Jean-Michel Saive vu par sa maman pour ses 50 ans: “Pas de ping à cause de la fumée des cigarettes”
Jeannine Lonay retrace avec émotion et passion le parcours incroyable de son fils…
- Publié le 15-11-2019 à 12h25
- Mis à jour le 15-11-2019 à 15h28
Jeannine Lonay retrace avec émotion et passion le parcours incroyable de son fils… Ce dimanche, une icône du sport belge fêtera ses 50 ans. C’est en effet le 17 novembre 1969 qu’est né Jean-Michel Saive. "Jean-Mi" pour le commun des mortels. Un phénomène qui, en devenant numéro 1 mondial au nez et à la barbe des meilleurs Européens et de l’armada asiatique, en décrochant un titre de champion d’Europe et un de vice-champion du monde, tout en participant à sept olympiades, a fait sortir le tennis de table de sa confidentialité en Belgique. Un athlète qui a fait vibrer toute la Belgique quand les exploits de notre équipe nationale et de son club de La Villette Charleroi avaient les honneurs des chaînes de télévision tout en remplissant les salles. Un enfant, puis un homme qui a rendu fière sa maman, Jeannine Lonay qui, en toute simplicité et avec beaucoup de gentillesse, a pris le temps autour d’un café et de quelques biscuits de nous raconter l’histoire de Jean-Mi.
Jeannine, pouvez-vous nous expliquer quand et comment Jean-Michel a commencé le tennis de table ?
"Jean-Michel et son frère Philippe ont commencé le tennis de table en cachette à la maison sous la haute direction de mon frère. Un adolescent qui les surveillait quand on était absent. Il a laissé Jean-Mi et Philippe jouer sur la table de la salle à manger. Mais je ne l’ai pas vu et su directement. Ma table était protégée par un bulgomme et une nappe. Je les retirais une fois par an pour cirer ma table. Et ce jour-là, j’ai vu qu’elle était abîmée avec des coups un peu partout. J’ai fait passer mes enfants à l’interrogatoire. Ils m’ont alors avoué qu’ils jouaient sur la table de la salle à manger en mettant des livres pour faire office de filet."
Vous avez alors décidé de les inscrire dans un club ?
"Au départ, je ne voulais pas qu’ils jouent au tennis de table. Je préférais qu’ils pratiquent le football. Pourquoi ? Comme joueuse (NdlR : Jeannine a été classée 20e Belge et Jean-Paul, le papa, 10e) j’ai passé de nombreuses années dans les salles de ping qui étaient, à l’époque, enfumées à cause des cigarettes. Ceux qui jouent aujourd’hui ne se rendent pas compte qu’on a commencé dans des arrière-salles de cafés. Je ne voulais pas que mes gosses traînent dans une telle atmosphère. C’est pour cela qu’ils ont commencé par le football."
Mais le virus du ping était bien présent chez Jean-Michel ?
"Le problème au football, c’est que les coupes allaient à la buvette du club et pas dans la chambre de Jean-Michel. Ce qui ne lui convenait pas. Et donc il voulait absolument jouer au ping. J’ai refusé pendant un certain temps mais il était tellement malheureux que j’ai craqué. Je pensais qu’il jouerait un an ou deux et que cela se calmerait ensuite. Mais le hasard a voulu qu’il soit sélectionné pour une compétition chez les minimes et il a remporté le tournoi devant des joueurs des pays de l’Est. À l’époque, cela voulait dire quelque chose, que son niveau était déjà bon. Et donc on a tout mis en place pour qu’il puisse pratiquer sa discipline dans les meilleures conditions. On n’a pas voulu lui simplifier la vie non plus. On a décidé de faire directement des tournois nationaux où la concurrence était plus grande que dans des tournois provinciaux. Il a très vite grimpé les échelons en passant de non classé à D2 puis C2 puis B2 puis A3."
Quand avez-vous pensé qu’il pourrait faire carrière ?
"Vous savez, sa réussite, c’est du travail, de l’obstination, de l’envie, du goût. Il y a aussi un peu les gènes (rires). Mais chez Jean-Michel c’était de l’acharnement. Au départ, je n’ai jamais pensé qu’il puisse faire une carrière internationale. Il a été champion de Belgique minimes, cadets et juniors. Et quand il évoluait dans cette dernière catégorie, il était déjà repris en équipe nationale. Donc là, cela devenait sérieux. Quand il a eu terminé ses humanités à l’âge de 17 ans et qu’il était en passe de pouvoir participer à ses premiers Jeux, le comité olympique nous a dit que ce serait bien qu’il fasse son service militaire pour pouvoir s’entraîner. On s’est dit : pourquoi pas prendre une année sabbatique scolaire ? Cela passe, cela passe ; cela ne passe pas, ce n’est pas grave, il continue ses études. Finalement, c’est passé."
Que représente pour lui ce cap des 50 ans ?
"Je pense que pour Jean-Mi, le cap des 50 ans, c’est celui d’un homme qui voit qu’il ne sait plus faire ceci ou cela. Cela doit bien l’ennuyer d’avoir 50 ans."
“Maman, je veux être plus connu qu’Eddy Merckx”
Voilà l’objectif que s’était fixé Jean-Michel Saive quand il était enfant.
Si tout au long de la carrière de son fils, Jeannine a bien pris conscience de la popularité de son Jean-Mi, elle a pu remarquer celle-ci, une dernière fois en mai dernier, lors du dernier match de la carrière du pongiste.
