Thierry Boutsen n'épargne pas Vandoorne: "Il n’a jamais été à la hauteur d’Alonso"
Thierry Boutsen évoque avec franchise le sort de Stoffel Vandoorne et juge avec sévérité les erreurs répétées de Sebastian Vettel en 2018.
- Publié le 31-12-2018 à 06h33
- Mis à jour le 11-02-2019 à 13h29
Thierry Boutsen évoque avec franchise le sort de Stoffel Vandoorne et juge avec sévérité les erreurs répétées de Sebastian Vettel en 2018. Il a beau avoir rangé son casque depuis plus de dix-neuf ans maintenant, Thierry Boutsen n’en reste pas moins un homme occupé. Très occupé même. Reconverti avec succès dans le courtage d’avions (il a lancé sa société Boutsen Aviation en 1997), il ne cesse de sillonner le monde à la recherche de potentiels futurs clients. Régulièrement en déplacement dans le cadre de sa nouvelle profession, l’homme aux 163 Grands Prix au plus haut niveau conserve néanmoins un port d’attache en principauté de Monaco, là même où trente-quatre ans plus tôt il décida d’élire résidence alors que sa carrière en Formule 1 venait de commencer.
Comblé par une vie de businessman où il certifie prendre autant de plaisir que jadis derrière le volant d’une monoplace, le Bruxellois profite d’un rare temps mort dans un emploi du temps (fin d’année oblige) surchargé pour effectuer une pause au Salon international du sport et des médias. Toujours passionné par une discipline pourtant très différente de celle qu’il a connu au milieu des années 80, l’ex-pilote Williams livre sans langue de bois sa vision sur la mise à l’écart de Stoffel Vandoorne, revient sur la saison épatante du débutant Charles Leclerc et fustige les trop nombreuses erreurs commises par Sebastian Vettel en 2018.
La Belgique perdra la saison prochaine son unique représentant au plus haut niveau du sport automobile avec le départ annoncé de Stoffel Vandoorne. Comprenez-vous la décision de McLaren ?
"Il existe deux façons d’analyser la situation. Sans vouloir porter de jugement, on peut d’un côté se dire que Stoffel n’a jamais été à la hauteur d’Alonso pendant ses deux saisons chez McLaren. Quelles en sont les raisons ? Je l’ignore. En revanche, si on se place dans la peau d’un spectateur ou même d’un connaisseur, on constate qu’à chaque course il a terminé derrière Fernando. Et ça, ce n’est pas bien. Stoffel aurait dû, au moins la moitié du temps, devancer Alonso. Il aurait ainsi démontré qu’il était suffisamment bon pour conserver sa place en F1 et qu’il pouvait, de temps à autre, être meilleur que son coéquipier. Quand ça va mal, c’est toujours l’équipier qui sert de point de comparaison."
Quelle est l’autre façon d’analyser l’échec de Vandoorne chez McLaren ?
"On peut aussi regarder les choses différemment et se dire que Stoffel est un talent incroyable. Il a remporté tous les championnats auxquels il a pris part précédemment. Vandoorne est arrivé chez McLaren fort d’un bagage déjà bien formé et avec une tête de gagnant. Avant la F1, il n’avait jamais perdu de sa vie. Or, McLaren ne lui a jamais donné la chance de pouvoir se battre parmi les trois ou quatre premiers. Cela ne s’est pas produit une seule fois en deux ans. On peut donc se poser la question suivante : McLaren ne serait-elle pas responsable de tout ça ? N’est-elle pas en fin de compte la principale fautive de ses défaites et de son déclin moral ?"
Le manque de performances de l’écurie britannique a-t-il miné la confiance de Vandoorne, selon vous ?
"Possible. Stoffel est un gagnant. Partir depuis la 18e ou la 20e place sur la grille à chaque course n’a pas dû être quelque chose de facile à vivre pour lui. Quand on analyse la situation sous ses deux aspects, on finit logiquement par se demander : où se situe la vérité là-dedans ? Pour ma part, je n’en sais rien. Stoffel le sait. McLaren le sait. Mais vont-ils un jour l’admettre ou se l’avouer ? Je l’ignore."
