Rencontre avec le grimpeur Siebe Vanhee: "J’apprends énormément sur une paroi"
Le Louvaniste, l’un des rares grimpeurs professionnels belges, parcourt le monde à la recherche des plus beaux défis.
- Publié le 01-08-2018 à 14h26
- Mis à jour le 01-08-2018 à 14h44
Le Louvaniste, l’un des rares grimpeurs professionnels belges, parcourt le monde à la recherche des plus beaux défis. L’aventure et la découverte collent à la peau de Siebe Vanhee. Explorer. Toujours plus haut, toujours plus loin. Le Louvaniste de 26 ans est l’un des rares grimpeurs belges outdoor qui peut se targuer d’être professionnel. Sa vie, c’est la montagne. Sa passion, la grimpe, loin du diplôme d’assistant social qu’il a décroché voici quelques années. Avec sa barbe rousse bien affirmée, ses cheveux mi-longs au style quelque peu négligé, on peut écrire qu’il a aussi la gueule de l’emploi.
Dans les Dolomites, au cœur des Alpes italiennes, Siebe Vanhee est dans son élément. C’est là que nous l’avons rencontré, à l’occasion du Mountain Festival 2018 de The North Face, marque américaine qui lui permet depuis deux ans de vivre son rêve aux quatre coins du globe.
Souvent seul dans l’effort, celui qui a commencé dans les salles à l’âge de dix ans avant de rapidement tomber amoureux de la grimpe en montagne et de quitter définitivement l’indoor à 17 ans prend aussi énormément de plaisir à partager sa passion. Avec un sourire qui ne le quitte jamais et suffit à résumer le bonheur qu’il éprouve à être ce qu’il est aujourd’hui.
Siebe Vanhee, racontez-nous comment vous êtes devenu le grimpeur professionnel que vous êtes aujourd’hui.
"J’ai envoyé mon CV pour répondre à une annonce. (rires) Mais c’est une image que j’utilise souvent. Quand tu dis autour de toi que tu es grimpeur professionnel ou que tu passes ta vie à grimper, les gens ont souvent du mal à comprendre. Cela semble irréaliste. D’autant que je ne fais pas de compétitions, plus médiatisées. Moi, je suis en montagne, avec mes propres envies et objectifs. Cela est uniquement possible grâce au soutien de marques qui ont cet ADN de la grimpe, de la découverte et du toujours plus loin. Tout simplement."
Le chemin vers les sommets a néanmoins dû être long…
"Très long. J’ai commencé à 10 ans. Mais je suis quelqu’un de têtu. Quand j’ai un objectif en tête, je ne m’arrête pas tant que je ne l’ai pas mené à bien. Je me suis accroché à ce rêve de vivre de la grimpe. Cette approche des choses est aussi valable dans mes expéditions. Si je me lance un défi, il faut beaucoup pour que j’y renonce. Au fond de moi, j’avais cette passion de l’escalade et je me suis battu pour arriver là où je suis aujourd’hui."
Vous passez la plupart de votre temps loin de la Belgique. Vos défis vous amènent sur des parois à la fois lointaines et difficiles. Vous êtes un solitaire dans l’âme ?
"La grimpe outdoor n’est vraiment pas un métier comme un autre. On est seul, hyper seul. Mais je ne suis pas pour autant un égocentrique. J’apprends énormément sur une paroi, sur moi-même comme sur le monde. Et tout cela, j’aime à le partager autour de moi. Après mes études, j’ai travaillé un peu dans le social et mon vécu de grimpeur m’a d’ailleurs été très utile dans mes contacts avec les jeunes en difficulté ou avec des ex-détenus, par exemple."
Avec deux secondes places lors des Championnats de Belgique de bloc en 2009 et 2010, vous étiez un réel espoir de l’escalade belge. Pourquoi avoir choisi une autre voie que l’indoor, discipline qui sera présente aux prochains Jeux olympiques ?
