"Hello, I'm Diego" : Van Der Elst, Pfaff, Veyt et Frutos reviennent sur leurs souvenirs de Diego Maradona
Récit de la demi-finale du Mondial 86 entre la Belgique et… Maradona
- Publié le 02-08-2019 à 07h56
- Mis à jour le 25-11-2020 à 19h23
Récit de la demi-finale du Mondial 86 entre la Belgique et… Maradona. Invités VIP à la première du documentaire choc sur la carrière de Diego Maradona au Kinepolis, les anciens Diables Rouges Jean-Marie Pfaff (65 ans), Leo Van der Elst (57 ans) et Danny Veyt (62 ans) ont souvent repensé à ce 25 juin 1986 au Stade Azteca à Mexico. Un seul homme avait privé la Belgique de la finale de la Coupe du monde en inscrivant deux fois : El Pibe de Oro , Diego Maradona. Voici récit de ce match inoubliable.
Pour rappel : la fameuse aventure mexicaine de nos Diables avait mal débuté. Le Mexique avait battu la Belgique 2-1, et le 2-1 contre l’Iraq et le 2-2 contre le Paraguay n’étaient pas très rassurants. Mais nos Diables avaient étonné le monde entier en éliminant l’URSS (4-3) et l’Espagne (1-1 et 5-4 aux tirs au but).
L’Argentine, elle, s’était débarrassée de l’Angleterre grâce à la main de Dieu de Diego, qui avait doublé le score après un slalom historique. Les Diables et leur coach fédéral Guy Thys étaient avertis. Danny Veyt, titulaire surprise au Mondial : "Et pourtant, on n’avait pas de plan particulier pour contrer Maradona. Les séances théoriques de Thys se limitaient à quelques minutes. Son message était toujours le même : ‘Mouillez votre maillot, les gars !’ "
110 420 personnes étaient présentes dans le Stade Azteca pour la première demi-finale de l’histoire de la Belgique. Avant le match, un seul Belge avait adressé la parole au capitaine argentin : Jean-Marie Pfaff. "On se connaissait du match entre la Belgique et l’Argentine au Mondial 1982. J’allais soi-disant devoir me retourner sept fois, mais j’avais gardé le zéro. Ludo Coeck avait fait un superbe match face à Maradona, et moi, j’avais tout arrêté. Par hasard, les parents de Maradona logeaient dans notre hôtel. Quand Diego est venu leur rendre visite, on s’est parlé pour la première fois. Il a dit que j’étais l’idole de son frère, qui était aussi gardien. Je lui ai offert mes gants, et il m’a donné son maillot."
Retour à la demi-finale de 1986. Pendant la première mi-temps, les Diables tiennent bon et se font même voler par l’arbitre. À la 26e, Jan Ceulemans lance Veyt vers le gardien Pumpido. L’arbitre mexicain Ramirez siffle hors-jeu à l’initiative de son juge de touche. Veyt : "Un scandale. Je crois que je suis parti quatre mètres derrière le dernier défenseur. Vérifiez-le sur YouTube ! J’étais dans la forme de ma vie, j’étais sûr à 100 % de marquer. J’étais tellement fâché, que je me suis pris une jaune. Et vous savez quoi ? Encore maintenant, j’y pense tous les jours et je me fâche. Au lieu d’être transféré de Waregem au Club Liégeois, j’aurais pu réaliser un transfert bien plus lucratif. Est-ce que l’Argentine de Maradona devait gagner ce match ? Dieu seul le sait… Je ne sais pas non plus si on aurait tenu le 0-1. Mais avec notre équipe de contre-attaque, cela aurait été fort possible… Eh oui, Danny Veyt de Sint-Amands aan de Schelde aurait pu être la star de ce match, et non pas Maradona."
Quelques minutes plus tard, rebelote. Cette fois, c’est Vercauteren qui file seul vers le gardien argentin, après une nouvelle passe de Ceulemans. Le hors-jeu était toutefois moins flagrant. "Au moment même, on n’en a pas fait un scandale , dit Veyt. On était déjà contents d’être en demi-finale."
La seconde mi-temps est plus compliquée, surtout quand Pfaff sort trop vite de son but pour contrer Maradona, entouré de deux défenseurs. Diego en profite et le trompe de la pointe du pied. Son second but - après un nouveau solo - est plus brillant. Maradona est le héros du match.
Après la rencontre, les Diables ne se battent même pas pour le maillot de Maradona. Veyt : "On savait qu’il n’y en avait qu’un qui l’aurait : Jean-Marie. Il était notre seule véritable star." Pfaff sourit : "Oui, j’ai reçu son maillot, et je lui ai donné le mien. Le respect entre nous deux était immense."
Le moment de gloire de Leo Van der Elst, auteur du tir au but décisif contre l’Espagne, devait encore avoir lieu. "Je n’avais pas joué une seule minute contre l’Argentine, mais j’étais désigné pour le contrôle antidopage. On m’avait amené dans un petit local de neuf mètres carrés, mais je ne parvenais pas à uriner. Soudainement, deux gardes du corps sont rentrés dans cette chambre, accompagnés par… Maradona. Normalement, j’ai une grande gueule. Mais là, j’étais bouche bée. J’ai seulement pu prononcer : ‘Hello, I am Leo.’ Lui, il a répondu : ‘Hello, I am Diego.’ Pour le reste, c’était le silence absolu, jusqu’au moment où on a fait pipi ensemble… C’était le pipi le plus inoubliable de ma vie."
