Gérard Neveu, l'organisateur du championnat du monde d'endurance: "Non, Toyota n'a pas gagné d'avance!"
Entretien exclusif avec Gérard Neveu, l'organisateur du championnat du monde d'endurance dont la Super Saison 2018-2019 débute à Francorchamps le 5 mai avec 37 bolides, Fernando Alonso et six constructeurs présents.
- Publié le 24-04-2018 à 19h11
Entretien exclusif avec Gérard Neveu, l'organisateur du championnat du monde d'endurance dont la Super Saison 2018-2019 débute à Francorchamps le 5 mai avec 37 bolides, Fernando Alonso et six constructeurs présents.
Le samedi 5 mai débutera, chez nous à Francorchamps, l'unique Super Saison du WEC qui s'étendra sur plus de treize mois au lieu de sept. Gérard Neveu, pouvez-vous nous rappeler pourquoi ce calendrier à cheval sur deux années ?
« C'est très simple. Nous voulons à l'avenir que la saison d'endurance se poursuive durant l'hiver et se termine en apothéose lors des 24H du Mans dont on ne changera pas la date. Dès lors, il fallait une année transitoire. On avait le choix entre faire une saison 2018 débutant en avril et se terminant mi-juin sur deux mois et demi ce qui n'aurait pas ressemblé à grand chose ou alors la tirer sur 2018 et 2019 avec deux éditions des 6H de Spa et deux du double tour d'horloge manceau ce qui est très spécial et valorisant. Le but au final étant de démarrer en septembre 2019 un championnat du monde d'endurance se déroulant à l'avenir de septembre à mi-juin, comme l'année scolaire. »
Une saison sur deux ans mais sans augmenter les coûts...
« Exact puisqu'il y aura toujours huit courses mais en treize mois et demi au lieu de sept. Certes il y a deux fois Le Mans, mais les coûts de transport pour l'ensemble du championnat seront nettement moins élevés. »
On peut parler d'une saison de transition ?
« Je préfère le terme année carrefour ou charnière. C'est la fin d'un premier cycle du WEC débuté en 2012 et s'achevant l'an dernier avec des budgets colossaux pour faire rouler des LMP1. Le problème venait d'un règlement hybride très libéral où les constructeurs avaient une liberté quasi totale. Et si on ne leur met pas de limite, ils ont du mal à s'auto-réguler. Ils dépensent sans compter. La lutte entre les cousins Audi et Porsche a mené à une incroyable débauche de budgets. »
C'était devenu comparable à la F1 ?
«On n'en était plus très éloigné lorsque l'on compte tout. Certes, Ferrari et Mercedes dépensent beaucoup plus pour leur team F1 pour lequel travaillent 1000 personnes. Les programmes endurances de Porsche et Audi concernaient 200 à 300 personnes tout au plus. Mais d'un autre côté, quand vous connaissez le succès en F1, vous touchez pas mal de primes, il y a une répartition des revenus des GP rendant ces budgets plus acceptables. »
Dès lors, suite aux départs d'Audi puis de Porsche, vous avez travaillé sur un règlement plus strict et moins coûteux.
« Il fallait assurer la pérennité du championnat avec un bon règlement provisoire jusqu'à notre nouveau règlement pour la saison 2020-2021. Car si Toyota se retrouvait seul, il n'y avait plus de compétition. On a donc modifié les règles afin de favoriser la venue de LMP1 privées non hybrides avec des budgets raisonnables. Selon les calculs de nos ingénieurs, des personnes qui ont conçu ce règlement, les protos japonais et leurs opposants devraient tourner dans des chronos similaires. Ce qui fera la différence, c'est l'autonomie. Les hybrides consomment moins et pourront effectuer en règle générale un ou deux tours de plus selon les circuits. Cela signifie que si les Toyota n'ont aucun problème, elles gagneront. Mais si elles connaissent le moindre souci technique, en cas d'accident ou de mauvaise stratégie, elles seront directement menacées. Et l'on sait que sur 6h et encore plus 24, il peut se passer pas mal de choses. Il suffit de voir les trois dernières éditions de la classique sarthoise. L'an dernier, l'écart entre LMP1 et LMP2 était trop grand. Je sais que la Jackie Chan DC a fait illusion en menant les 24H à quelques heures de l'arrivée, mais la Porsche n'a eu qu'à reprendre la piste après plus d'une heure d'arrêt pour la battre. Il n'y avait pas match. »
Vous croyez donc réellement qu'il y aura match ? Que ce n'est pas gagné d'avance pour Toyota ?
