Les sept grands moments olympiques d'Eddy De Smedt
Juste avant sa passation de pouvoir avec Olav Spahl, nous avons demandé à Eddy De Smedt, figure incontournable du sport belge présent à Lanzarote lors du stade du Team Belgium, de nous raconter les 7 titres olympiques vécus et ce qu’ils représentent à ses yeux.
- Publié le 19-11-2018 à 17h33
- Mis à jour le 19-11-2018 à 18h03
Juste avant sa passation de pouvoir avec Olav Spahl, nous avons demandé à Eddy De Smedt, figure incontournable du sport belge présent à Lanzarote lors du stade du Team Belgium, de nous raconter les 7 titres olympiques vécus et ce qu’ils représentent à ses yeux.
Il a connu, depuis Séoul 1988 (année de ses premiers Jeux avec notre délégation), pas moins de 32 médailles olympiques dont 30 ont été conquises en été. Avant de passer définitivement la main à la fin de ce mois, Eddy De Smedt, homme clé pour le sport belge ces trente dernières années, a accepté pour nous de passer en revue les sept titres olympiques qu’il a vécus au plus près des athlètes et de leur entourage. Sept moments forts revisités avec une énorme émotion…
Frederik Deburghgraeve (Atlanta 1996 - natation)
"Fredje était coaché par Ronald Gaastra mais il était surtout entraîné par son père Freddy à Roulers. Je leur ai rendu souvent visite et j’y ai découvert un environnement familial qui lui correspondait parfaitement : il nageait avec un jeune étudiant de l’école des sports lui servant de sparring partner, il faisait de la muscu ou du squash avec des amis, et son père assurait le suivi auprès du coach. C’est dans ce contexte que sont nés les rêves les plus fous. Après de grands championnats d’Europe en 1995, à Vienne, on savait qu’un résultat historique était tout à fait possible. Je me rappelle de la préparation à Tuscaloosa : Hans Bijlemans, Stefaan Maene et Frederic Tonus, qu’on espérait aligner avec lui en relais, ont joué un rôle important dans cette phase finale. Fredje était très relâché et toutes les conditions étaient réunies pour faire une grande performance. Et de fait, la série a été formidable avec son record du monde du 100m brasse. Et que dire de cette finale ? Un chef-d’œuvre ! J’en ai eu le souffle coupé. Le bonheur était complet pour lui, même si je reste convaincu qu’en 200m aussi, il avait le potentiel pour gagner aussi. Mais la décompression avait fait son œuvre…" Ulla Werbrouck (Atlanta 1996 - Judo)
"Ulla était une fille vraiment douée, elle avait une technique hors pair et, après un contretemps l’année précédente au Japon, elle a relevé le pari des JO avec brio. J’étais présent tout près d’elle lorsqu’elle a sauté dans les bras de Jean-Marie Dedecker, cela reste un moment inoubliable. Mais je n’oublie pas que le judo a rencontré un succès bien plus large avec 4 médailles à Atlanta ! Le point de départ fut le raté des championnats du monde de Barcelone en 1991. Jean-Marie Dedecker, très nerveux, avait d’abord jeté mes notes puis a fini par me demander : ‘comment va-t-on faire ?’ Vu l’évolution de la discipline, il fallait ajouter la quantité à la qualité d’entraînement. Il a accepté, avec notre soutien, de s’occuper du judo de manière plus professionnelle, d’abord en fonction des JO de Barcelone qui n’ont pas fonctionné aussi bien qu’espéré. On a alors introduit des entraînements journaliers et davantage de structure. Dedecker était un high performance manager avant la lettre. On discutait de tout, des programmes, du marketing, de la politique sportive : il avait des idées sur tout. Il y a eu des discussions très vives, frontales parfois, mais on ressortait toujours avec des solutions concrètes. Cette collaboration unique a débouché sur une culture de la performance qui a payé à Atlanta où la Belgique était représentée dans beaucoup de catégories. Cet épisode m’a appris beaucoup de choses sur mon métier et je suis heureux d’avoir été impliqué dans ce succès."
Justine Henin (Athènes 2004 - Tennis)
"C’est une médaille d’or très spéciale. Justine avait envie de faire les Jeux mais ses problèmes physiques ont longtemps laissé planer le doute sur sa participation. Elle ne savait quasiment plus s’entraîner un mois et demi avant la compétition. C’était dur pour elle et cela se voyait. Heureusement, j’avais un contact très direct avec Carlos Rodriguez. Et alors que j’étais à Athènes, broyant du noir entre la disparition de mon épouse quelques mois plus tôt et les différents problèmes pratiques à régler sur place, je me souviens parfaitement de cet appel téléphonique de Carlos. Il m’a dit : ‘Justine va faire une conférence de presse demain mais je veux t’informer d’abord’ . Et là, je m’attends à ce qu’il m’annonce une mauvaise nouvelle. Mais il me dit : ‘Eddy, elle joue !’ J’en suis encore ému aujourd’hui en en reparlant. (Il s’interrompt) On a réglé les problèmes logistiques en un temps record, Justine acceptant de loger au Village. Je l’ai alors vue monter en puissance au fil des entraînements, puis au fil des matches et tout le monde se souvient de cette demi-finale mémorable contre la Russe Myskina, puis de la finale tout en maîtrise contre Mauresmo. Un grand moment de sport auquel je dois associer les remerciements chaleureux adressés a posteriori par Carlos à l’attention du staff du COIB, qu’il avait tenu à réunir à l’issue de la victoire de son élève. Quelle émotion !"
