Mobutu, coup de poignard et diplôme historique: la folle histoire de Christian N'Sengui, le "Belge" du staff du Congo à la CAN
La RD Congo débute sa Can ce samedi. L’occasion de découvrir Christian N’Sengui, le directeur technique de la fédération à moitié belge et au parcours extraordinaire.
- Publié le 22-06-2019 à 08h33
- Mis à jour le 22-06-2019 à 15h16
La RD Congo débute sa Can ce samedi. L’occasion de découvrir Christian N’Sengui, le directeur technique de la fédération à moitié belge et au parcours extraordinaire. La Can débute ce samedi pour la République démocratique du Congo. Un match contre l’Ouganda qui sera très suivi chez nous. Sur les 23 sélectionnés, 7 jouent ou ont joué dans notre championnat : Mbemba, Mpoku, Luyindama, Bokadi, Bolongi, Mandanda et Bolasie.
Ce qu’on sait moins, c’est que le directeur technique des Léopards est aussi un demi-Belge. Christian N’Sengui a même vécu plus longtemps chez nous qu’au Congo. Et surtout, il est arrivé à ce poste prestigieux après un parcours totalement dingue. Devant un café au bar de l’hôtel Conrad, il a pris le temps de nous conter ses 11 vies.
1re vie : son parrain Mobutu l’envoie dans le Hainaut
Christian N’Sengui est né au Congo il y a 57 ans. Dans une famille aisée. "Mon père était politicien et il a créé le Code volontaire pour la République, un parti politique. Il travaillait en étroite collaboration avec le président Mobutu, qui est d’ailleurs mon parrain. C’est lui qui a pris en charge mes études. Le parrain au Congo, c’est un second père. J’ai même pris le nom de famille de Mobutu : Sese Seko. J’ai aussi son prénom : Joseph-Désiré. Mon père m’avait appelé Christian mais le prénom du président est passé devant sur le passeport (sourire). Mobutu m’a envoyé dans une famille d’accueil à Charleroi avec mon grand frère. Des gens très modestes mais qui m’ont donné des valeurs. J’y ai vécu de 2 à 14 ans."
2e vie : son frère avant Czernia à Charleroi
La famille d’accueil de Christian N’Sengui privilégie les études. "Mon frère et moi ne pouvions jouer au foot que quand on avait un bon bulletin. On a finalement pu s’inscrire à Wavre Sports. Mon frère a été repéré par le Sporting de Charleroi. Chez les jeunes, il jouait dans la même équipe que Czenia et Cloquet. Il était doué, au point d’être repris chez les A avant Czernia. Mais il n’était pas assez discipliné. Il est passé pro et a joué quelques matchs quand même. Pendant cette période, je jouais aussi à Charleroi. Après, j’ai fait toute une série de petits clubs et c’est à Braine, en Promotion, que j’ai rencontré quelqu’un qui allait changer ma vie : Philippe Saint-Jean."
3e vie : pas fan des Africains, Broos le stoppe
N’Sengui devient papa et met sa carrière de joueur de côté. "Je n’avais pas vraiment de fonction claire dans le football à l’époque mais il m’arrivait de proposer des jeunes talents congolais. Je n’étais pas vraiment agent mais ça tournait autour de ça quand même. Philippe Saint-Jean était à Mouscron à cette époque et je lui proposais les meilleurs Congolais que je voyais. Un seul a percé au final : Polo Nzuzi. Hugo Broos est ensuite arrivé à l’Excel et il ne voulait pas entendre parler des Africains. J’ai été très surpris qu’il devienne sélectionneur du Cameroun des années plus tard. Les Africains, ce n’était pas sa tasse de thé et il le faisait bien sentir…"
4e vie : tout seul, il crée les U21 du Congo
N’Sengui a une autre idée, toujours grâce à Philippe Saint-Jean. "Il avait été l’adjoint d’Ariël Jacobs puis de Jean-François de Sart chez les U21 belges. Cela m’a donné une idée : créer cette catégorie pour le Congo. Cela pouvait être utile pour repérer les nombreux jeunes Congolais expatriés en Europe. Je voulais les réunir dans une sélection. J’ai réuni des gars qui jouaient en Belgique, à Wavre. Au début, on ne jouait même pas sous le nom du Congo mais sur celui d’une académie de football que j’avais lancée. On a fait quelques bons résultats dans des tournois, suffisamment pour que ça fasse écho jusqu’au Congo. En 2001, ici même, à l’hôtel Conrad de Bruxelles, le président de la fédération congolaise m’a donné son feu vert pour lancer officiellement les U21. J’avais juste le Brevet A de coach à l’époque. C’était dingue."
5e vie : un amical historique contre les Diablotins
En 2002, N’Sengui réalise quelque chose d’unique dans l’histoire de notre football : un match Belgique - Congo. Chez les Espoirs, donc. "Au départ, je voulais affronter le Luxembourg. Les Belges me faisaient peur. Je me disais qu’ils allaient nous tuer. Je voulais un adversaire plus à notre portée. À la fédération luxembourgeoise, on n’a jamais répondu à mes appels pour monter ce match. J’ai demandé à Philippe Saint-Jean s’il ne connaissait pas des gens au Luxembourg. Il m’a alors expliqué que les U21 belges avaient un trou dans leur calendrier parce qu’Andorre, qui jouait contre les Diables, n’avait pas d’équipe Espoirs. Les calendriers A et U21 étaient synchronisés à l’époque. Il me propose donc un amical. Jean-François de Sart était intéressé et m’appelle : ‘Trouve un terrain et on vient.’ On a finalement fait ça à Wavre au mois d’octobre 2002. J’espérais faire venir les meilleurs U21 qui jouaient au Congo mais on n’avait pas eu les visas à temps. On a quand même fait un super match. Le 1-1 était même généreux pour les Belges. Ils étaient arrivés très sûrs d’eux… Il y avait des garçons comme Deschacht, Mudingayi, Huysegems, Chatelle et Dimbala, qui avait marqué le but belge. Ce super résultat a fait un boom au Congo."
