Le roi Kevin et la reine Nafi au Décastar: "J’espère que je vais tenir les deux jours !"
Nafi Thiam est "tout simplement contente d’être là après un hiver très délicat".
- Publié le 21-06-2019 à 06h54
- Mis à jour le 21-06-2019 à 11h47
Nafi Thiam est "tout simplement contente d’être là après un hiver très délicat". Talence a accueilli Nafi Thiam avec tous les honneurs dus à son statut, celui de championne olympique, du monde et d’Europe. Mais ce n’est sans doute encore rien à côté de ce que la Namuroise vivra, ce week-end, dans le petit, mais chaleureux, stade du Parc des Sports de Thouars, à l’occasion de la 43e édition du Décastar…
Nafi, comment vous sentez-vous avant votre retour, ce week-end, à l’heptathlon ?
"Je suis tout simplement contente d’être là ! J’ai vécu un hiver très délicat avec cette blessure qui m’a stoppée dans mon élan parce que j’avais l’intention de m’aligner, en mars, à l’Euro indoor pour y décrocher un nouveau titre. Malheureusement, cette déchirure, le 7 janvier, en a décidé autrement…"
Impatiente d’être au départ du 100 m haies, ce samedi ?
"Je n’irai pas jusque-là. Et ce, en raison de ma forme actuelle. J’aurais été impatiente si j’avais été en super forme, prête à réussir un truc. Mais, là, je ne le suis pas. Et, de toute façon, c’est beaucoup trop tôt. Non seulement par rapport à ce qui m’est arrivé, mais aussi parce que le Mondial a lieu dans trois mois. J’espère que je vais tenir les deux jours !"
Vous partez donc un peu dans l’inconnu…
"Oui et non. Oui, parce que je ne sais absolument pas de quoi je suis capable en termes de performances. Non, parce que j’ai quand même déjà participé à quatre épreuves, lors de deux compétitions, à Gaurain et à Leiden. Je sais que ce n’est pas pareil, mais j’y ai vu des signes assez positifs."
Lesquels ?
"Pour une reprise, j’ai été agréablement surprise par mon chrono sur 200 m, où j’ai amélioré mon record de trois centièmes (NdlR : 24.37 pour 24.40) , sachant aussi que j’ai couru avec un vent défavorable. Et puis, j’ai été très satisfaite de ma gestion à la longueur, un concours encore perturbé par le vent, trop favorable cette fois, ce qui m’a privée d’un record de Belgique à 6,65 m. Pour ce qui est des haies et du javelot, c’était normal…"
À quoi vous attendez-vous ici ?
"En tout cas, pas au record d’Europe ! J’en ai entendu parler et, croyez-moi, je ne pense pas que les conditions soient réunies… Disons que je démarrerai cet heptathlon avec l’intention de le terminer, sans prendre de risque. Sauf accident dans l’une ou l’autre épreuve, ce qui peut arriver, je pourrais également y réussir le minimum olympique. Car, franchement, si je n’arrive pas à 6 350 points, c’est chaud !"
Ressentez-vous la pression qui repose sur vos épaules avec ce retour à la compétition ?
"Bien sûr ! Dès mon jour de reprise, le 18 mai, à Gaurain, j’ai senti une forte attente. Alors que je n’étais déjà pas sûre de moi, je me suis sentie épiée de partout."
Vous semblez pourtant assez relax ici, à Talence ?
"Mais je le suis ! En tout cas, jusqu’ici… On verra une fois sur la piste, mais je ne doute pas que ça se passe bien avec un public qui, j’en suis sûre, me soutiendra."
En venant à Talence plutôt qu’à Götzis, vous n’aurez pas l’opportunité de rencontrer Katarina Johnson-Thompson, votre principale rivale, avant le Mondial. Ce n’est pas un problème ?
"Je ne m’en soucie pas du tout. Vous savez, en compétition, je suis focalisée sur moi et mes performances. Et puis, avec ma blessure et le retard de préparation accumulé, il n’y avait aucun sens à m’aligner à Götzis."
Après Talence, vous aurez un dernier examen pour terminer vos études… Heureuse ?
"Oh oui ! J’apprécie beaucoup la géographie, mais je pense que la fin de ces études constituera un tournant dans ma carrière sportive. Et puis, je ne pouvais rêver meilleur timing ! Je pourrai mettre le paquet et essayer d’atteindre mon maximum. Plus que les titres, j’ai envie, à long terme, de voir jusqu’où je peux monter, en développant des nouveautés techniques, par exemple."
À Doha, vous défendrez un titre pour la première fois de votre carrière. Sera-ce un stress supplémentaire ?
"Vous savez, depuis mon titre olympique en 2016, à Rio, on m’attend à chaque championnat. Donc, pas de stress ! Je ne suis pas infaillible. Donc, je sais qu’un jour, je serai battue. Et, là, je pense qu’on me tombera dessus. Mais je mettrai, bien sûr, tout en œuvre pour que ce soit le plus tard possible."
“J’avais la boule au ventre en foulant la piste…”
Kevin Mayer retrouve ce lieu mythique où il a battu le record du monde. Pour être honnête, à côté de Nafi Thiam, Kevin Mayer a l’air… petit avec son 1,86 m alors que la Namuroise “pointe” à 1,87 m ! Il n’empêche, en vrais champions, ces deux-là s’entendent bien. Pas de jalousie de la part de Kevin envers la championne olympique et encore moins de Nafi pour le recordman du monde. Et, justement, le Français revient sur le théâtre de son formidable exploit, ce record à 9 126 points. Kevin, vous voilà de retour sur les “lieux du crime”. Comment vous sentez-vous ?