Si l’on se penche plus attentivement sur les chiffres, on s’aperçoit qu’il n’y a pas eu match entre Vandoorne et Alonso cette saison. L’Espagnol mène 21-0 en qualification et compte 50 points au classement quand le natif de Courtrai n’a pu en récolter que 12. La confrontation paraît totalement déséquilibrée…
"Oui, mais encore une fois pourquoi ? Ce n’est absolument pas normal. L’année dernière, le différentiel n’était pas aussi grand entre les deux. Stoffel était aussi bien meilleur qu’il ne l’est cette saison. Il avait réussi des petits coups d’éclat notamment à Monaco en qualification ou à Singapour en course. Ce genre de performances, il n’a jamais pu les rééditer cette année. À mon avis, Stoffel n’était tout simplement pas en condition de pouvoir se mettre en valeur tant sur le plan psychologique que sur le plan purement mécanique. Et il en a beaucoup souffert. Je ne connais pas le fond du problème. C’est à lui et à McLaren de nous éclairer sur la question. J’espère juste que Stoffel retombera sur ses pattes un jour et qu’il pourra revenir en Formule 1."
Plusieurs voix dans le paddock évoquent une certaine fragilité mentale chez Vandoorne, d’autres un manque de soutien évident de la part d’une écurie McLaren aux abois. Gaëtan Vigneron, commentateur des Grands Prix sur la RTBF, va même jusqu’à affirmer qu’"Alonso a tout fait pour affaiblir Vandoorne".
"Un pilote se bat toujours contre son écurie, contre son équipier et contre tous les autres pilotes et teams du plateau. Et c’est ensuite à lui de savoir déceler la faille chez ses adversaires pour gagner. Aujourd’hui, il ne l’a clairement pas trouvée. Alors comment l’expliquer ? Est-ce un problème mental ? S’est-il mis à gamberger à un moment donné ? Cela peut être la totalité de toutes ces raisons ou encore tout à fait autre chose. Tellement de paramètres entrent en jeu à ce niveau de la compétition. Je déplore ce qui lui arrive, car il y a beaucoup de gâchis dans cette histoire. Maintenant, si Stoffel se remet à gagner en Formule E, il aura prouvé à McLaren qu’ils ont commis une grosse erreur en se séparant de lui. C’est tout le mal que je lui souhaite."
Outre la déception Vandoorne, cette saison 2018 a bien évidemment été marquée par le cinquième sacre mondial de Lewis Hamilton et par les erreurs à répétition de Sebastian Vettel. Où le pilote Ferrari a-t-il perdu le championnat, selon vous ?
"Hamilton a gagné le championnat en Allemagne. Là-bas, il a définitivement pris l’ascendant psychologique sur Vettel. Sebastian ne s’est jamais remis de cette erreur d’Hockenheim et depuis il n’a cessé de commettre bêtise sur bêtise. À tous les Grands Prix, il a fait une connerie ! Prenez par exemple Austin, où il roule trop vite sous drapeau rouge en essais libres. Tant pis pour lui, il aura perdu ce titre tout seul. Ferrari n’est en rien responsable de sa défaite. Sans ses fautes à répétition, Vettel aurait pu dominer le championnat ou du moins rester en lice pour le titre jusqu’au bout face à Hamilton. C’est très décevant de la part d’un pilote qui auparavant n’en commettait que très rarement."
Cette fébrilité chronique de Vettel depuis deux saisons maintenant chez Ferrari ne justifie-t-elle pas la thèse de ceux qui estiment le pilote allemand est un peu surcoté depuis sa période dorée chez Red Bull ?
"Non, je ne le crois pas. Vettel reste un très bon pilote. Il a quand même gagné des courses difficiles avec Ferrari. Il a dominé certains Grands Prix alors que les performances de sa machine étaient assez limites. Sebastian a également toujours devancé Räikkönen. Toujours. On verra bien si l’année prochaine il est capable de rebondir. Je pense toutefois que Vettel est en fin de carrière. Il n’arrive plus à s’autocontrôler comme il savait si bien le faire par le passé. Avant, il parvenait davantage à gérer son comportement et ses erreurs. Il vaudrait peut-être mieux qu’il arrête. Place aux jeunes, comme on dit !"
En parlant de jeune pilote, l’un d’entre eux a tout particulièrement impressionné cette saison pour ses grands débuts dans la catégorie reine. Pensiez-vous Charles Leclerc capable d’atteindre un tel niveau de compétitivité dès son arrivée dans la discipline ?
