Les coachs Johan Walem, Shane McLeod et Adam Commens se livrent: "Le coach parfait ? Cette personne n’existe pas"
Shane McLeod, Adam Commens et Johan Walem, trois entraîneurs de haut niveau, débattent de leur job.
- Publié le 06-06-2019 à 07h01
- Mis à jour le 06-06-2019 à 14h13
Shane McLeod, Adam Commens et Johan Walem, trois entraîneurs de haut niveau, débattent de leur job. C’est l’histoire d’un Belge, d’un Néo-Zélandais et d’un Australien accoudés à une table. Pas de chute humoristique au final mais un débat d’idées au sujet du coaching de haut niveau.
Conférenciers du COIB dans le cadre de l’Olympic Coaching Platform, Johan Walem (coach de l’équipe nationale U21 de football), Shane McLeod (entraîneur de l’équipe nationale masculine de hockey) et Adam Commens (high performance director de la fédé de hockey et ancien sélectionneur de l’équipe masculine belge) ont distillé, dans l’une des salles du stade d’Anderlecht, leur savoir aux autres coachs des équipes nationales belges et même à certains de disciplines individuelles.
L’occasion était idéale de les rassembler et de parcourir avec eux les sujets les plus importants de leur métier ainsi que son évolution.
Créer un environnement de haut niveau
Johan débute dans quelques jours son plus grand tournoi en tant que coach. Quelles sont les clés pour réussir dans un tel tournoi ?
Shane McLeod : "Une large partie du travail est déjà effectuée avant le tournoi. Les objectifs sont fixés, les joueurs de Johan savent ce qu’ils doivent faire. Ils doivent viser cette qualification pour les JO. Après, il faut être préparé aux adversaires, à leurs forces et être certain que tout le monde comprend le système de jeu. Partir avec un esprit reposé est tout aussi important. Il est trop facile d’être pris par l’enjeu et de sous-performer par la suite."
Johan Walem : "Nous devons leur permettre de souffler. Tout est clair, ils savent tout sur les adversaires et notre jeu. Je tente de trouver la bonne motivation. S’ils l’ajoutent à leurs qualités, ils savent réussir quelque chose."
Adam Commens : "Johan soulève un point intéressant : les laisser jouer sur leurs qualités. Shane réussit très bien à le faire avec les Red Lions. Il a créé une ambiance qui leur permet de faire ce qu’ils doivent au bon moment."
L’environnement et la tête sont donc plus importants que la tactique quand on rentre dans un grand tournoi…
S.M. : "C’est un package complet. On passe du temps sur la tactique au fur et à mesure qu’on se rapproche de l’échéance. Surtout en vue du premier match, car nous n’avons plus le temps par la suite. Mais il faut vraiment accentuer la confiance engrangée par les joueurs sans les effrayer pour autant."
J.W. : "Le meilleur moyen est de ne pas tout changer, faire ce qu’on maîtrise. Chaque opposant est différent mais il ne faut pas gaver les joueurs d’informations. Donner deux ou trois consignes spécifiques, de petits changements, qui doivent être tenus pour faire la différence. Si tu leur donnes 15 tâches, ils vont être noyés."
S.M. : "Il faut que tout soit naturel durant le tournoi. Tout est pensé, ils n’ont qu’à jouer."
J.W. : "Et profiter en étant sur le terrain."
À quel point est-ce difficile de construire cette atmosphère pour que les joueurs soient dans les meilleures conditions ?
A.C. : "Créer un environnement, ça prend des mois voire plus mais cela leur permet d’être efficaces au moment voulu."
S.M. : "Certains éléments sont presque scientifiques. Les JO, par exemple, se vivent au rythme d’un match tous les deux jours. Nous le savons à l’avance et nous partons de là pour travailler à l’envers et répéter cet enchaînement physique des semaines à l’avance. Leur corps s’adapte. Pour ce qui est de la tactique, il faut parvenir à mettre en place un projet auquel tout le monde adhère et dans lequel chacun peut tirer le meilleur de son potentiel."
