Transferts dans les écoles des jeunes, le coup de gueule du boss du Sporting Charleroi : "Les grands clubs agissent de manière sauvage"
En trois ans, Charleroi a vu 23 de ses talents rejoindre des plus grosses écuries belges. (...) Comme Charleroi, Pierre Locht, directeur de l’Académie du Standard, regrette certains agissements entre clubs. (...)
- Publié le 09-05-2019 à 07h58
- Mis à jour le 09-05-2019 à 11h22
En trois ans, Charleroi a vu 23 de ses talents rejoindre des plus grosses écuries belges.
"Ils agissent sans foi ni loi, c’est une sorte de jungle, un terrain sur lequel rien n’est vraiment réglementé" : c’est un coup de gueule qu’a décidé de pousser Alain Decuyper, le directeur technique de l’école des jeunes de Charleroi. Cette saison, huit jeunes joueurs zébrés ont quitté le Sporting pour de plus grosses écuries du royaume.
Un phénomène loin d’être nouveau qui agace jusque dans les plus hautes sphères de la direction carolo bien souvent impuissante face à la situation…
Quelle est la situation actuelle pour l’école des jeunes du Sporting Charleroi ?
"Notre école des jeunes a perdu 23 top talents en trois ans. Le Standard est venu en chercher 9, Anderlecht en a pris 7 et Bruges un peu moins. C’est le G5 qui agit. Notre travail est toujours le même : nous partons à la recherche d’un talent, nous le découvrons, faisons les efforts pour lui donner les bases. Puis, une fois que le garçon est prêt à performer et que son avenir chez nous est tracé, un grand club nous le pique. C’est comme si je faisais un bon petit plat à la maison, que j’étais prêt à le manger puis que quelqu’un venait piquer dans mon assiette…"
Fin 2017, la Pro League a voté la mise en place d’un "gentlemen’s agreement" qui interdit le vol des jeunes talents entre clubs belges. Cet accord a-t-il été respecté ?
"Le gentlemen’s agreement avait été imaginé il y a 2 ans, via une demande notamment de Mehdi Bayat. L’objectif était d’instaurer un système régulant les transferts entre les clubs de la Pro League. Nous étions arrivés au fait qu’il fallait des circonstances vraiment spéciales pour qu’un joueur puisse muter d’un club à un autre en deçà de 17 ans. L’année passée, nous n’avons perdu que deux joueurs car tous les clubs étaient sur la défensive. Mais le système mis en place n’a pas eu d’impact concret, c’est reparti de plus belle cette saison."
Comment les clubs agissen-ils pour réaliser ces transferts de jeunes joueurs ?
"Le scouting programmé par les clubs est un peu sauvage. Je donne un exemple : la semaine passée, un joueur U11 de Charleroi se fait scouter par Anderlecht. Le scout saute sur les parents et leur annonce qu’Anderlecht veut le joueur, qui aura de très bonnes conditions s’il vient à Bruxelles. C’est beaucoup de pression, à tel point que la maman ne savait pas quoi répondre. Je l’ai prise dans mon bureau pour la rassurer et lui expliquer en détail notre projet. Deux jours après, la maman reçevait cinq coups de téléphone de la cellule recrutement d’Anderlecht avec des garanties sportives et financières… Ils agissent de manière sauvage sans jamais nous demander une autorisation."
Que prommettent ces clubs de plus que Charleroi ?
"Je peux donner des exemples : on a promis aux parents d’un joueur une voiture pour leurs déplacements. Dans un autre cas, le club prend en charge les frais de déplacement et la chambre d’hôtel pour les week-ends et la création d’un nouveau compte en banque sur lequel on dépose de l’argent pour les enfants de moins de 12 ans. Ces clubs ont des moyens disproportionnés par rapport à nous."
Quels sont les arguments de Charleroi pour convaincre les jeunes de rester au club ?
"En U14, nos trois meilleurs joueurs sont partis vers le Standard et Anderlecht... Dès le mois de janvier, les parents avaient été convoqués dans mon bureau. Ils ont reçu la garantie d’un projet solide qui conduirait leurs enfants vers l’équipe première. Ils ont reçu des avantages modestes de notre part et nous leur avons fait signer une convention par laquelle ils s’engageaient pour la saison prochaine. Ils l’ont signée, sans aucune pression de notre part. Trois mois plus tard, ils l’avaient aussi signée dans un autre club…. Un des jeunes devait être reçu par Mehdi Bayat. On ne pouvait pas lui donner de contrat car il n’avait que 14 ans mais on pouvait lui faire la promesse d’un contrat. Mais cela n’a pas de poids…"
Que répondez-vous aux clubs belges qui expliquent qu’eux se font voler par les clubs internationaux ?
"C’est peut-être une réalité mais cela n’a rien de comparable en nombre de joueurs perdus. En trois ans, j’ai perdu 23 joueurs : combien de joueurs d’Anderlecht sont partis sur les trois dernières années vers l’étranger ? Peut-être trois ou quatre. Les dégâts sont plus importants pour nous. C’est la théorie du gros poisson qui mange le petit."
Quelles seraient les solutions pour régler ce problème de "vols" de joueurs ?