“Je me sens coupable ! Non, je suis très content de me retrouver ici, à Talence. Pour tout vous avouer, j’avais la boule au ventre en foulant la piste ce jeudi matin. Je me souviens absolument de tout ! Comme si c’était hier. Là, j’ai ressenti une pression dont je ne sais si je serai capable de la gérer à cette période de l’année.”
Comment êtes-vous, alors, physiquement ?
“Je suis fatigué par les entraînements. En fait, je ne suis pas du tout dans les mêmes dispositions que l’an dernier. À l’époque, j’avais raté l’Euro berlinois et j’avais soif de revanche, d’autant que j’étais encore bien sur le plan physique. Ici, ce n’est vraiment pas pareil avec un genou capricieux. J’ai envie de prendre cette compétition comme celle de l’an dernier, à Ratingen, à savoir comme un test. Sans prendre de risque parce que mon principal objectif, avant les Jeux de Tokyo, c’est le Mondial !”
Heureux de vous retrouver, là, assis à côté de Nafi Thiam ?
“Bien sûr ! Nafi, c’est la ‘Reine de l’heptathlon’. À elle comme à moi d’assumer notre rôle. Et je ne doute pas que le public nous y aidera. L’an dernier, j’ai entretenu avec lui une relation électrique. Ce fut une véritable communion, dont j’avais l’impression d’être le chef d’orchestre. Je le répète : ce week-end est gravé dans ma mémoire. Quand un décathlonien parvient à prester à 97 % de tous ses records personnels tout au long des deux journées, il ne peut qu’être aux anges.”
Et pourtant, ce week-end idyllique aurait pu ne jamais avoir lieu si vous aviez été sacré champion d’Europe à Berlin…
“C’est vrai ! Nafi pourra vous le confirmer : la conquête d’un titre en épreuves combinées exige une folle dépense d’énergie, à la fois physique et mentale. Alors, oui, si j’avais été sacré à Berlin, je serais parti en vacances. Comme Nafi !”
Vous qui avez été sacré champion du monde dans toutes les catégories d’âge, vous qui êtes recordman du monde, quels sont encore vos objectifs ?
“Le titre olympique, d’abord et avant tout ! Vous savez, on me pose souvent la question de savoir si j’échangerais mon record mondial contre le titre olympique et je réponds non. D’abord, parce que je ne pourrais pas effacer ces deux jours extraordinaires vécus ici, à Talence. Et puis, surtout, parce que je viserai ce fameux titre olympique, l’an prochain, à Tokyo, échéance qui ne quitte pas mon esprit. Et je pourrais même réussir coup double la même année puisqu’il y a l’Euro dans la foulée des Jeux !”
Cette saison, vous vous alignerez également à plusieurs reprises en meeting, par exemple à Monaco. Vous aimez défier les spécialistes d’une discipline ?
“J’adore ça, même si à Monaco, je lancerai le javelot et que je n’ai aucune chance de rivaliser. En revanche, dans d’autres épreuves, pourquoi pas ? Il ne faut absolument rien écarter pour progresser dans notre sport…”
Pas sur l’affiche, mais à l’affiche !
Nafi Thiam ne figure pas sur l’affiche de la 43 e édition du Décastar. Une “faute de goût” des organisateurs ? Pas du tout ! Cette affiche fut l’objet d’un concours remporté, en janvier, par une certaine Mathilde Mas parmi 19 projets reçus. À cette époque, Nafi se blessait malheureusement en Afrique du Sud… Et ce n’est que récemment qu’elle a décidé de participer à ce Décastar 2019. Depuis lors, les promoteurs de l’événement ont largement communiqué sur la présence de notre championne qui est donc bel et bien à l’affiche !
Plus vieux que le Mémorial
La “première” date de 1976 avec Guy Drut, champion olympique du 110 m haies. Surnommée par les Français “La Mecque du décathlon”, Talence est une commune du sud-ouest de la France, située dans le département de la Gironde, au sud de Bordeaux. Par sa population (+/- 45 000 habitants), Talence est la quatrième commune du département après Bordeaux, Mérignac et Pessac. À l’instar de Götzis, en Autriche, le Décastar de Talence est une compétition annuelle réservée aux épreuves combinées, masculines et féminines. La première édition date de 1976, mais l’épreuve prit un rythme annuel en 1986. Il s’agit donc de la 43e édition. La première a vu la participation de Guy Drut, champion olympique du 110 m haies, à Montréal. Venu relever le défi du décathlon, le Français termina cinquième et établit le record du stade sur… 110 m haies, jamais égalé à ce jour.
Le recordman de victoires est Christian Plaziat, lauréat en 1986, 1988, 1989, 1990, 1991.
Le premier record du monde date de 1992 et il fut l’œuvre de Dan O’Brien, triple champion du monde et champion olympique en 1996, à Atlanta. Son total final : 8 891 pts.
En 1996, pour le 20e anniversaire, Jean Galfione imite Guy Drut en se livrant aux épreuves combinées. Le champion olympique de la perche signa, logiquement, la meilleure performance mondiale dans sa discipline au cours d’un décathlon avec un saut à 5,75 m.
Les années 2000 ont vu se succéder tous les meilleurs athlètes mondiaux, tant côté masculin que féminin, avec Tomas Dvorak, Roman Sebrle, Brian Clay et aussi Eunice Barber.
Les derniers vainqueurs sont Kevin Mayer avec son fameux record du monde à 9 126 pts et Carolin Schafer avec 6 457 pts. Grâce à l’exceptionnelle performance du vice-champion olympique et champion du monde, le Décastar entre au patrimoine mondial de l’athlétisme.
Un seul Belge figure jusqu’ici au palmarès du Décastar ! Il s’agit de Hans Van Alphen (quatrième en 2012, aux Jeux de Londres), victorieux en 2011 (8 200 pts) et 2012 (8 293 pts).