A.C. : "Le niveau de l’équipe a une grosse influence sur la méthode utilisée. Les Red Lions et les Red Panthers sont deux équipes à des stades différents. Les deux entraîneurs doivent avoir deux approches très différentes. Chez les filles, il y a l’objectif de se rapprocher du sommet et l’atteindre. Les hommes doivent s’y maintenir. Cela change toute la philosophie de travail."
J.W. : "C’est très différent chez nous. Nous n’avons pas l’habitude des tournois. Nous devrons être très attentifs à l’énergie et à ne pas trop en gaspiller. Nous sortons de dix jours très lourds. J’ai dû répéter à mes joueurs que ce n’est pas parce qu’ils sont en fin de saison qu’ils sont prêts. Au contraire, ils sont un peu fatigués. Nous devons refaire une préparation pour être au top au premier match."
S’inspirer de son passé de sportif
À quel point votre passé au plus haut niveau de votre sport vous aide-t-il dans votre travail ?
S.M. : "Le jeu a tellement changé que je suis presque embarrassé de mon passé de joueur. Reconnaître que je ne suis plus capable de jouer est peut-être la clé de ma réussite en tant que coach." (rires)
A.C. : "Cela peut être un avantage de par l’esprit ou les valeurs acquises en tant que joueur. Je sais ce qui fonctionnait avec moi comme joueur. Et quand tu arrives dans le coaching, tu vois que ce n’est pas comme ça que ça marche. (rires) Il faut comprendre comment aborder les joueurs de manière individuelle. Et peut-être est-ce plus facile en n’étant pas un ancien international car tu poses plus de questions aux joueurs et gardes l’esprit plus ouvert. Désormais, vu le niveau des Red Lions, on s’inspire d’eux et non l’inverse."
J.W. : "Mon passé me permet d’intégrer comment pensent les joueurs et des choses du genre. Ce n’est toutefois plus la même chose qu’il y a dix ou quinze ans mais une part de moi sait que je sens mieux le terrain grâce à ce que j’ai vécu. Je travaille beaucoup au feeling. Parfois, je change toute mon analyse juste en voyant un joueur sur le terrain et cela vient de ma carrière. Les analyses sont, par contre, tellement plus poussées qu’avant."
Les chiffres ont tout changé
Justement, les statistiques sont devenues une clé dans le monde du sport…
S.M. : "Je n’en retire que le meilleur, ce que je sais utiliser. Les chiffres pour les chiffres, c’est contre-productif. Nous avons codé notre analyse vidéo afin de n’avoir que les stats qui m’intéressent et qui suivent ma façon de penser le hockey. J’ai une version ‘stats pour les nuls’ qui m’est donnée. (rires) Adam a également besoin de ces données car il doit savoir si nous gagnons du terrain sur les autres ou non."
A.C. : "Le problème du résultat est qu’il peut masquer la réelle progression d’une équipe. Ce que nous voulons faire est d’avoir une vue globale grâce aux analyses statistiques. Comme si on survolait les données avec un hélicoptère pour chiffrer notre progrès et voir où nous améliorer. Après chaque tournoi, nous tirons également un bilan via ces chiffres."
J.W. : "C’est important pour moi mais aussi pour les joueurs mais c’est parfois trop. Certains entraîneurs ne pensent que via les statistiques. Il faut en prendre le meilleur pour le montrer aux joueurs. Lors de la préparation physique, les données sont très importantes pour jauger l’évolution physique."
Dans le monde du football, on se concentre souvent sur la distance parcourue. N’est-ce pas une ineptie vu qu’un joueur peut avoir couru 12 kilomètres dans le vent et un autre 5 de manière efficace ?
J.W. : "Ces chiffres ne signifient rien. En tant que coach, on ne prend pas cela en considération. Courir pour courir ne sert à rien."
