Rencontre avec Jordan Remacle : "J’ai quitté le monde du foot au bon moment"
- Publié le 23-11-2018 à 06h35
- Mis à jour le 23-11-2018 à 09h39
Jeune retraité, Jordan Remacle (31 ans) a changé de vie. Il se lève à 8 h 30 pour aller travailler et évolue à Solières, en D2 amateurs. Bien loin du monde professionnel qu’il a quitté, dégoûté, il y a quelques semaines. Le cadre a changé. Le stade du pays de Charleroi, qui était encore son jardin la saison passée, a laissé place aux installations plus modestes de Solières Sport (D2 amateurs). Le training, aussi, a changé. Les rayures zébrées ont laissé place au rouge du club hutois, sur lequel est floqué le numéro 77. Mais lui, il est toujours bien le même. À 31 ans, Jordan Remacle, qui a mis fin à sa carrière professionnelle il y a quelques semaines, est toujours le personnage sympathique et sans filtre qu’il a toujours été. À quelques jours de la rencontre entre Lokeren et Charleroi, deux de ses anciens clubs, le natif de Verviers fait le point, avec nous, sur sa nouvelle vie. Il évoque aussi ses souvenirs, les bons et les moins bons, ainsi que son regard sur les affaires qui ébranlent le football belge. Entretien sincère et décapant, à l’image du joueur.
Jordan, comment se passe votre nouvelle vie, entre le boulot et le foot ?
"Bien, très bien. J’ai eu un peu de mal à trouver le rythme durant les trois ou quatre premières semaines. J’étais très fatigué. Quand je travaille à 8 h 30 et que j’ai entraînement à 19 h 30, cela me fait rentrer chez moi à 22 h 30-23h. C’est un rythme de vie différent. Mais il me convient."
En quoi consiste votre boulot chez Overdrive (une entreprise de préparation de véhicules automobiles pour la compétition) ?
"Je fais un peu de tout. Je vais chercher des pièces, on m’explique plein de choses. Le secteur est fort ouvert. J’ai toujours été un passionné de sport mécanique, de Moto GP, etc. Donc l’opportunité qui m’a été offerte tombait parfaitement bien…"
Aucun regret d’avoir arrêté le foot professionnel, donc ?
"Quand je vois certaines équipes, je ne cache pas qu’il m’arrive de me dire que j’aurais ma place. Mais j’ai été professionnel durant seize ans. Ce n’est pas comme si je n’avais jamais joué. C’est peut-être le bon moment pour me changer les idées. J’avais envie de décider moi-même de ma fin de carrière. Et je dois admettre que le fait d’avoir passé quatre ou cinq mois sans club m’a fait prendre conscience du plaisir que j’avais à passer du temps avec ma famille. J’ai eu le temps de me rendre compte que c’était le bon moment."
Mais vous aviez eu des propositions, quand même. De Dudelange, notamment.
"Oui… et j’en ai encore. J’ai récemment reçu une proposition d’une D1 écossaise."
Vous y réfléchissez ?
"Je réfléchis à tout. Le football reste une passion. Et jouer devant 30 000 personnes ou devant 56 personnes, ce n’est pas la même chose."
Quand vous repensez à la fin de votre histoire avec Charleroi, quel est le sentiment qui domine ?
"Un peu la déception car… ça m’a mis dans la merde, tout simplement. Cet été, beaucoup de clubs se sont demandés si je savais toujours jouer au foot. Si je n’étais plus blessé. Alors que ça fait six mois que je jouais avec la réserve et que je m’entraînais parfaitement. La décision de ne plus me faire jouer a été prise par Mehdi Bayat. Il voulait mettre ses joueurs en avant, ceux qui avaient des contrats plus longs que le mien, pour pouvoir les vendre."
Qui vous a annoncé que vous n’alliez plus jouer ?
"Monsieur Mazzù. Il a été le seul honnête dans l’histoire et m’a dit que je pourrais être aussi fort que je le voulais, ou meilleur qu’un autre, je ne serais pas le premier choix. C’est le plus décevant. Car j’ai galéré pour revenir en forme. Et une fois que je l’ai été, on m’a dit que je ne jouerais plus. Alors que les résultats n’étaient pas bons. Finir sixièmes des PO1 avec rien dans les mains, j’aurais pu le faire aussi."