Argentine : Pumpido, Ciciuffo, Brown, Ruggeri, Olarticoechea, Giusti, Batista, Burruchaga (86e Bochini), Enrique, Maradona, Valdano.
Belgique : Pfaff, Gerets, Demol, Renquin (53e Descmet), Vervoort, Scifo, Grün, Ceulemans, Vercauteren, Veyt, Claesen.
Arbitre : Ramirez (Mex).
Avertissements : Veyt, Valdano.
Les buts : 52e Maradona (1-0), 63e Maradona (2-0).
"Je suis resté une heure dans sa maison à Dubaï"
Pfaff avait organisé un match avec Maradona à Anvers en 2016, mais Diego lui a posé un lapin : "Je lui ai pardonné."
Novembre 2016. Trente ans après le fameux match entre l’Argentine et la Belgique, Jean-Marie Pfaff organise le match de la revanche dans la Lotto Arena à Anvers, à côté du Sportpaleis.
"J’avais été chez Maradona à Dubaï pour tout organiser, dit Pfaff. Il m’avait invité chez lui pour signer la convention. J’étais allé sur place avec Kelly, ma fille. C’était une sacrée aventure."
Les mesures de sécurité étaient draconiennes. "D’abord, il fallait s’identifier pour pouvoir rentrer dans sa rue, dit Pfaff. Arrivés à son domicile, on nous a dit d’attendre devant sa porte. Après une dizaine de minutes, la porte nous a été ouverte par un garde du corps, qui nous a guidés vers le salon, où on pouvait s’installer dans le fauteuil. Encore une dizaine de minutes plus tard, Diego est arrivé, à la main de sa jeune compagne."
Les retrouvailles étaient chaleureuses. "Il m’appelle toujours : ‘Jean-Marie, le plus grand gardien du monde.’ Ce n’était pas la première fois qu’on se revoyait depuis 1986. On se rencontre parfois à des matchs où on est invités par la Fifa. Et on a participé à des matchs de gala pour Beckenbauer ou Platini. Il m’aime bien et vice versa."
Pfaff est resté une heure à la maison de Maradona. "Je sentais qu’il avait un coup de pompe après un quart d’heure. Mais il avait promis de venir et avait signé les papiers."
Le match était initialement prévu en août 2016. "Mais il avait déclaré forfait à la suite d’une blessure à l’épaule. On avait remis le match au mois de novembre. Quelques jours avant le grand moment, il a annulé. Je ne sais toujours pas pourquoi. Au début, j’étais très déçu. Maintenant, je lui ai pardonné."
Les sponsors qui avaient déboursé des milliers d’euros pour les billets d’avion, les chambres d’hôtel, le transport sur place et la sécurité, eux, ont toujours du mal à digérer le forfait inattendu de la star Diego...
Frutos : "Il reste le meilleur de tous les temps"
Les trois Diables étaient sous le choc, l’ex-Anderlechtois était même ému et l’a même défendu.
Le film Diego Maradona. Héros. Rebelle. Tricheur. Dieu. du réalisateur Asif Kapadia a fortement impressionné l’audience. "Ce qui m’a le plus frappé, c’est la tristesse dans son regard quand il n’était pas sur le terrain pour jouer au football, dit Leo Van der Elst. Il a vécu avec une peur constante."
Danny Veyt confirme : "Je savais à travers les médias qu’il avait vécu des moments difficiles, mais j’ignorais qu’il avait connu l’enfer. Les images de ce film inédites nous l’apprennent."
Jean-Marie Pfaff préfère retenir le positif. "C’est un joueur formidable, mais aussi une personnalité magnifique. Seulement, il est entré en contact avec de mauvaises personnes de la mafia napolitaine. Il a commis l’erreur de sortir en boîte de nuit, alors qu’un sportif doit rentrer chez lui. Les autres se moquaient de moi parce que j’allais dormir aux côtés de ma Carmen à neuf heures du soir. Je ne suis pas honteux de dire que c’est vrai."
Le spectateur le plus attentif de tous dans la salle 22 du Kinepolis était l’ex-Anderlechtois Nicolas Frutos, le compatriote de Maradona qui l’a toujours considéré comme un Dieu. "Le film était fort émouvant et choquant, surtout pour les personnes qui ne connaissaient pas son histoire, dit Frutos. Moi, qui suis fanatique de lui et qui connais son parcours, ce n’était pas vraiment nouveau."
L’avis de Frutos n’a pas changé. "Il reste un phénomène comme il n’en existe pas d’autres. Pour moi, il est le meilleur joueur de tous les temps. Il a été champion avec Naples, un club de bas de tableau. Et si l’Argentine est respectée, c’est grâce à ce petit qui nous a tous fait rêver."
Nicolas Frutos n’hésite d’ailleurs pas à défendre son compatriote. "Les gens pensent qu’il était toujours sous l’effet d’alcool et d’autres substances, mais ce n’est pas vrai. Pour pouvoir gérer son anxiété, il a pris beaucoup de médicaments. Il n’a pas su gérer la pression, et on l’a laissé seul…"
Et quid de son but de la main ? Frutos : "On dit qu’il a triché, mais vous avez vu le coup de coude qu’il s’est pris contre les Anglais ? C’était la rouge. Ensuite, il a marqué le but le plus beau de l’histoire de la Coupe du monde, en altitude, par 36 degrés, malgré la pression provoquée par la guerre des Falklands. Ce qu’il a fait pour l’Argentine est extraordinaire."