A.C. : "Sauf pour se rendre compte de la capacité physique des joueurs. Le coach vient ensuite leur expliquer comment être efficace dans cette débauche d’énergie."
Avoir un staff de confiance
Est-ce possible de résumer le coach idéal à quelques critères ?
S.M. : "Cette personne n’existe pas. C’est une combinaison de plusieurs personnes. Le staff parfait existe mais pas le coach parfait. Le staff peut couvrir tous les besoins d’un groupe mais pas une seule personne."
A.C. : "Difficile de ne pas être d’accord avec Shane. Chacun a sa vision du coach qu’il veut être. Chacun a sa conception du jeu mais tant d’aspects entrent en ligne de compte : le physique, la psychologie, etc. Chacun possède un ou deux domaines dans lesquels il excelle et se concentre là-dessus en sachant où sont ses faiblesses. Les bons entraîneurs vont donc déléguer ces domaines à des personnes de confiance."
J.W. : "Il faut créer un staff qui complète bien l’entraîneur principal. Le succès d’un coach est de savoir s’entourer de personnes à qui on peut confier des responsabilités sans avoir peur. Nous avons mis ça en place chez les Diablotins car j’ai appris de mes erreurs du passé. Le problème dans le football est qu’on ne peut pas toujours amener les personnes en qui on a confiance et il faut à chaque fois recréer un nouveau lien. Mais quoi qu’il en soit, il faut de l’aide. Le succès ne vient pas d’un coach seul."
Est-on coach ou se développe-t-on en tant que tel ?
A.C. : "Les qualités se développent mais certains ont un truc en plus. J’ai vu des entraîneurs se transformer au fil des années en s’améliorant sans cesse. Pour cela, il faut être très ouvert d’esprit et se remettre en question. Trop souvent, ceux qui ont un talent naturel ou du charisme pensent que ça leur suffit à réussir. Peut-être cela fonctionne-t-il un certain temps mais rapidement, ils stagnent. Savoir où on en est dans son cheminement est le meilleur moyen de se développer."
J.W. : "Cela dépend aussi des opportunités. J’ai pu travailler avec les jeunes d’Anderlecht et les mettre sur la voie du professionnalisme. Sans cela, je n’aurais pas évolué de la même manière."
S.M : "Mais la base de tout, c’est l’amour du jeu. C’est un job qui ne s’arrête jamais. Tu te réveilles parfois en ayant une idée que tu couches sur le papier. C’est très prenant et il n’est pas possible de tenir sans être mené par la passion. Les meilleurs coachs n’ont pas toujours les meilleurs joueurs. Un génie va de A à Z directement tandis qu’un autre passe par des étapes qui lui permettent ensuite de comprendre ce que vit un joueur."
Une nouvelle génération et de l’argent
Vous soulignez l’importance de comprendre le fonctionnement des joueurs. N’est-ce pas devenu une tâche de plus en plus difficile ?
S.M. : "Une nouvelle génération arrive. Elle est plus investie et ça change aussi notre manière d’entraîner."
J.W. : "C’est criant dans le football. Prenez deux joueurs qui ont cinq ans de différence, ils ne pensent pas de la même manière tant tout change à une vitesse folle."
A.C. : "Il est important de les comprendre, de saisir les différences entre les générations. Je généralise mais les jeunes de l’époque actuelle veulent tout très rapidement. C’est leur manière d’être et il faut faire avec."
J.W. : "Ils n’aiment pas que je dise ça, mais il y a trop d’argent dans le football et également chez les jeunes. Notre job est de les maintenir les pieds sur terre, leur inculquer des valeurs et c’est de plus en plus complexe avec l’argent."
S.M. : "Le hockey évolue aussi. Il y a plus d’argent en jeu mais nous en sommes à un stade parfait : avec des salaires pour vivre dans un certain confort mais sans devenir fou."