6e vie : quelques piges comme coach du Congo
Christian N’Sengui s’est fait un nom au Congo. Il continue à être le coach des Espoirs mais, en 2007, il prend carrément en main l’équipe A. "Le sélectionneur était Henri Depireux. Pour un match contre l’Angola, il ne savait arriver que le jour du match. Je m’étais donc occupé de la préparation puis du match avec l’équipe A. J’ai encore fait deux fois l’intérim plus tard. Florent Ibenge, l’actuel coach fédéral, est aussi l’entraîneur de l’AS Vita Club. Il est arrivé une fois que son club et l’équipe du Congo jouent à la même date. Il m’a demandé de coacher l’équipe nationale pour ces deux rencontres amicales. Elles avaient lieu à Visé, près de Liège."
7e vie : il vient en aide au club fondé par sa famille
L’année 2007 lui offre décidément des surprises. Après l’intérim pour dépanner Depireux, N’Sengui devient l’entraîneur d’un des clubs les plus populaires du Congo : l’AS Vita Club. "On venait de faire un super amical avec les Espoirs contre un club de D1 congolaise. Du vrai foot champagne. À la sortie du stade, les supporters du Vita Club présents m’ont entouré. Il faut savoir que mon père était cofondateur de ce club. Il avait même réussi à amener Mobutu au club et il était devenu supporter. Les fans m’ont demandé de donner un coup de main au club. Je ne voulais pas car je devais rester neutre en tant que coach des Espoirs. Le lendemain matin, j’ai reçu un coup de fil à 6 h 30 du matin du général Tango Four, une grande personnalité au Congo. Il voulait me voir pour le Vita Club. Je devais rentrer en Belgique le soir même. Dans sa résidence, il m’a dit que je devais prendre la place de coach en hommage à mon papa. Il restait neuf matchs et il fallait sauver le club en le qualifiant pour la Coupe d’Afrique des clubs. On a pris les points nécessaires. Au bout de la saison, on a rompu le contrat car il y avait des choses que je n’acceptais pas."
8e vie : poignardé par un papa furieux à Bruxelles
La vie de sélectionneur des Espoirs du Congo n’est pas toujours bien remplie. Quand un cycle de qualification pour les Jeux olympiques est terminé, le calendrier est quasi vide. Dès lors, N’Sengui travaille aussi en Belgique. En 2011, il est coordinateur des jeunes à l’Étoile sportive de Bruxelles. Il y est victime d’une agression. "Un papa trouvait que son fils devait jouer alors qu’il n’avait plus sa place dans l’équipe réserve. Il me disait que j’avais bousillé la carrière de son fils. Et là, boum : il sort un couteau et m’attaque. Il m’a touché au coude et à la cuisse mais rien de trop grave, heureusement."
9e vie : Kiki Vanden Stock l’engage au RSCA
L’année suivante, en 2012, il fait une belle rencontre avec Jean-François Lenvain, alors employé à la cellule sociale d’Anderlecht. "Le fils d’un ami jouait au RSCA et c’est comme ça qu’on s’est vu la première fois. J’étais au chômage car il n’y avait pas de match avec le Congo. Jean-François m’a proposé de surveiller les enfants dans une école de Bruxelles. On était content de mon travail. J’avais le respect des enfants africains. Le profil a plu à Kiki Vanden Stock. Le courant est passé directement. Puis Monsieur Kindermans m’a demandé de bosser avec l’équipe U21. J’étais surpris vu la qualité des entraîneurs au club. Je pensais qu’ils n’avaient pas besoin de moi. Aujourd’hui, je suis toujours coach chez les jeunes mais je me partage entre plusieurs équipes."
10e vie : le premier Congolais avec la Licence pro
À la fin de l’année 2018, Christian N’Sengui reçoit officiellement la Licence pro, le plus haut diplôme pour un entraîneur. "Après avoir passé les premiers diplômes, mes amis m’ont encouragé à continuer. J’ai fini par tenter la Licence pro. Mon dossier a été étudié et on m’a accepté. On m’a dit que j’étais le premier Congolais à l’avoir. C’est surtout une fierté de l’avoir, pas d’être le premier Congolais."
11e vie : directeur technique, il prépare la Can
L’expérience et les compétences de Christian N’Sengui sont appréciées au Congo. Raison pour laquelle le président de la fédération l’a nommé directeur technique le 2 novembre 2018. "Il m’a demandé d’organiser la formation des jeunes, comme elle se fait dans les grandes fédérations. La digitalisation des systèmes est aussi une de mes priorités."
Depuis le mois de novembre, il combine donc Anderlecht et le Congo. "Anderlecht me laisse m’organiser. Je travaille par période. Le Congo accepte mes absences. Je peux aussi observer les Congolais depuis la Belgique. Vais-je tenter d’influencer Sambi Lokonga pour qu’il choisisse la sélection congolaise ? Je ne force jamais. On est 87 millions au Congo et il y a aussi des Sambi Lokonga là-bas. Je suis très sûr du talent qu’il y a chez nous."
En attendant, il y a la Can qui débute ce samedi pour le Congo en Égypte. N’Sengui y sera. "Nous sommes un pays imprévisible. Tout dépendra de notre premier match. J’aimerais qu’on aille jusqu’en finale mais il y a beaucoup de candidats."