Les confidences de Roger Lespagnard, entraîneur de Nafi Thiam: "Sauter, c’est comme rouler à vélo, ça ne s’oublie pas !"
Roger Lespagnard explique que Nafi Thiam ne s’entraîne pas beaucoup à la hauteur mais qu’un saut, en stage, l’a vraiment rassurée.
- Publié le 22-06-2019 à 07h08
- Mis à jour le 22-06-2019 à 08h51
Roger Lespagnard explique que Nafi Thiam ne s’entraîne pas beaucoup à la hauteur mais qu’un saut, en stage, l’a vraiment rassurée.
Les années passent mais la mémoire de Roger Lespagnard, 72 ans, ne le trahit pas. Il se souvient de tout. Des performances, du vent et des lieux, aussi, où sa carrière de décathlonien puis d’entraîneur l’a mené. Quand il fut question pour Nafi de prendre part au Décastar, à Talence, au lieu de Götzis, le Liégeois s’est souvenu… "Je m’y suis rendu en 1982, mais tout a changé depuis lors…" sourit-il. "Ceci dit, je suis content d’y revenir avec Nafi !"
Roger, le dernier heptathlon de Nafi, date des 9 et 10 août 2018, à l’Euro berlinois. C’est long…
"Cela l’est toujours ! Vous savez, depuis 2013, Nafi n’a participé qu’à deux heptathlons par an, ce qui est un rythme normal pour ce type de discipline. Mais il est vrai qu’elle a été blessée en début de saison et qu’elle n’a pu s’aligner en indoor, notamment à l’Euro. Alors, oui, c’est un peu plus long, mais pas inquiétant. Cette saison elle-même est très longue aussi…"
Comment va Nafi, physiquement et mentalement ?
"Bien ! Les compétitions auxquelles elle a participé l’ont rassurée. Il y eut d’abord Gaurain, où elle a lancé le javelot à 52,71 m avant de battre son record de trois centièmes sur 200 m en 24.37. Puis, elle a confirmé à Leiden, dans des circonstances météo délicates, courant le 100 m haies en 13.62 et sautant 6,55 m, officiellement, à la longueur. Mais elle a surtout bien géré le vent, se montrant régulière dans ses six sauts. Pour ma part, j’ai demandé à ce qu’on mesure le dernier, mordu d’un rien, et elle était à 6,79 m !"
Revenons un peu en arrière et racontez-nous son début d’année, marqué par cette blessure au mollet… Comme cela s’est-il passé ?
"Elle était partie en stage en Afrique du Sud, où je l’ai rejointe le 6 janvier. Le lendemain, j’étais en train de préparer sa séance au poids, pour laquelle elle s’échauffait normalement. Puis, je l’ai vue apparaître en pleurs, se plaignant du mollet gauche ! Elle avait vraiment mal et le verdict fut sans appel : déchirure de 6 cm du muscle soléaire ! C’était dur à encaisser… Mais je suis persuadé qu’il s’agit d’un accident de parcours."
S’ensuivirent six semaines de repos et six autres de rééducation, soit trois mois délicats à gérer psychologiquement…
"Oui ! Elle a dû attendre la guérison complète au niveau du mollet, mais elle a pu continuer à entraîner le haut du corps. Pour le reste, aquajogging et vélo ne sont vraiment pas sa tasse de thé ! Heureusement, nous avions repris l’entraînement dès le 4 octobre et elle a pu reprendre sur ses acquis. Si bien que, quand nous sommes repartis en stage, le 1er avril, à Belek, elle a pu se donner à fond pendant deux semaines avant de relâcher un peu. Là, elle m’a étonné… Nafi ne s’entraîne pas souvent à la hauteur. Sauter, c’est un peu comme rouler à vélo, ça ne s’oublie pas ! Mais, en Turquie, Nafi en voulait. Lors d’une séance, elle a franchi 1,80 m, puis 1,85 m. Je lui ai dit : ‘C’est bon !’ Mais elle a insisté pour mettre la barre à 1,90 m, qu’elle a passée au deuxième essai. Je pense qu’elle en avait besoin… En tout cas, pour moi, et surtout pour elle, ce fut un signe qu’elle était revenue à son niveau, peut-être pas le meilleur, mais un bon niveau !"
Avec la confirmation à Gaurain et à Leiden, quel est, dès lors, l’objectif de Talence ?
"Talence est un test grandeur nature ! Pour moi, une forme d’audit dans les sept disciplines, qu’elle enchaînera comme en championnat. Donc, ce sera intéressant de voir comment elle récupérera. Pour être honnête, on part un peu dans l’inconnu, mais sans appréhension. Nous n’avons rien changé à l’approche de la compétition avec un dernier entraînement mardi soir, le voyage en avion mercredi, un décrassage jeudi et du repos vendredi. Le repos, c’est bien, mais pas trop ! Il faut garder le corps en éveil, en activité. Mais je suis confiant que tout se passera bien. Et Nafi aussi, je pense…"
Y a-t-il des disciplines où vous serez particulièrement attentif en tant qu’entraîneur ?
"Sur ce qu’elle a montré lors des compétitions de préparation, je pense pouvoir affirmer qu’elle est bien. Je suis confiant pour les lancers, poids et javelot, qui constituent ses points forts et je suis curieux pour les courses, le 100 m haies et le 200 m. Elle n’a pas été gâtée par le vent jusqu’ici, ce qui ne l’a pas empêchée d’améliorer son chrono sur 200 m à Leiden. Pour ce qui est des sauts, je pense qu’elle est bien, surtout en longueur, où, selon moi, elle est capable de battre le record de Belgique. Pour terminer, il y a l’énigme du 800 m, une épreuve délicate mais sur laquelle elle se situe déjà à un bon niveau. Je ne pense pas que ce soit là qu’elle puisse encore beaucoup progresser…"
Que pensez-vous de la "perf" (6 813 points) de Katarina Johnson-Thompson, sa principale adversaire, fin mai, à Götzis ?
"C’est bien ! La Britannique a amélioré son record en progressant un peu au poids et au javelot, tout en maintenant son excellent niveau par ailleurs, en course notamment. Mais ses performances en lancers sont encore assez faibles, surtout par rapport à Nafi. Ceci étant, quand elles se retrouveront face à face, les 2 et 3 octobre au Mondial, leur duel n’autorisera aucun faux pas !"
On annonce la chaleur ce week-end à Talence. Ce sera également un bon test en vue de Doha et de Tokyo, non ?
"Exact ! Pour ce qui est de Doha, il faudra se familiariser avec la chaleur, mais aussi avec l’horaire parce que les épreuves auront lieu en soirée. On parle du 800 m à 1 heure du matin ! Mais, par rapport à Tokyo, la chaleur et surtout l’humidité seront des facteurs à ne surtout pas négliger…"
Une dernière question : le record d’Europe (7 032 points) de Carolina Klüft, vous y pensez ?
"Bien sûr ! Mais sans doute pas pour ce week-end… Pour le battre, il faut vraiment que Nafi soit à son meilleur niveau. Et puis, c’est une question de détails. Elle aurait déjà pu l’améliorer en 2017, à Götzis, si elle n’avait pas faibli au poids avec un lancer à 14,51 m alors que son record est de 15,35 m. Vous savez, ces 19 points par rapport à Klüft, c’est vingt centièmes sur 200 m ou vingt centimètres à la longueur. Nafi en est tout à fait capable, mais il faut qu’elle soit à son meilleur partout…"