"Leclerc a réalisé des performances incroyables cette année en qualification comme en course. Mais il suffit de se pencher sur ses précédents faits d’armes dans les formules de promotion pour s’apercevoir qu’il était déjà impressionnant avant de grimper en Formule 1. Il a notamment réussi quelques courses bluffantes en Formule 2. Mais, outre ses qualités intrinsèques de pilote, il disposait cette année de nombreux éléments en main pour performer. À commencer par un excellent moteur et une bonne voiture, ce qui n’était pas garanti à l’avance. Ces dernières saisons, Sauber n’avait jamais construit une très bonne auto. Charles a profité d’éléments qui lui ont été favorables, mais il a parfaitement su les utiliser tout en gardant la tête sur les épaules."
Charles Leclerc évoluera chez Ferrari l’an prochain aux côtés de Sebastian Vettel. A-t-il déjà les épaules suffisamment larges pour se frotter dès sa seconde saison en Formule 1 à un quadruple champion du monde de la discipline ?
"Leclerc aura forcément plus de pression l’an prochain, car sa place est enviée par beaucoup de monde dans le paddock. Tous les autres pilotes vont jalouser le volant qu’il aura en main et il devra apprendre à vivre avec. Comment va-t-il gérer cette nouvelle pression ? Bien, je l’espère. Je suis persuadé d’une chose en tout cas : Leclerc va faire une bouchée de Vettel. Il va montrer à Sebastian qu’il est temps pour lui d’arrêter. Charles a un autre dynamisme, c’est vraiment une fleur qui s’épanouit. À l’inverse, Vettel donne l’impression d’être tout le temps déprimé quand il parle ou quand cela ne marche pas. Il est fatigué et fatigant à entendre."
"Je dois ma carrière à Zolder"
L’impressionnante carrière de notre pilote a débuté dans le Limbourg.
Pour entrer encore plus dans la mémoire des amateurs de sports auto, il faut avoir une chicane à son nom. C’est le cas de Thierry Boutsen. Une chicane du circuit de Zolder porte désormais son nom. Et cela représente beaucoup pour lui.
"Un peu de reconnaissance quand même. J’ai appris à conduire une voiture de course à Zolder. C’est aussi là-bas que j’ai signé ma première victoire et que je me suis fait connaître. Les sept premières années de ma vie sportive sont liées à ce que j’ai pu réaliser, apprendre et démontrer sur le circuit de Zolder. J’y ai roulé en Formule Ford, en Formule 3, en Formule 2, en Formule 1 et même en course de Tourisme. J’ai remporté de très nombreuses courses sur ce tracé. Si j’ai connu une telle carrière, je le dois également à Zolder car le circuit m’a sponsorisé à un moment donné."
Un soutien financier qui s’est matérialisé de différentes manières.
"Je portais sur ma voiture un autocollant Racing for Zolder. Ce soutien financier m’a permis de franchir les étapes une à une de la Formule Ford à la Formule 3, en passant par la Formule 2 avant de grimper en F1. Je dois beaucoup à Zolder. Je crois de mon côté leur avoir aussi pas mal apporté en retour. Ils ont cru en moi et cela a fonctionné. Mon ascension en sport automobile leur a bien évidemment été profitable en termes d’image et de notoriété."
"De pareilles émotions avec l'aviation"
Lors de sa précédente visite sur le Sportel Monaco, Thierry Boutsen a déclaré prendre autant de plaisir aujourd’hui au sein de sa société Boutsen Aviation que dans son passé de pilote de course. Le stress d’un départ, l’excitation d’un dépassement au cordeau, l’adrénaline d’une grande courbe passée à fond ou encore l’ivresse d’une victoire seraient-ils aussi facilement remplaçables ?
“Quand vous vous apprêtez à vendre un avion à 100 millions de dollars et qu’une fois arrivé au moment de la signature la personne devant vous hésite à signer, vous éprouvez le même stress que lors d’un départ de Grand Prix. Ça, je peux vous le jurer ! Les émotions sont exactement les mêmes. La signature dudit contrat équivaut dès lors à une victoire. C’est comme si vous aviez gagné la course (sourire) . Le contexte est bien évidemment différent, mais l’adrénaline nécessaire pour réaliser des exploits sur un circuit comme dans la vente est en tout point comparable.”