"C’est un cheminement que j’ai fait. À 17 ans, j’ai compris que je devais quitter les salles et découvrir d’autres choses. J’y ai mis toute mon énergie, mon positivisme et je n’ai jamais hésité à communiquer autour de moi. Cela a plu à mes partenaires actuels et cela m’a permis d’avancer. Mais je ne force rien. Je suis sur les réseaux sociaux ou sur les événements publics comme je suis dans la vie. Dans ce milieu, la communication joue un rôle énorme. Certains peuvent trouver ça dommage mais c’est comme ça. J’ai des super potes qui sont d’excellents grimpeurs mais ne parviennent pas, derrière, à soigner leur image."
La communication, c’est donc le seul moyen d’être un grimpeur outdoor pro aujourd’hui ?
"Il faut bien sûr maîtriser son sujet et mener à bien ses défis. Mais, avec l’expérience, je me rends compte que les gens parviennent à s’identifier à ma personnalité, mes défis, mes échecs ou mes objectifs. Je suis le plus franc et honnête possible par rapport à ce que je vis dans la montagne, comme par exemple mes relations avec mes partenaires de grimpe. Il ne faut pas croire que tout est rose sur une paroi. Des fois, c’est humainement très dur, très fort, voire ça ne marche pas du tout. Une expédition peut très mal se passer en raison de relations humaines très difficiles comme cela peut être extraordinaire, toujours pour les mêmes raisons. Ce sont des choses que tout le monde vit dans sa vie, à la maison, en famille ou au travail. Moi, je vis ça dans la montagne, avec en plus les dimensions d’aventure et de performance. Des éléments que je tente de partager, avec mon regard, mon vécu."
Son plus grand défi : dix-neuf jours pour atteindre un sommet
Grimper des parois, les plus raides possible et qui peuvent atteindre jusqu’à plus de 1.000 mètres de dénivelé positif, est devenu la spécialité de Siebe Vanhee. Un effort d’une extrême solitude. Mais pas toujours. Début 2017, le Louvaniste gravit l’El Regalo de Mwono en Patagonie, accompagné des Belges Sean Villanueva et Nicolas Favresse. "Assurément ma plus grosse fierté en tant que grimpeur jusqu’ici."
Le trio fut le premier au monde à conquérir cette paroi chilienne en escalade libre, qui impose aux grimpeurs de progresser sans utiliser de matériel pour s’aider, cordes et protections ne servant qu’en cas de chute. "Sur la plupart de mes défis, je passe plusieurs jours sur une même paroi. Dans le cas de l’El Regalo de Mwono, nous sommes restés dix-neuf jours ensemble pour mener ce défi à bien. Si la grimpe en montagne peut sembler égoïste comme discipline, voire égocentrique, là tu sens vraiment que tu n’es pas seul. C’est très fort humainement. Certains jours, voire plusieurs jours d’affilée, tu as l’impression que tu n’as rien foutu. (sic) Mais tu travailles pour les autres, tu accroches les sacs, tu assures tes partenaires dans le froid pendant plusieurs heures avant que ce ne soit ton tour. Dans ces moments-là, c’est vraiment un sport d’équipe."
Une expédition mémorable, qui faisait suite à d’autres défis au Groenland (2014 et 2016), à Madagascar (2015) ou encore en Sibérie (2015), au Vietnam (2013) et au Venezuela (2012) : "Nous n’avions prévu de la nourriture que pour quinze jours, mais il était hors de question de redescendre. Vu la météo horrible et les difficultés techniques, cette ascension libre fut sans conteste la plus dure que j’aie jamais vécue."
Son rythme de vie : "Je ne suis jamais en Belgique"
La Belgique est le pays de Siebe Vanhee. Mais rares sont, ces dernières années, les jours qu’il y passe. “J’aime à revenir au pays, pour me reposer, pour voir la famille, les amis ou travailler sur mes projets.” La grimpe n’est cependant pas la Formule 1 et le Louvaniste ne passe pas sa vie dans les avions. “Je n’aime pas aller quelque part pour seulement quelques jours. Ce n’est pas dans ma philosophie. Quand je choisis un lieu, j’aime y rester deux ou trois mois. En Patagonie, en 2017, nous avons pris près de trois semaines pour mener à bien notre expédition mais j’y suis encore resté plus d’un mois, pour découvrir et développer ma grimpe. Qui plus est, ma discipline, à l’inverse d’autres, a l’avantage de pouvoir être pratiquée toute l’année. Et je ne m’en prive pas.”