spécialistes au monde du retrorunning, dont il détient le record du monde sur marathon. L’Allemand nous présente sa discipline tout sauf fantaisiste
Par chance, peut-être avez-vous déjà croisé au détour d’un chemin ou sur le bord d’une route de campagne un adepte du retrorunning ? Reste que les probabilités de voir chez nous un des pratiquants de la course à pied en reculant sont plutôt minces. Encore très largement peu connue et considérée comme folklorique en Belgique, cette pratique attire pourtant de plus en plus de runners à travers la planète.
Pourquoi courir en marche arrière ? Et comment procéder ? Avec quelles conséquences ? Les interrogations affluent à l’évocation de cette pratique. Autant soumettre ces questions à Markus Jürgens. À 31 ans, cet Allemand qui travaille à l’institut de l’économie du Sport de l’université de Münster, dans l’ouest de son pays, a viré de bord au début de l’année 2014, devant ce qui s’appelle dans la langue de Goethe un "rückwärtsläufer" ou littéralement un coureur à l’envers.
Pour Belgium Running, cet amateur de sport d’endurance, qui peut se targuer d’avoir déjà bouclé un double Ironman, a pris le temps de nous expliquer ce basculement né de nombreuses discussions avec l’un des précurseurs en la matière, Achim Aretz. "À force d’en parler, je me suis dit que j’allais essayer. J’ai commencé doucement à accumuler les entraînements jusqu’à ce que je puisse faire mon premier 5 kilomètres en compétition. Achim m’avait dit qu’en août de cette année-là se déroulaient les Championnats du Monde de retrorunning et m’a proposé d’y participer. J’ai continué à m’entraîner et j’ai disputé ces Mondiaux sur le semi. Que j’ai gagné…"
Pourquoi avoir abandonné le running classique ?
"Disons que je m’ennuyais un peu. Je ne sais pas exactement combien de marathons normaux j’ai pu faire. J’ai un record à 2 h 56 mais le retrorunning s’est présenté comme une nouvelle expérience. C’est vraiment cela, j’ai découvert quelque chose de nouveau. Tout était nouveau en fait dans cette discipline pour moi."
Comment faites-vous pour vous repérer ?
"Quand je m’entraîne ici, à Munster, j’ai mes parcours que je connais très bien. C’est tout plat, donc je peux bien m’orienter en regardant sur les côtés avec les poteaux, l’herbe. Je me retourne quand même tous les 100, 150 mètres pour voir où j’en suis, sinon, le reste du temps je cours à l’aveugle. Il faut avoir une grande confiance en soi. J’entends aussi très bien ce qui vient de derrière, les voitures, les vélos par exemple. En fait, je vois avec mes oreilles. Après, en compétition avec des gens qui courent normalement, ma copine m’accompagne le plus souvent. Elle court aussi beaucoup. Elle est un peu mon deuxième regard. Elle m’avertit si je dois aller plus à droite ou à gauche, même s’il faut faire attention car ma droite est sa gauche et ma gauche sa droite. Nous nous sommes habitués." (rires)
Comment réagissent les gens en vous voyant ?
"À Münster, chez moi, les gens me connaissent un peu et ne font plus trop attention à ma façon de courir. Mais, ailleurs, il arrive encore souvent que je croise des gens qui n’ont jamais vu cela et se demandent combien de temps je vais tenir. La plupart du temps, les gens sourient. Lors des courses, il peut aussi y avoir des réactions plus négatives quand je double des gens dans le dernier tiers d’un marathon, par exemple. Cela peut faire mal au moral. Mais, la plupart du temps, cela motive les gens, les fait sourire."
D’un point de vue physiologique, votre corps a dû s’habituer à ce changement…
"Oui, parce qu’en courant de cette manière, automatiquement, vous êtes sur l’avant-pied. Impossible de faire autrement. Il peut y avoir une surcharge au niveau du genou et cela peut impacter l’appareil moteur mais le corps s’y fait. Les mollets, les fessiers et les ischios se renforcent au fur et à mesure. Vous gagnez aussi en coordination quand vous courez normalement."
Justement, à l’entraînement, alternez-vous les deux formes de running ?
"En moyenne, je cours deux tiers du temps à l’envers et un tiers du temps normalement. Je fais aussi beaucoup de vélo, de natation. Sur l’année dernière, j’ai fait 2.500 km, dont 1.800 à l’envers."
Il existe une fédération dédiée de cette discipline depuis 2005, des compétitions aussi. Cela crédibilise votre pratique…
"Exactement. Il y a des Championnats du Monde tous les deux ans. Cette année, ce sera en juillet à Bologne. Je ne crois pas qu’il y ait déjà eu des Belges au départ. Peut-être qu’avec cet article, la révolution va se lancer aussi chez vous." (rires)
Les bienfaits du retrorunning
Relativement confidentielle, la pratique du retrorunning s’appuie sur une base de précurseurs. En France, Christian Grollé est l’un des pionniers du genre, dès les années 80, et en vante les mérites dans son livre “Retrorunning Régénération”, à grands renforts d’avis de médecins.
Pour lui, et le témoignage de Markus Jurgens le confirme, le retrorunning renforce aussi les facultés d’audition. Mais il y a d’autres bienfaits. Le dos se muscle plus et le corps se retrouve plus équilibré, notamment en vous obligeant à courir sur l’avant-pied. Cela peut aussi être bénéfique lors d’une blessure, qui n’est pas nécessairement incompatible avec la pratique de la course à reculons. En inversant le travail des muscles et articulations, on sollicite en effet moins ceux en convalescence. En termes de dépense énergétique, le retrorunning entraîne une hausse de 20 % du nombre des calories brûlées alors qu’au niveau des performances, la pratique agit sur la VO2 max, qui est 30 % supérieure que pendant la course avant à vitesse égale.