« On a tout fait pour. On n'a aucun intérêt à voir deux Toyota tourner autour de tout le monde. Ce ne serait même pas à l'avantage du constructeur japonais de triompher sans devoir combattre. Il ne serait pas très malin non plus ni fair de notre part que les LMP1 privées tournent trois secondes plus vite que le seul grand constructeur nous restant fidèle en prototypes. On a essayé de trouver le bon équilibre. Si Toyota est effectivement encore trop devant, on a les moyens de rectifier le tir en donnant encore un peu de performances aux non hybrides. Même s'il y a toujours un risque que l'on se soit trompé, je reste intimement convaincu que le Mans n'est pas déjà joué. Les temps seront très proches. Et puis on a bien vu ces dernières années que c'était rarement les plus rapides qui l'emportaient. On est là pour offrir un spectacle. Car s'il y a quatre secondes d'écart au tour, il n'y a plus qu'à attendre la panne. Vous allez être surpris. »
On ne demande qu'à vous croire, mais lors du récent prologue du Castellet l'écart entre les Toyota et les autres LMP1 privées était de l'ordre de cinq secondes au tour !
« Exact mais il s'agissait juste d'un prologue, une séance de roulage, quasi de déverminage pour certains qui n'avaient quasi pas encore roulé et découvraient leur proto. Il ne faut pas tenir compte du chrono d'1'32 des Toyota qui n'étaient pas en conformité avec le règlement. Il est vrai que les autres P1 tournent dans les 1'37 mais certains débutaient et d'autres cachaient leur jeu. Vous verrez que ce sera nettement plus serré à Francorchamps. »
On a perdu deux usines en deux ans, mais d'un autre côté le nombre de LMP1 a doublé. On est passé de cinq en 2017 à dix en 2018...
« Exact. Et ce n'est tout de même pas n'importe qui. Rebellion fait partie des fidèles du WEC. Ils possèdent déjà l'expérience du LMP1 et travaillent avec Oreca et des références comme Lotterer, Jani ou Senna. Ils effectuent actuellement une simulation de 24H à Magny-Cours. Les Russes de SMP issus du P2 débarquent dans la catégorie de pointe avec Dallara et ART. Ce ne sont pas des débutants non plus. By Kolles m'a impressionné au Ricard, tandis que la Ginetta sortait encore du cocon. Mais il y a tout de même l'ex-écurie de F1 Manor derrière. Croyez moi, il y a quelques sérieux clients même si cela reste effectivement des privés face à une usine. »
Quelles sont les grandes lignes du futur règlement 2020 ?
« On va continuer à faire du prototype hybride. Le Super GT1 est une illusion. Cela coûte une fortune. La feuille de route est de continuer à être en phase avec le marché automobile tout en tenant compte de la réalité économique. Je veux qu'un constructeur puisse entrer dans le championnat et se battre pour la victoire en dépensant 20 à 30 millions, plus 600. »
Vous revenez de loin tout de même...
« Lorsque l'on a annoncé le retrait de Porsche du LMP1 en août dernier, on a tous pris un gros coup de massue. J'ai été très déçu. On ne s'y attendait pas. C'est une conséquence de la dieselgate, pas du règlement du WEC. A l'époque de Matthias Müller, cela ne serait jamais arrivé. Il y a huit mois, le WEC était mort. Et aujourd'hui, on va entamer la saison à Spa avec 37 voitures dont dix LMP1. Jamais la grille n'a été aussi fournie. »
En même temps, il y a eu l'annonce de Peugeot préférant s'investir en World RX qui deviendra électrique en 2020 plutôt que de revenir en WEC...
