Nafi Thiam fait le bilan de l'année: "Je ne peux pas me reposer sur les bons résultats de 2018"
Notre athlète n° 1 tire les enseignements de sa saison et se projette vers 2019.
- Publié le 29-12-2018 à 07h12
- Mis à jour le 29-12-2018 à 09h10
Notre athlète n° 1 tire les enseignements de sa saison et se projette vers 2019. C’est à Stellenbosch, en Afrique du Sud, où elle se trouve actuellement en stage, que Nafi Thiam va refermer le chapitre d’une année 2018 à nouveau très fructueuse. Quelques jours avant son départ, l’heptathlonienne a dressé pour nous le bilan de sa saison et s’est projetée vers une année 2019 pleine de promesses.
Nafi, avec le titre de championne d’Europe remporté cette année, vous avez renforcé votre présence au sommet de l’heptathlon. Cette régularité est impressionnante…
"Oui, c’est vrai que j’ai connu trois belles années en 2016, avec le titre olympique, puis en 2017 avec mes 7.013 points à Götzis et le titre mondial, et à présent en 2018 avec le championnat d’Europe. J’en profite tant que ça marche bien pour moi tout en sachant qu’en sport, les choses peuvent changer très vite. Une carrière est faite de hauts et de bas et, pour moi, les bas doivent encore arriver. Il y a des choses qu’on ne peut pas contrôler…"
Que reste-t-il, aujourd’hui, de cet heptathlon des championnats d’Europe de Berlin qui s’est révélé assez compliqué ?
"Tout le monde a pu se rendre compte que c’était une compétition difficile - je ne dirais toutefois pas que c’était la plus difficile - à l’issue de laquelle j’éprouve la satisfaction de n’avoir rien lâché. La victoire n’est pas venue seule, c’est clair, les performances n’ont pas toujours suivi comme dans le concours du saut en hauteur par exemple, mais je me suis donnée à fond et, grâce à l’expérience que j’ai acquise, j’ai pu me rattraper dans d’autres épreuves. Les difficultés que j’ai rencontrées dans le passé, à l’entraînement et en compétition, m’ont permis d’évoluer en tant qu’athlète. Et pour moi, c’est la saison dans son ensemble qui a été bonne. Au-delà des titres et des rankings, j’ai battu trois records personnels, j’ai fait deux heptathlons à plus de 6 800 points dont le deuxième total de ma carrière. C’était une très, très belle année. Mais je ne peux pas me reposer sur les belles choses qui sont arrivées l’été dernier. Une nouvelle année commence, elle va être très longue et il faut se concentrer sur ce qui arrive maintenant."
Précisément, comment allez-vous aborder la saison 2019 ?
"La planification, c’est Roger (Lespagnard) qui s’en occupe. Ce qui est sûr, c’est qu’on va prévoir des périodes de repos, on va lever le pied à certains moments, notamment après Götzis. C’est une saison très longue, avec des championnats du monde programmés fin septembre, et c’est important de ne pas arriver à Doha complètement grillé."
Ce calendrier un peu particulier augmente-t-il vos chances de participer à la saison en salle ?
"Non, cela n’a pas vraiment d’influence. Mon problème n’a jamais été le temps de récupérer après la saison hivernale mais bien la qualité de la préparation vu le manque d’infrastructures en Belgique."
Quelles seront les répercussions de cette longue saison sur 2020, l’année des Jeux olympiques de Tokyo ?
"Je n’aime pas me projeter trop loin mais c’est vrai qu’il faut quand même penser à ce qui va arriver après cette saison 2019. Je ne pourrai pas prendre un mois de repos comme chaque année ou partir loin en vacances. Ce sera un repos beaucoup plus court même s’il faut veiller à bien récupérer. Si Götzis est toujours à la même date, et qu’on termine la saison en octobre, c’est quelque chose qu’il faudra prendre en compte. Mais ce sont les sensations au moment même qui vont décider de ma participation à Götzis ou non. Si je me sens très fatiguée, cela ne sert à rien d’y aller à tout prix même si c’était le plan établi. Il faut faire preuve d’un peu de souplesse."
Pour en revenir à 2019, le challenge est-il plutôt de battre le record d’Europe, dont vous êtes très proche, ou de conserver votre titre mondial ?
"Ce sont deux objectifs difficiles mais en commençant une saison, ce que j’ai en tête, c’est avant tout d’essayer de m’améliorer et de tout mettre en place pour y arriver. Je ne me dis pas : ‘mon but, c’est le record d’Europe’ . Pas du tout. En heptathlon, ce n’est pas quelque chose qu’on peut planifier. C’est comme les médailles d’or : tout le monde croit que je vais tout gagner jusqu’à la fin de ma carrière mais moi, je ne pense pas à cela. Il n’y a que le travail qui amène des résultats et je me concentre là-dessus."
Vous avez dit un jour vouloir devenir "la meilleure version" de vous-même. Combien de temps vous donnez-vous pour y arriver ?
"Oui, c’est vrai que c’est mon objectif, parce que je ne veux pas avoir de regret à la fin de ma carrière, mais je ne me donne pas de limite dans le temps. Je prends plutôt le temps que la vie me donne, ou plutôt que ma carrière athlétique me donne. Ce qui pourrait être beaucoup plus court que ce que j’imagine ! C’est pour ça qu’il faut se donner à fond chaque année, sans griller les étapes non plus. Je prendrai le temps qui m’est offert et puis je verrai bien quand ça deviendra un peu plus difficile, quand j’aurai des blessures à répétition ou simplement que je n’aurai plus envie."
