Jacques Borlée: "Le sport de haut niveau doit être géré par des pros"
Notre interlocuteur explique pourquoi, selon lui, "le système ne fonctionne pas".
- Publié le 28-02-2019 à 06h51
- Mis à jour le 28-02-2019 à 14h53
Notre interlocuteur explique pourquoi, selon lui, "le système ne fonctionne pas". Entre une actualité brûlante, relative à l’affaire Nafi Thiam et à ses développements, et le coup d’envoi de l’Euro indoor, ce vendredi, à Glasgow, Jacques Borlée a accepté de s’épancher sur sa vision des problèmes soulevés par la championne olympique. Des problèmes que notre interlocuteur ne connaît que trop bien. "Vous savez, le sport de haut niveau doit tendre vers une organisation idéale et permettre à chacun d’être focalisé sur l’avenir, sans penser à tous les problèmes qui tournent autour du sport. Mais bon, il fallait crever l’abcès et j’ai été surpris par la prise de position très courageuse de Nafi. Elle a été remarquable."
Pour qu’elle ressente le besoin de s’exprimer comme elle l’a fait, les choses ont dû aller loin.
"Bien sûr, mais toute cette situation est dichotomique. À la limite, je ne dois pas en vouloir aux gens qui nous dirigent. Le sport de haut niveau doit être géré par des professionnels. L’Adeps, Sport Vlaanderen, le COIB donnent donc de l’argent à des gens qui sont de bonne volonté, mais qui sont nommés par le sport amateur. Le président de la LBFA le revendique d’ailleurs, il le dit. Et donc ce sont des amateurs qui doivent diriger des professionnels alors qu’ils ne connaissent rien aux mécanismes du haut niveau. C’est-à-dire : l’athlète au centre, créer du calme et de la sérénité, donner de l’amour. À côté de cela, créer de la fierté, créer un sentiment d’appartenance à un pays et voir les choses en grand participent à un autre aspect fondamental. Un exemple : si les athlètes se plaignent de la qualité d’un vêtement, c’est parce qu’ils ne sont pas du tout dans ce sentiment de fierté. Ce sont tous des concepts fondamentaux derrière lesquels il y a des notions comme l’ambition, l’innovation, le positivisme."
Il s’agirait donc avant tout d’un problème de compréhension de la part des dirigeants ?
"Totalement ! Mais c’est la structure dans son ensemble qui n’est pas performante, pas adaptée. Et donc, je rejoins le Ministre Rachid Madrane quand il dit qu’il faut créer une super-ligue professionnelle, avec des gens qui savent gérer des sportifs d’élite. Mais pas au sein de la fédération, hors de celle-ci ! Sans être négatif, la fédération doit avant tout gérer ce qu’on appelle le sport pour tous. Malheureusement, dans notre pays, le sport est de plus en plus divisé et tout le monde s’accroche à son petit pouvoir. On en finit par oublier l’apport fondamental du sport de haut niveau sur la société, la recherche d’excellence, le dépassement de soi, la quête d’absolu. Quand on fait des résultats au plus haut niveau, on passe pourtant de 8 000 à 20 000 affiliés."
Davantage que de sport, il a beaucoup été question d’argent ces derniers jours.
"Mais, quand j’entends Thomas Lefebvre, le coprésident de la LRBA, dire : ‘J’ai donné 70 000 euros à Nafi’, c’est faux ! C’est de l’argent public qui est donné par le monde politique et l’Adeps. Parce que ceux-ci savent qu’il est essentiel de développer le sport de haut niveau au regard de sa valeur exemplative et du transfert de technologie qu’il actionne. Quand on reçoit un mandat, le minimum c’est de considérer les athlètes, de s’en préoccuper et de les respecter."
À vos yeux, beaucoup de fédérations en Belgique ont-elles compris ces mécanismes du haut niveau ?
"J’en vois deux, c’est le hockey et la gymnastique, en Flandre. Je pense que le cyclisme est plutôt bien géré aussi."
Vous n’en voulez donc pas aux individus mais au système ?
"Oui, mais il faut absolument trouver une solution à court terme parce que, comme Nafi l’a souligné, la confiance est totalement rompue avec la fédération."
Dans votre cas, cela dure même depuis plusieurs années.
"Effectivement ! C’est pour cela que nous avons mis en place un système où nous évoluons de façon totalement indépendante. Je le dis très clairement : nous n’avons plus confiance en la fédération ni en ce qu’elle met en place. Dès lors, nos stages sont organisés en marge des siens. Nos rapports avec la fédération se limitent à se croiser sur les championnats, comme ce sera le cas ici à Glasgow. On a davantage de contacts avec le comité olympique."