Relais 4x100m F (2008 - athlétisme)
"J’ai toujours autant de plaisir à revoir cette finale olympique qui, pour moi, est sans aucun doute la course la plus aboutie de nos relayeuses. Quand j’y repense, je ne vois vraiment pas ce qu’elles auraient pu faire de mieux ce jour-là au Nid d’Oiseau. Chacune, dans son rôle, a donné le meilleur au moment où il le fallait. L’excellent départ pris par Olivia Borlée, la transmission à Hanna Mariën pour une très belle ligne droite, le virage somptueux d’Elodie Ouedraogo - peut-être le meilleur jamais réussi - et Kim Gevaert, dans une forme étincelante, qui termine le travail de l’équipe de brillante façon. C’était une symphonie parfaite qui a permis de débloquer sur le tard notre compteur de médailles et constituait donc un réel soulagement. Par ailleurs, je me sens privilégié d’avoir pu, ensuite, partager des moments avec nos représentantes en marge de la cérémonie protocolaire et… du contrôle antidopage (NdlR : lequel a permis, des années plus tard, de déclasser la Russie et de replacer l’équipe belge sur la plus haute marche du podium) . Mais aussi d’avoir pu assister, en 2001, à la création de ce projet fantastique qui a malheureusement été trop vite abandonné."
Tia Hellebaut (athlétisme - 2008)
"Évoquer le titre olympique de Tia Hellebaut me renvoie instantanément à cette discussion que j’ai eue quelques années plus tôt avec Wim Vandeven, son entraîneur, et elle. Le débat portait sur la volonté, voire la nécessité de voir Tia passer des épreuves combinées au saut en hauteur. Un échange franc, direct, au cours duquel Wim m’a dit : ‘grâce à l’heptathlon, je vais renforcer ses qualités pour en faire une sauteuse en hauteur’ . Avec 1,95m, on était toujours finaliste olympique et, avec quelques centimètres de plus, on pouvait jouer le podium. Les choses se sont faites progressivement, avec d’abord une 12e place aux JO 2004 à Athènes. À l’issue de cette finale, j’ai bu une coupe de champagne avec Wim Vandeven et Rudi Diels, le coach du relais 4x100m qui a terminé sixième. Pour les féliciter du travail déjà accompli et continuer à les motiver pour un avenir qui s’est, en définitive, révélé radieux grâce aux leçons que nous avions tirées durant tout ce processus. Les coaches, comme les athlètes, ont besoin d’être soutenus. J’étais dans le stade, au milieu des autres membres du staff, lorsque Tia a remporté ce concours inoubliable. Je me souviens avoir dit qu’elle allait gagner l’or lorsqu’elle a pris la tête du concours. Son envolée à 2,05 m restera dans l’histoire tout comme le coup de poker tactique - une impasse - qui s’en est suivi. Je suis fier du chemin qu’elle a accompli…"
Greg Van Avermaet (2016 - cyclisme)
"Bien sûr, c’est une médaille particulière dans la mesure où les cyclistes ne sont pas des sportifs que l’on voit beaucoup puisqu’ils roulent pour une équipe professionnelle tout au long de la saison. Mais elle l’est aussi en raison des antécédents familiaux de Greg, dont le père avait pris part à la course sur route aux Jeux Olympiques de Moscou en 1980. J’avais expliqué très clairement, avant le départ, au moment d’esquisser des prévisions sur nos chances de médailles, que le parcours carioca ne correspondait guère aux qualités de nos coureurs et qu’en cyclisme, c’était toujours un peu une loterie. Mais j’avais aussi ajouté que si quelqu’un, dans nos rangs, pouvait le faire, c’était Greg Van Avermaet. Et je ne m’étais pas trompé. Je le sentais particulièrement motivé par cet événement, qui suscitait chez lui beaucoup d’envie et d’ambition. Il nous a complètement bluffés ce jour-là et, si j’ai suivi son arrivée devant un écran de télévision, je n’en étais pas moins heureux puisque j’ai sauté dans les bras de mes collègues. C’était un événement très important pour l’ensemble de la délégation. Parce qu’il nous a aussi permis, et cela beaucoup de gens l’ont oublié, de nous relever rapidement d’une grosse déception avec l’élimination précoce de Charline Van Snick, en judo, le même jour."
Nafissatou Thiam (2016 - athlétisme)
"Tous ceux qui étaient présents au stade olympique pendant ces deux journées d’anthologie ont le sentiment d’avoir assisté à la naissance d’une immense championne. Pour être tout à fait honnête, j’attendais Nafi aux alentours de la cinquième place, ce qui aurait déjà constitué un très bon résultat vu les circonstances et sa blessure au coude. Un frisson m’a parcouru l’échine lorsqu’elle a semblé proche de l’élimination dès la première épreuve, le 100m haies. Heureusement il n’en fut rien ! Elle a livré une première journée très solide qui a épaté bon nombre d’observateurs, même dans le clan belge, et on a commencé à se dire alors qu’un exploit était envisageable. Lors du concours de la longueur, j’ai ensuite assisté de près aux échanges qu’elle a eus avec Roger Lespagnard. Ce dernier a su trouver les mots justes pour la garder dans le concours et cela reste, pour moi, un des plus grands moments de coaching que j’ai vécus. J’ai, d’ailleurs, demandé à Roger de raconter ce moment précis lors de réunions de travail avec d’autres coaches. La suite de l’histoire de cette finale est connue : Nafi qui s’arrache au premier essai au javelot, le podium qui lui tend les bras, et un 800m inouï. Ce qui m’a frappé au cours de ces deux journées, c’est l’impressionnante sérénité dégagée par notre athlète. Son destin s’accomplissait, tout simplement…"