Sans cette consigne de Mehdi, vous seriez toujours à Charleroi ?
"Je pense que mon contrat aurait été prolongé, oui. Moi, j’avais cette volonté, en tout cas. Même si en décembre, le docteur Declercq, qui m’a opéré, m’a dit que ma carrière était plus que probablement terminée car je n’arrivais pas à sortir de ma blessure au genou. De moi-même, j’ai été voir un autre médecin, le docteur Bonjean du Standard. Il a vu mon IRM et m’a dit que j’avais juste besoin de temps. Je l’ai écouté. Et j’ai même rejoué en stage. J’ai alors senti que c’était… un peu emmerdant. Le club carolo aurait sans doute préféré que je ne revienne pas, comme il l’avait décidé."
Aujourd’hui, votre genou, il va comment ?
"Parfaitement bien. Je n’ai plus rien. Il m’a pourri la vie durant des mois et des mois. Et le jour où j’ai été enfin débarrassé de cette blessure, on m’a dit que je ne jouerais plus. Ça a donné l’impression aux autres clubs que je ne pouvais plus jouer au football. Ce qui m’a un peu mis la corde au coup."
Vous en voulez à Mehdi Bayat ?
"Qu’il ait décidé que je ne joue plus, ce n’est pas un souci. Mais j’étais en fin de contrat. Ils auraient pu me faire rentrer de temps à autre pour montrer au foot belge que j’étais toujours prêt. Lui et moi, on a eu une conversation lors du stage hivernal, l’an dernier. il’avait dit : ‘Jo, on va se laisser jusqu’à la fin de la phase classique et que ce soit en bien ou en mal on se revoit’ . Et à l’heure actuelle, je ne l’ai toujours pas revu. Tout ce qui m’a été dit, c’est par Felice Mazzù. C’est le seul qui a eu les couilles de me parler."
Cela vous a dégoûté ?
"Oui, mais que voulez-vous que je fasse ? J’en ai pas fait d’histoire à ce moment-là. Je ne vais pas en faire maintenant."
Parlons un peu de votre nouveau club, Solières. Quelles sont vos statistiques ?
"Trois buts, deux assists. Mais bon, c’est un autre football, hein. C’est beaucoup plus physique. Ici, ça rentre dedans. Les équipes compensent le manque de qualité par le physique. On n’a pas le temps de respirer."
Vous prenez quand même du plaisir ?
"C’est compliqué. Le plaisir est différent. Ma fin de carrière professionnelle, c’est encore assez chaud, assez nouveau. Avec le temps, ça va se faire. Dans ma tête, je suis encore en train de passer l’étape entre le monde professionnel et le monde amateur. Je suis peut-être trop exigeant, avec mes équipiers, avec la direction… Mais c’est à moi à changer et pas le contraire."
Dans votre tête, le bouton n’est pas complètement tourné. Si vous réfléchissez à la proposition d’Écosse, c’est que vous estimez pouvoir encore faire quelque chose…
"Bien sûr que je peux encore faire quelque chose. J’ai été honnête avec tout le monde. J’ai appelé le coach et le président, Jean-Marc Fortin, qui m’a donné la chance de pouvoir travailler à Overdrive tout en jouant ici. Ils sont au courant de la situation. Je joue carte sur table."
Dans le vestiaire, on imagine que vous avez un rôle important pour encadrer les plus jeunes.
"J’essaie d’en avoir un. Je discute avec le staff, avec certains joueurs. Avec ceux qui comprennent ce que je veux, en tout cas. Il y en a deux ou trois, je leur ai parlé et j’ai directement compris qu’ils n’avaient pas envie d’écouter. Donc je ne cours pas après eux. Mais dans l’ensemble, ça se passe bien."
Avec le recul, quand vous jetez un coup d’œil dans le rétro, quels sont les meilleurs et les pires moments de votre carrière ?
