Ces coureurs qui progressent en vieillisant
Le temps n’a pas la même emprise sur tout le monde : Gene Dykes, nouveau recordman du monde des 70-74 ans sur 42,195 km, ou Ed Whitlock, son prédécesseur, en sont deux parfaits exemples.
- Publié le 05-02-2019 à 11h31
- Mis à jour le 05-02-2019 à 16h00
Le temps n’a pas la même emprise sur tout le monde : Gene Dykes, nouveau recordman du monde des 70-74 ans sur 42,195 km, ou Ed Whitlock, son prédécesseur, en sont deux parfaits exemples.
Courir un marathon en moins de 3 heures : l’objectif de nombreux coureurs amateurs. Beaucoup n’y arriveront jamais sans doute jamais malgré des entraînements étudiés.
En décembre dernier, Gene Dykes a choisi Jacksonville pour affronter la distance-reine de la course sur route. Dans la dernière ligne droite, il se déhanche dans tous les sens pour grappiller encore quelques secondes et couper la ligne en 2h54’23’’. Au milieu de visages jeunes marqués par l’effort mais souriants, celui de Gene Dykes, plus ridé et avec des cheveux épars. L’homme âgé de 70 ans est sans doute encore plus heureux que les autres car il vient de battre de 26 secondes un record de catégorie qu’on pensait inaccessible : celui d’Ed Whitlock. Aux journalistes qui l’encerclent, l’Américain affirme qu’il veut encore améliorer ses performances dans les années à venir alors que beaucoup de ses semblables ont délaissé le sport.
Une pratique commencée sur le tard
Gene Dykes n’a commencé le running qu’à 58 ans et c’est en écoutant Ed Whitlock qu’il décida de se lancer sur marathon. Il boucle ses premiers 42,195 km en 3h29, un chrono respectable mais loin de ses ambitions initiales. Il se tourne alors vers un coach et les résultats suivent rapidement. Avant, Gene courait beaucoup de kilomètres à allure lente avec un jour de repos entre les séances. Désormais, il court globalement moins de kilomètres mais la fréquence et surtout la cadence ont augmenté. Son départ à la retraite lui a aussi permis d’avoir plus de temps pour appliquer ce schéma et progresser de 20 minutes sur marathon en une année puis d’atteindre ces 2h54’23’’. Désormais détenteur du record du monde du marathon dans la catégorie 70-74 ans, l’Américain entend bien s’attaquer aux autres records de Whitlock.
Ce dernier a rendu son dernier souffle le 13 mars 2017 à 86 ans alors qu’il luttait contre un cancer de la prostate. Cela ne l’avait pas empêché de battre, quelques mois plus tôt, le record du monde des 85-90 ans en 3h56’38’’. Les secrets du coureur de Milton n’ont toujours pas été percés. Tout juste savait-on qu’il courait quotidiennement jusqu’à 3 heures autour du cimetière local. Mais contrairement à Gene Dykes, dont le passé sportif était quasiment vierge, Whitlock ne partait pas de zéro.
Hygiène de vie et entraînement adapté
Bon coureur de cross-country dans son adolescence londonienne, il remporta des titres en cross-country et sur 3 000 mètres à l’Université de Londres. Il s’établit ensuite au Canada et met le running entre parenthèses pour le reprendre à l’âge de 41 ans. D’abord avec des fartleks et du demi-fond avant de se lancer, à 45 ans, sur son premier marathon pour accompagner son fils de 14 ans. Le duo boucle le parcours en 3h09, le tout en survêtement…
Touché par le virus du marathon, Whitlock progresse et établit son record personnel : 2h31’23’’. Il a 48 ans. Évidemment, les années vont lui faire perdre de la vitesse et le Canadien d’adoption se concentre sur la quête de records dans les catégories au-delà de 70 ans. 2h54’49’’ chez les 70-74, 3h04’54’’ chez les 75-79, 3h15 ’54’’ chez les 80-84 jusqu’à ce dernier record juste avant de mourir..
Courir au-delà de 100 ans
La date du décès reste une donnée imprévisible dans la quête des records de longévité. Ed Whitlock ne pourra pas s’attaquer aux records d’un Indien qui a encore plus repoussé les limites de l’âge : Fauja Singh. Le Titanic n’avait pas encore bu le bouillon que ce sikh avait vu le jour dans le Penjab. Fermier dans son pays natal, il s’établit au Royaume-Uni à 81 ans. C’est là qu’il enfile ses premières baskets et s’inscrit à ses premiers 20 km, à Londres. À 88 ans, Fauja connaît un double drame familial avec le décès de son épouse et de son fils et se tourne vers le marathon comme un défi pour oublier sa peine. Un an plus tard, il boucle les 42,195 km londoniens en 6h54, soit 58 minutes de mieux que la précédente marque dans sa catégorie. En 2003, il établit son record personnel à 5h40. À 92 ans… Il participe à une campagne publicitaire d’Adidas aux côtés de David Beckham et Mohamed Ali, mais ne se repose pas sur ses lauriers. L’année de ses 100 ans, il s’attaque à quelques records sur la même journée : 100 m bouclés en 23sec40 (- 6 secondes), 200 m en 52sec23 (- 25sec36), 400 m en 2’13’48’’ (- 1’28’’) et 1 500 m en 11’27” (- 5’19’’). Premier centenaire à boucler un 3 000m (24 : 52 : 17) et un 5 000 m (49 : 57 : 39), il devient aussi le premier à terminer un marathon en 8h11 même si le Guiness Book ne retient que son temps brut (8h25). En 2012, il descendra même à 7h49. Aujourd’hui, à 107 ans, il continue toujours à courir en faveur d’associations caritatives pour promouvoir un mode de vie sain, lutter contre le diabète et autres.
Un moteur moins usé
Comment expliquer qu’à l’automne de leur vie, Gene, Ed et Fauja continuent de courir, mais parviennent à encore s’améliorer ? Au-delà des évolutions physiologiques du corps, de leur entraînement, de leur alimentation et du temps qu’ils ont à consacrer à leur sport une fois retraités, un point commun rassemble les trois hommes : avoir commencé leur pratique sur le tard. Cela leur a permis d’économiser leur moteur quand des athlètes ayant atteint un niveau de performance important dans leurs jeunes années n’ont plus ni le carburant, ni le mental pour encore forcer la course aux exploits. Le marathon, peu importe le niveau, exige toujours une bonne dose de discipline. Difficile de la maintenir quand on a déjà consenti beaucoup de sacrifices par le passé.