Mannequin à Paris : "La première fois qu’on me proposait un truc pareil !"
La popularité et la médiatisation de Nafi Thiam sont telles que certaines de ses absences sont autant commentées que sa présence aux rendez-vous qu’elle honore. Cette année, elle a, par exemple, manqué la réception au Palais royal organisée le 27 septembre en l’honneur des différents champions d’Europe - ce jour-là, elle participait à un défilé de mode à Paris - ou encore la cérémonie du Spike d’or dont elle fut bien sûr la lauréate féminine, le 20 octobre.
"C’est vrai que les réceptions chez le Roi, c’est toujours agréable mais là, la Fashion Week, c’était la première fois de ma vie qu’on me proposait un truc pareil", sourit Nafi. "C’était prévu depuis longtemps et je tenais vraiment à le faire. J’ai passé toute la semaine en France avec mon université, dans le cadre d’un voyage de terrain, et je suis allée de là directement à Paris. C’était une chouette expérience, que je ne regrette pas du tout. Quant au week-end du Spike d’or, je n’étais pas disponible, tout simplement."
Comment établit-elle les priorités dans ses différentes activités ? "Le plus important, ce sont les entraînements et les stages. Même quand je suis invitée quelque part, comme aux IAAF Athletics Awards à Monaco, je m’arrange toujours pour faire l’un ou l’autre entraînement sur place. Quand tout se passe bien, on t’invite toujours de tous les côtés mais il ne faut pas perdre ses objectifs de vue. Les entraînements passent donc avant le reste. Ensuite, il y a bien sûr l’école, les cours. Puis les activités liées au sponsoring."
"Il y a d’autres choses que le sport dans la vie"
La championne relativise davantage depuis son voyage au Liban pour l’Unicef.
Ambassadrice de bonne volonté pour Unicef Belgique, Nafi Thiam a effectué cette année sa première mission pour le compte de cette organisation. C’était en septembre dernier, au Liban. "On avait déjà essayé de mettre un projet de ce type aux alentours de mars mais il y avait une possibilité pour que je participe aux championnats du monde en salle. Finalement, on a reporté le projet. Et en septembre, je me suis dit que c’était peut-être le bon moment d’arranger ça" , explique l’athlète. "Je n’ai pas choisi la destination, non, mais c’était bien que ce ne soit pas trop loin."
Qu’avez-vous appris au cours de cette mission ?
"Déjà, quand on m’a dit que c’était au Liban, j’ai essayé de prendre mes renseignements pour voir quelle était la situation générale sur place et j’ai trouvé qu’il était difficile de se faire une idée claire. Ce n’est qu’en arrivant là-bas qu’on a eu pas mal de briefings pour nous retracer l’histoire du conflit afin que nous sachions exactement de quoi on parlait. C’était une mission centrée sur l’accès à l’éducation des enfants réfugiés. On peut évidemment te l’expliquer sans que tu ailles sur place mais c’est quand même plus parlant de découvrir tout cela de tes propres yeux. Ça m’a permis d’avoir une idée plus claire de la situation et de voir ce qui a déjà été mis en place. On m’a expliqué qu’on était encore très, très loin de l’objectif initial, qui était d’envoyer tous les enfants à l’école."
Quel impact ce voyage a-t-il eu sur vous ?
"Je reconnais que j’ai eu un choc, comme n’importe quelle personne qui va sur place, en voyant les camps de réfugiés et tous ces enfants placés dans ces conditions. Surtout par opposition au confort dans lequel on vit en Belgique. Ce n’était pas de la surprise car on voit beaucoup d’images chez nous, finalement, et on sait bien comment ça se passe. Et c’est un peu ça, le drame : ça devient normal de voir cela à la télé ! Quand tu te rends sur place, que tu t’assieds avec eux, ça prend tout de suite une autre dimension."
Relativise-t-on d’autant plus ensuite ?
"Oui, bien sûr. Je n’ai jamais été quelqu’un de très attaché à l’aspect matériel mais c’est clair que je me dis que j’ai de la chance de vivre dans un pays comme la Belgique. Je relativise aussi dans le sens où, même si j’adore le sport et que c’est une grande partie de ma vie, je me dis que ce n’est jamais que du sport ! Il y a tellement d’autres choses à côté, et de choses qui se passent dans le monde, que tu te dis que ta place est vraiment très petite et que toute ta vie, à l’échelle mondiale, n’a finalement pas tellement d’importance."
Vous arrêtez-vous parfois sur cette aventure que vous vivez grâce au sport ?
"Oui, je fais de l’athlé depuis toute petite et je sais que ce sport m’apporte énormément. À notre époque, on est tous pressés, on a tellement de choses à faire qu’on oublie parfois de profiter de sa vie et qu’on la traverse sans regarder autour. Je sais que le temps passe vite et que je dois profiter de ces bonnes années parce qu’elles ne seront bientôt plus que des souvenirs. Quand je repense à Rio, ça fait déjà presque trois ans ! Mais il faut se rappeler surtout qu’il n’y a pas que le sport dans la vie."