“Lors de cette rencontre à Auderghem, je me suis rendu compte de ce que Jean-Michel représentait vraiment en Belgique. On ne s’attendait pas à un tel engouement. Mais je dois vous avouer que devenir connu comme cela, c’était un de ses buts. Quand il était petit, je lui ai demandé : ‘C’est quoi ton objectif ?’ Il s’est mis à genoux devant l’écran de télévision et il m’a dit : ‘Être plus connu qu’Eddy Merckx.’ J’ai répondu : ‘Ça va, mon gamin, c’est bien.’ Car dans la vie, il faut se mettre des barres infranchissables pour progresser. Cela prouvait aussi toute son envie de réussir dans le ping. Et finalement, est-il plus connu que Merckx ? Peut-être pas en Belgique et dans d’autres pays européens, mais en Asie je pense que oui ! Demandez en Chine ou en Indonésie qui est le plus connu . Jean-Mi a quand même été numéro 1 mondial dans une discipline mondiale.”
Une réussite qui peut aussi s’expliquer par l’entourage familial dans lequel Jean-Michel Saive a baigné tout au long de sa jeunesse.
“Il y a des parents qui vivent pour eux et il y a des parents qui vivent pour leurs enfants. En ce qui nous concerne, cela ne nous dérangeait pas de nous investir dans leur sport. C’était le même hobby que nous. Jean-Michel et Philippe pratiquaient, en plus, le même sport. Donc le sacrifice n’était pas si grand. Par contre, le sacrifice a été financier avec les kilomètres, les inscriptions, etc. Quand Jean-Michel a eu 13 ans, on est partis en Allemagne, à Jülich, pour qu’il puisse s’entraîner et jouer à un bon niveau. Je me demandais parfois si cela n’aurait pas été bien qu’on prenne la nationalité allemande pour qu’il puisse intégrer les centres d’entraînement des sportifs de haut niveau dans ce pays. Mais un entraîneur allemand m’a dit : ‘Ne faites jamais cela. Car même si vous roulez beaucoup de kilomètres et que venir à Jülich vous prend du temps, votre fils ne quitte pas son cocon familial et dort chaque soir dans son lit. C’est un luxe incroyable.’”
Les premiers bons résultats décrochés ont aussi donné des ailes à Jean-Mi dans son envie de réussir une belle carrière. “La reconnaissance médiatique a joué un rôle dans son désir de progresser. Avoir sa tête dans le journal, cela lui plaisait. C’est de la championnite aiguë. Jean-Mi ne connaît pas le mot ‘abandon’. Je l’ai vu participer à des compétitions en étant malade ou un peu blessé. Se retirer, ce n’est pas dans sa mentalité.”
“Cela a dû être difficile pour… Philippe”
Chez les Saive, il y a Jean-Michel mais aussi Philippe, qui a longtemps vécu dans l’ombre de son grand frère malgré le fait qu’il a occupé pendant une décennie une place parmi les 100 meilleurs joueurs mondiaux.
“Ce sont des frères qui se chamaillaient comme des gosses à la maison. Cela a dû être difficile pour Philippe. Un exemple simple peut expliquer ce constat. Il est arrivé à Philippe d’aller ouvrir la porte d’entrée de la maison et la personne ne le regardait même pas et demandait : ‘C’est ici la maison du champion ?’ en cherchant Jean-Michel. Chez les jeunes, Philippe se farcissait son frère deux ans sur trois dans la même catégorie. Et plus tard, quand vous avez dans votre voiture les numéros 1 et 2 belges, c’était Jean qui rit et Jean qui pleure. Comme parents, on ne pouvait pas être heureux à 100 % pour celui qui avait gagné car l’autre avait perdu. C’était dramatique. Philippe a toujours eu son grand frère devant lui. Cela ne devait pas être facile pour lui. Lors du mariage de Jean-Mi, Philippe a commencé son discours par : ‘Grand tu l’étais déjà quand j’étais petit.’Ils sont complices mais cela reste des rivaux.”
Vice-champion du monde en 1993 : “Il pleurait dans sa douche”
L’une des plus grandes déceptions dans la carrière de Jean-Michel Saive, c’est de ne jamais avoir décroché un titre de champion du monde. Ce qui a rappelé un bien triste souvenir à sa maman.
“Au championnat du monde en 1993 à Göteborg. Après la compétition, tout le monde fêtait la médaille d’argent de Jean-Michel car c’était quand même un très beau résultat. Mais je ne retrouvais pas mon fils, ni dans la chambre ni dans les couloirs de l’hôtel. Il s’était caché tout seul dans la douche. Il pleurait. Dans sa tête, il avait raté son championnat du monde en perdant en finale contre Jean-Philippe Gatien.”
“Il aurait voulu camper…”
Avec les obligations liées à sa carrière dès son adolescence, Jean-Mi a loupé des expériences : “Un de ses regrets, c’est de ne jamais avoir campé avec ses copains. Lors des congés, on partait en compétitions. Et quand il a eu le temps de le faire, il a trouvé que les hôtels étaient plus douillets. Par contre, à Taïwan, il a dormi sur des planches avec des araignées et des scorpions autour de lui.”
“Un éternel gamin”
Vice-président du COIB, Jean-Michel Saive veut maintenant œuvrer pour le bien du sport belge.
“C’est un éternel gamin. Quand il est content de quelque chose, il saute. Il voit Nafi Thiam gagner une épreuve, il saute. Il va voir un Belge faire un exploit, il saute. C’est un gosse. C’est pour cela qu’il est tellement investi dans le sport belge. Il veut faire avancer le schmilblick pour aider les sportifs.”