"S’il faut impliquer tout le sport belge, on le fera !"
Un litige est en cours quant aux primes des Belgian Tornados bloquées depuis 4 ans.
Les réactions à l’affaire Thiam et à votre sortie sur Facebook sont presque unanimes en votre faveur.
"Les gens nous portent, c’est impressionnant ! Et il ne faut pas croire que c’est anodin. Certaines personnes me disent parfois : ‘Tu dois recevoir beaucoup de messages, je ne t’en envoie plus.’ Je réponds : ‘Non, continuez à nous envoyer, ça fait un bien fou et ça porte athlètes et entraîneurs.’ C’est cela qu’on demande à notre fédération, mais elle ne le comprend pas. Les dirigeants ne sont pas formés pour cela et on ne devrait pas leur en vouloir. C’est le système qui est mal fait."
Votre laïus était destiné à enfoncer le clou ?
"Non, c’était pour me libérer, comme Nafi avait besoin de se libérer. Si elle s’est blessée en janvier, c’est parce qu’elle ruminait cette histoire, j’en suis convaincu ! Elle devait absolument se lâcher pour retrouver ensuite de la sérénité. Et moi, j’en ai marre de ces combats, il ne faut pas croire que j’éprouve du plaisir à cela. Dans mes explications, je n’ai fait que relater des faits. Je n’ai pas dit : ‘M. Untel est stupide’ ."
Non, mais vous avez utilisé des mots comme "dictature", "terreur", "harcèlement".
"Mais parce que c’est la réalité ! C’est le mode de fonctionnement actuel. Quand on te dit : ‘Si tu ne signes pas cette convention, tu ne pars pas ou tu as 20 000 euros d’amende’ , ça s’appelle comment ? Ce n’est pas de la terreur ? Alors, je ne dis pas qu’on doit nier l’existence de la fédération et qu’on ne doit pas fonctionner avec elle. Mais regardez les méthodes utilisées. S’il n’y avait pas eu la réaction très forte d’une championne olympique, je ne sais pas vers quoi on allait. On partait avec une demi-délégation ? Avec personne ? Et moi, comment voulez-vous que je fonctionne avec une fédération qui ne me soutient pas ? Je demande à être porté, c’est tout ! Je ne suis pas un emmerdeur, mais quand on nous rentre dedans, je réagis fort. Et là, c’est too much."
Vous avez fait allusion au blocage de primes pour un montant de 60 000 dollars…
"Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais c’est aujourd’hui entre les avocats de l’Adeps, du ministre, de Kevin et Jonathan, et de la fédération. Oui, il y a un litige en cours. On se trouve dans une situation complètement aberrante. Dans tous les pays, les primes sont versées par les fédérations aux athlètes et là, on a un président qui est en train de foutre le boxon. Mais s’il faut impliquer tout le sport belge, on le fera !"
Dans un tel climat, comment trouver de la sérénité avant les Jeux de Tokyo ?
"Il faut bien se défendre… Ce n’est pas nous qui provoquons les conflits. C’est le mode de fonctionnement d’un seul homme."
"Se tranquilliser avant le départ"
Julien Watrin, Dylan Borlée, Jonathan Borlée et Kevin Borlée. Ce quatuor, sacré champion continental, en 2015, à Prague, grâce à un superbe record d’Europe (3.02.87), disputera la finale du relais 4x400 m, ce dimanche, à Glasgow. Même si leur préparation n’a pas du tout été axée - hormis ces trois dernières semaines - sur l’Euro indoor, les Belgian Tornados devraient être capables de monter sur leur sixième podium en salle. Les intéressés n’attendent d’ailleurs rien de moins. "Dylan sort de ses problèmes après avoir été sous antibiotiques. Quant à Jonathan, Kevin et Julien, ils sont très bien. On a eu un très bon entraînement à Gand, ce mardi matin. On peut encore jouer haut", affirme Jacques Borlée. "Maintenant, il faut surtout se tranquilliser par rapport à toutes les histoires qu’on connaît. Oui, ce qu’on vit est déstabilisant. Comme je l’ai écrit aux autorités sportives, j’ai tenté ces jours-ci d’organiser le futur proche pour qu’on puisse aller chercher quelque chose d’exceptionnel à Glasgow. Mais soyons francs : ce n’est pas si simple. Je discute beaucoup avec le psychologue Jef Brouwers pour trouver les mots afin de faire abstraction de ce passé que l’on ne changera plus et d’aller vers la performance."