"Je souhaiterais qu’on limite le nombre de transferts réalisables dans un club. On ne pourrait venir chercher que trois ou quatre joueurs à Charleroi par exemple, toutes divisions confondues. Aussi, les clubs devraient annoncer leurs intentions au plus tard pour le 1er mars. Pour le moment, les départs se font sans que nous ne soyons avertis de rien. On l’apprend souvent par des rumeurs ou par la désaffiliation des jeunes… Il faudrait aussi une procédure permettant d’établir des contacts entre les clubs pour annoncer la venue du scout et pour que les choses se fassent avec une certaine clarté."
Malgré le contexte, comment voyez-vous le futur à l’école des jeunes du Sporting ?
"Nous devons continuer à travailler et à progresser dans la qualité. Pour que, finalement, les départs soient moins ressentis. Le niveau de la formation au Sporting augmente. La preuve est qu’on nous vole de plus en plus de jeunes… Les choses bougent, il y a un vrai travail de refondation de l’école des jeunes qui est fait depuis 4 ans. Nous arrivons dans la phase de concrétisation."
"Le Standard est pour un nouveau règlement"
Comme Charleroi, Pierre Locht, directeur de l’Académie du Standard, regrette certains agissements entre clubs.
Les grands clubs respectent-ils le règlement de la Pro League interdisant de "voler" les jeunes joueurs de moins de 17 ans sous peine d’indemnités de formation multipliées par dix lors de la signature d’un contrat professionnel ? Pierre Locht, directeur de l’Académie du Standard, a accepté de répondre à cette question.
"Ce règlement a été voté il y a un peu plus d’un an à l’unanimité à la Pro League mais dès les jours qui ont suivi ce vote, plusieurs clubs, dont Genk, Anderlecht et Bruges, ont fait marche arrière et en ont contesté la validité ou la pertinence. Au Standard, nous avons toujours été en faveur de restrictions et nous avons d’ailleurs appliqué le nouveau règlement durant la saison dernière, afin de prouver notre bonne foi. Nous n’avons pris aucun joueur d’un autre club de Pro League. Mais en agissant de la sorte, nous sommes vite devenus le dindon de la farce car les autres clubs ont continué leurs méthodes."
Donc le Standard a embrayé. Et la guerre des jeunes a repris de plus belle. Mais comme Charleroi, le club liégeois souhaite l’encadrer. "Lors de la dernière réunion avec les directeurs de centre de formation, nous avons soumis l’idée de limiter le nombre de joueurs qu’un club peut aller chercher dans un autre club. Et tout comme Charleroi, nous sommes partisans pour qu’une liste des joueurs ciblés soit établie, dès le mois de janvier, même, afin de plus facilement démêler le vrai du faux."
Le directeur de l’Académie des Rouches met également en exergue le rôle de l’entourage des jeunes joueurs dans les faits. "Si je prends l’exemple des trois joueurs qui viennent de Charleroi, tous se sont proposés eux-mêmes, sauf un. Les agents ou les parents viennent nous trouver, à la moindre insatisfaction, en disant qu’ils veulent quitter leur club actuel pour rejoindre le Standard car dans leur tête, vu nos infrastructures, nous rejoindre, c’est franchir un palier. Quand le joueur est effectivement une plus-value et correspond à nos critères, oui, on le prend. On préfère cela que le voir signer à Genk ou à Anderlecht. Et à côté de cela, nous refusons beaucoup de joueurs."
Dans tous les grands clubs, les mêmes méthodes sont utilisées. Au risque de payer des indemnités parfois colossales au moment de la signature du premier contrat professionnel. "Mais le premier cas d’espèce n’est pas encore arrivé", termine Pierre Locht.
"Exemplaire déontologiquement"
Jean Kindermans, directeur de la formation au RSCA, estime que le club est droit dans ses bottes.
À Anderlecht, on ne dit "ne pas se sentir concerné" par le coup de gueule de Charleroi. Jean Kindermans, directeur du centre de formation, estime que le Sporting respecte parfaitement le règlement. "Le RSCA investit beaucoup d’argent dans la formation et on en récolte les fruits. C’est donc logique d’aller chercher les très bons joueurs des autres clubs. Mais on le fait toujours avec une approche exemplaire au niveau de la déontologie. Et il faut savoir aussi que l’initiative vient souvent des parents, de l’accompagnateur ou de l’agent du joueur. Ils sont intéressés par les bonnes conditions de travail chez nous. Certains clubs se plaignent facilement, je ne vise pas Charleroi ici, mais ils n’investissent que des cacahuètes dans la formation. Nous, on y met beaucoup d’argent. Et nous aussi, on nous prend des joueurs."
Charleroi estime qu’Anderlecht en pique beaucoup plus qu’il n’en perd. "Oui, mais quand un club étranger vient nous prendre un joueur, c’est un top du top. Ça nous fait très mal et on est mal protégé à l’international, bien moins que les petits clubs par rapport aux grands en Belgique. Le RSCA respecte toutes les règles. Et si les règles changent, on s’adaptera."
Anderlecht n’est d’ailleurs pas opposé à la date du 1er mars proposée par Charleroi pour prévenir le club du départ d’un jeune. "On a déjà demandé de nombreuses fois à la Pro League de modifier la date actuelle, le 30 avril. Que ce soit avant ou après, mais plus cette date qui est mal choisie. Souvent, le club apprend le 30 avril qu’un de ses jeunes s’en va puis le pénalise en lui interdisant les matchs et même les entraînements. Où est le respect pour le jeune qui s’était affilié pour toute une saison ?"