« Là j'ai eu le temps de m'y préparer. Dès le moment où ils n'ont pas annoncé leur retour en juin lors de la dernière édition des 24H, je savais que leur réponse serait négative. Une fois encore, ce sont des impératifs plus marketing que sportif ou financier qui ont joué. C'est dommage car les plus belles heures de Peugeot en sport auto ont été écrites en endurance. »
L'annonce de l'arrivée de Fernando Alonso a par contre donné un sacré coup de boost à votre championnat ?
« C'est clair. L'Espagnol est clairement un des trois meilleurs pilotes au monde. Avec Mark Webber, il y avait déjà eu un effet de notoriété. Mais c'était différent car il s'agissait d'un jeune retraité de la F1 et pas d'un double champion du monde. Ici, avec Fernando, on parle d'un pilote de F1 encore en activité et relevant le défi d'alterner les deux disciplines comme à la grande époque. J'ai beaucoup d'estime pour Alonso. Il vise la triple couronne comme Graham Hill et je lui souhaite de la décrocher. »
On a pas mal parlé de prototype, mais cette année l'affiche s'annonce surtout royale en GT avec le retour de BMW portant à cinq le nombre de constructeurs engagés à l'année, six avec Corvette au Mans. Vous allez axer une grande partie de votre communication là-dessus ?
« Mais c'était déjà le cas par le passé. On a toujours mis en avant la catégorie GTE nous offrant de magnifiques bagarres avec Aston Martin, Porsche, Ferrari, Ford et maintenant BMW avec la nouvelle M8. »
Qu'est ce qui pourrait arriver de mieux au WEC ?
« Que le règlement 2020 fasse rêver les constructeurs. On en a besoin, il ne faut pas se mentir. Je souhaite les attirer à nouveau dans le futur. »
Vous avez déjà des garanties ?
«Des garanties, non. Mais disons plutôt que j'ai de bons espoirs. Il pourrait y avoir des bonnes surprises... »
Les constructeurs semblent aujourd'hui attirés par le tout électrique. Ils seront neuf l'an prochain en Formula E. C'est inenvisageable en endurance ?
« C'est effectivement impossible vu l'autonomie des batteries. Nissan a déjà eu du mal à boucler un tour du Mans en full électrique. Et de toute manière on n'en veut pas. Je refuse que l'on compare la Formula E occupant une niche et le WEC. Nous avons une histoire, nous faisons du sport automobile avec des magnifiques voitures qui roulent vite et font du bruit. C'est l'essence du Motorsport. La FE est un très bon produit de marketing. Il faudra juger de son succès sur la durée. Arriveront-ils à maîtriser les coûts avec l'arrivée des constructeurs ? Seront-ils encore là dans dix ans ? Je n'en suis pas convaincu. Pas plus que le futur soit tout électrique. Aujourd'hui le full électrique représente un peu moins de 3% du marché mondial automobile. Dans dix ans, si ce n'est pas plus de 10%, je doute que les constructeurs continuent à investir massivement dans cette voie. Je crois beaucoup plus dans l'hybride. Aujourd'hui, le full électrique est très tendance. Les politiciens aiment bien. Quand on parle de cela, on ne parle pas des autres problèmes. Mais ce n'est pas ma vision du sport auto. Et pas celle de nos fans non plus, je pense. »
Il faut donc encore venir à Francorchamps les 4 et 5 mai pour assister à la préparation des 24H du Mans ?
« Clairement oui. Les 6H de Spa sont un modèle du genre. Tout le monde est impatient de vivre cette grande fête du sport auto. Les débuts d'Alonso en endurance, le retour de BMW, les débuts de votre Maxime Martin sur la nouvelle Aston Martin Vantage, la première confrontation entre Toyota et les huit LMP1 privées, cette première course de la saison ne manquera certainement pas d'attrait. Si le soleil veut bien encore nous faire le plaisir d'être de la partie, je suis persuadé que l'on va encore battre des records d'affluence. D'ailleurs, on est en avance au niveau de la prévente. C'est généralement un bon signe... »