"Les meilleurs, ce sont la montée avec Louvain et la qualification en Coupe UEFA avec Lokeren, après avoir gagné la Coupe de Belgique. Et les mauvais, ma blessure à la cheville avec Lokeren alors que j’avais des contacts pour partir au Chiévo Vérone. J’ai aussi l’un ou l’autre regret : avoir quitté Genk trop tôt, avoir dit non à Heerenveen, avec Van Basten. Et je regrette aussi mon échec à l’Antwerp, un club qui me tenait à cœur. Car j’ai toujours dit que c’était le plus grand club de Belgique dans lequel j’avais joué. Aujourd’hui, ils sont là où ils doivent être."
Il a quoi de spécial, ce club ?
"Il est différent. À part. Mythique. Immortel. Au premier entraînement de l’année, il y a 6 000 supporters présents. C’est presque autant que dans le stade de Charleroi."
Maintenant que le monde du foot pro est derrière vous, il vous manque ?
"Je me suis adapté à mon nouveau rythme. Et quand je vois les bouleversements qu’il y a dans le foot actuellement, je pense que j’ai arrêté au bon moment…"
Justement, quel est votre avis sur les affaires qui secouent le foot belge ?
"Je ne suis pas spécialement étonné. Comme tous les joueurs, je crois. Et si personne n’est étonné, c’est qu’il y a une raison. Le football est un milieu où il y a beaucoup d’argent. Et donc le risque de problème augmente."
Vous avez déjà joué un match truqué ?
"Non, du tout. D’ailleurs, c’est la partie qui m’a le plus étonné : celle des arbitres. Quand même… Mais bon, ils gagnent 2 500 euros par match. Et au fil de ma carrière, j’ai appris que tout pouvait s’acheter. Donc pourquoi pas un arbitre ? Mais il ne faut pas faire d’amalgame non plus. Chaque erreur d’arbitrage ne veut pas dire match truqué. Il ne faut pas tout remettre en cause non plus."
Nettoyer le foot belge, ça vous paraît possible ?
"Le sac de nœuds est bien plus gros que ça. Arbitres, agents, dirigeants, tout est sujet à corruption."
Les joueurs aussi ?
"C’est plus compliqué… car le football est un sport d’équipe. Si un joueur est payé et que, à côté de lui, il y en a dix qui font le boulot, ce n’est pas ça qui va faire la différence. Il faudrait acheter toute une équipe. Mais bon, ça coûte moins cher d’acheter les plus petites équipes…"
Dans votre carrière, certains de vos ex-équipiers ont également parié sur des matchs.
"Cela ne m’étonne pas non plus. Cela se fait, cela se fera. Quand un joueur demande à un ami d’aller parier 200 euros sur son match, l’histoire est réglée. Et qui va le savoir ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin."
C’est quoi la solution, alors ?
"Il n’y en a pas."
Et que vous inspire la situation de Mogi, qui est votre agent ?
"Depuis ma fin de contrat à Charleroi, je n’ai pas eu un seul coup de téléphone. C’était mon agent depuis cinq ou six ans. Quand je suis parti de Gand à Lokeren, il était là. Quand j’ai explosé à Lokeren aussi. Je lui donnais un coup de fil, il répondait. Mais cet été, rien. Plus aucun club ne m’a contacté. Que ce soit D1, D2, D3, D4, D5, D6. Plus personne ne me voulait. Il m’a fait croire qu’il travaillait mais rien ne s’est fait. D’ailleurs, les contacts que j’ai eus avec Dudelange, ce n’était même pas par lui."
Vous n’avez pas pensé à changer d’agent ?
"Si mais il a, enfin, il avait, le monopole du marché. Peu importe le transfert que j’allais faire, cela allait passer par lui. Et c’était mon agent, où tout s’était bien passé, j’étais content. Donc je ne voyais pas pourquoi changer. Enfin, voilà. Je pense qu’en ce moment, il a autre chose à penser que mon problème sans club."
Son interpellation vous a surpris ?
"Cela devait arriver. Là non plus, je ne suis pas véritablement étonné. Mais bon, quand je n’avais pas de club, il ne s’est pas tracassé pour moi. Donc je ne vais pas, à mon tour, me tracasser pour lui maintenant."